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Par un prodige de volonté, il parvint à affecter un calme bien éloigné de son âme.

– Vous êtes prompts à jeter le manche après la cognée, messieurs, dit-il d’un ton amer… Nous avons une chance de moins, et voilà tout.

– Diable!… Vous avez donc des ressources que nous ignorons?

– Peut-être… cela dépend. Vous venez de passer à la Croix-d ’Arcy, avez-vous dit à quoiqu’un quelque chose de ce que vous venez de m’apprendre?…

– Pas un mot… à personne.

– Combien avons-nous d’hommes au rendez-vous?

– Au moins deux mille.

– En quelles dispositions?

– Ils brûlent d’agir… Ils maudissent nos lenteurs. Ils nous ont recommandé de vous supplier de vous hâter.

Lacheneur eut un geste menaçant.

– En ce cas, fit-il, la partie n’est pas perdue. Attendez ici les gens que je précède, et dites-leur simplement que vous êtes envoyés pour les presser. Pressez-les surtout. Et comptez sur moi, je réponds du succès.

Il dit, et enfonçant les éperons dans le ventre de son cheval, il reprit sa course.

Il venait de tromper ces deux hommes. De ressources, il n’en avait aucune, il ne conservait pas même la plus chétive espérance. C’était un abominable mensonge, mais il avait, en quelque sorte, perdu son libre arbitre. L’édifice si laborieusement élevé s’écroulait, il voulait être enseveli sous les ruines. On devait être vaincu, il en était sûr, n’importe, on se battrait, il chercherait la mort et il la trouverait… Et il pensait:

– Pourvu qu’on ne se lasse pas, là-bas!…

Là-bas, à la Croix-d ’Arcy, on l’accusait…

Après le passage des deux officiers à demi-solde, les murmures s’étaient changés en imprécations.

Ces deux mille paysans, arrivés successivement au rendez-vous, s’indignaient de ne pas voir leur chef, celui qui était venu les débaucher à la charrue pour en faire les soldats de ses rancunes.

– Où est-il? se disaient-ils. Qui sait s’il n’a pas eu peur, au dernier moment? Peut-être se cache-t-il, pendant que nous sommes ici risquant notre peau et le pain de nos enfants?

Et déjà, ces terribles épithètes: traître, agent provocateur, circulaient de bouche en bouche, et gonflaient de colère toutes les poitrines.

Quelques-uns des conjurés étaient d’avis de se disperser; mais d’autres, et c’étaient les plus influents, voulaient au contraire qu’on marchât sur Montaignac sans Lacheneur, et cela, sur-le-champ, sans attendre seulement le moment fixé pour l’attaque.

Mais toutes les délibérations furent interrompues par le galop furieux d’un cheval.

Un cabriolet parut, qui s’arrêta au milieu du carrefour.

Deux hommes en descendirent: le baron d’Escorval et l’abbé Midon.

Ils avaient pris la traverse et devancé Lacheneur. Ils respirèrent… Ils pensèrent qu’ils arrivaient à temps.

Hélas! Ici comme là-bas, sur la lande de la Rèche, tous leurs efforts, leurs supplications et leurs menaces devaient se briser contre la plus aveugle obstination.

Ils étaient venus avec l’espoir d’arrêter le mouvement, ils le précipitèrent.

– Nous sommes trop avancés pour reculer, s’écria un propriétaire des environs, chef reconnu en l’absence de Lacheneur, si la mort est devant nous, elle est aussi derrière nous. Attaquer et vaincre… telle est notre unique chance de salut. Marchons donc, et à l’instant, c’est le seul moyen de déconcerter nos ennemis… Lâche qui hésite; en avant!…

Une seule et même acclamation lui répondit:

– En avant!…

Aussitôt, on tire de son étui un drapeau tricolore, ce drapeau tant regretté, qui rappelait tant de gloire et de si grands malheurs, un tambour bat la marche, et la colonne entière s’ébranle aux cris de: «Vive Napoléon II!»

Pâles, les vêtements en désordre, la voix brisée par la fatigue et l’émotion, M. d’Escorval et l’abbé Midon s’obstinent à suivre les conjurés.

Ils voient à quel précipice courent ces pauvres gens, et ils demandent à Dieu une inspiration pour les arrêter.

En cinquante minutes, la distance qui sépare la Croix-d ’Arcy de Montaignac est franchie.

Bientôt on aperçoit la porte de la citadelle, qui est celle que doivent livrer les officiers à demi-solde.

Il est onze heures et cependant cette porte est ouverte.

Cette circonstance ne prouve-t-elle pas aux conjurés que leurs amis de l’intérieur sont maîtres de la ville et qu’ils les attendent en force?…

Ils avancent donc sans défiance, si certains du succès, que ceux qui ont des fusils ne prennent seulement pas la peine de les armer.

Seuls, M. d’Escorval et l’abbé Midon pressentent une catastrophe.

Le chef de l’expédition est près d’eux; ils le conjurent de ne pas négliger les plus vulgaires précautions; ils le pressent d’envoyer quelques hommes en reconnaissance, eux-mêmes s’offrent d’y aller, à condition qu’on attendra leur retour avant d’aller plus loin.

– Si un piège vous est tendu, lui disent-ils, n’y donnez pas tête baissée.

Mais on les repousse.

Déjà on a dépassé les ouvrages avancés; la tête de colonne touche au pont-levis.

L’enthousiasme est devenu du délire; c’est à qui le premier pénétrera dans la place.

Hélas!… à ce moment un coup de pistolet est tiré.

C’est un signal, car aussitôt, de tous côtés, éclate une fusillade terrible.

Trois ou quatre paysans tombent mortellement frappés… Tous les autres s’arrêtent, glacés de stupeur, cherchant d’où partent les coups…

L’indécision est affreuse; cependant un chef énergique électriserait ces paysans, il y a parmi eux d’anciens soldats de Napoléon; la lutte s’engagerait, épouvantable, dans l’obscurité!…

Mais ce n’est pas le cri de «en avant!» qui se fait entendre.

La voix d’un lâche jette le cri des paniques:

– Nous sommes vendus!… Sauve qui peut!…

Dès lors, c’en est fait de l’expédition.

La peur, une folle peur, s’empare de tous ces braves gens, et ils s’enfuient éperdus, balayés comme des feuilles sèches par la tempête.