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Sa tâche, après cela, était terminée sur ce terrain, il recommanda une fois encore la plus implacable sévérité, et reprit au grand trot la route de Montaignac.

Il était ravi, assurément il bénissait, comme M. de Courtomieu, ces honnêtes et naïfs conspirateurs; mais une crainte, qu’il s’efforçait vainement d’écarter, empoisonnait en satisfaction.

Son fils, le marquis de Sairmeuse, faisait-il, oui ou non, partie du complot?

Il ne pouvait, il ne voulait pas le croire, et cependant le souvenir de l’assurance de Chupin le troublait.

D’un autre côté, qu’était donc devenu Martial?… Le domestique expédié pour le prévenir l’avait-il rencontré?… S’était-il mis en route?… Par où?… Peut-être était-il tombé aux mains des paysans?…

C’est dire le tressaillement de joie de M. de Sairmeuse, quand rentrant chez lui après une entrevue avec M. de Courtomieu, on lui apprit que Martial était arrivé depuis un quart d’heure.

– M. le marquis est monté précipitamment à sa chambre en descendant de cheval, ajouta le domestique.

– C’est bien!… fit le duc, je l’y rejoins.

Tout haut, devant ses gens, il disait: «C’est bien!» mais il se disait tout bas:

– Ceci, à la fin, frise l’impertinence! Quoi, je suis à cheval, en train de faire le coup de fusil, et monsieur mon fils se met au lit tranquillement, sans seulement s’informer de moi!…

Il était arrivé à la chambre de son fils, mais la porte était fermé en dedans. Il frappa.

– Qui est-là? demanda Martial.

– Moi! ouvrez!

Martial retira le verrou. M. de Sairmeuse entra, et ce qu’il vit le fit frémir.

Sur la table était une cuvette de sang, et Martial, le torse nu, lavait une large blessure qu’il avait un peu au-dessus du sein droit.

– Vous vous êtes battu!… exclama le duc d’une voix étranglée.

– Oui!…

– Ah!… vous en étiez donc!…

– J’en étais!… de quoi?

– De la conjuration de ces misérables paysans qui dans leur folie parricide ont osé rêver le renversement du meilleur des princes!…

Le visage de Martial trahit successivement une profonde surprise et la plus violente envie de rire.

– Je pense que vous plaisantez, monsieur, dit-il.

L’air et l’accent du jeune homme rassurèrent un peu le duc, sans toutefois dissiper entièrement ses soupçons.

– C’est donc ces vils coquins qui vous ont attaqué!… s’écria-t-il.

– Du tout!… J’ai simplement été obligé d’accepter un duel.

– Avec qui?… Nommez-moi le scélérat qui a osé vous provoquer.

Une fugitive rougeur colora les joues de Martial, mais c’est du ton léger qui lui était habituel qu’il répondit:

– Ma foi non, je ne vous le nommerai pas. Vous l’inquiéteriez peut-être, et je lui dois de la reconnaissance à ce garçon… C’était sur la grande route, il pouvait m’assassiner sans cérémonie, et il m’a offert un combat loyal… Il est d’ailleurs blessé plus grièvement que moi…

Tous les doutes de M. de Sairmeuse lui revinrent.

– Si c’est ainsi, dit-il, pourquoi, au lieu d’appeler un médecin, vous enfermer pour soigner cette blessure?…

– Parce qu’elle est insignifiante et que je veux tenir cette blessure secrète.

Le duc hochait la tête.

– Tout cela n’est guère plausible, prononça-t-il, surtout après les assurances qui m’ont été données de votre complicité.

Le jeune homme haussa les épaules de la façon la moins révérencieuse.

– Ah!… dit-il, et par qui? Par votre espion en chef, sans doute, ce drôle de Chupin. Il m’étonne, monsieur, qu’entre la parole de votre fils et les rapports de ce chenapan, vous hésitiez une seconde.

– Ne dites point de mal de Chupin, marquis, c’est un homme précieux… Sans lui nous eussions été surpris. C’est par lui que j’ai connu le vaste complot ourdi par Lacheneur…

– Quoi! c’est Lacheneur…

– … Qui était à la tête du mouvement?… oui, marquis. Ah! votre perspicacité a été outrageusement mystifiée. Quoi! vous êtes toujours fourré dans cette maison et vous ne vous doutez de rien!… Le père de votre maîtresse conspire, elle conspire elle-même, et vous n’y voyez que du feu!… Et je vous destinais à la diplomatie!… Mais il y a mieux. Vous savez à quoi ont été employés les fonds que vous avez si magnifiquement donnés à ces gens-là? Ils ont servi à acheter des fusils, de la poudre et des balles à notre intention…

Le duc goguenardait à l’aise, maintenant. Il était tout à fait rassuré désormais, et il cherchait à piquer son fils.

Tentative vaine. Martial reconnaissait bien qu’il avait été joué, mais il ne songeait pas à s’en indigner.

– Si Lacheneur était pris, pensait-il, s’il était condamné à mort, et si je le sauvais, Marie-Anne n’aurait rien à me refuser…

XXIV

Ayant pénétré le mystère des continuelles absences de Maurice, le baron d’Escorval avait su dissimuler à sa femme son chagrin et ses craintes.

C’était la première fois qu’il avait un secret pour cette fidèle et vaillante compagne de son existence.

C’est sans la prévenir qu’il alla prier l’abbé Midon de le suivre à la Rèche, chez M. Lacheneur.

Il se cacha d’elle pour courir à la Croix-d ’Arcy.

Ce silence explique l’étonnement de Mme d’Escorval quand, l’heure du dîner venue, elle ne vit paraître ni son mari ni son fils.

Maurice, quelquefois, était en retard; mais le baron, comme tous les grands travailleurs, était l’exactitude même. Qu’était-il donc arrivé d’extraordinaire?…

Sa surprise devint inquiétude quand on lui apprit que son mari venait de partir avec l’abbé Midon. Ils avaient attelé eux-mêmes, précipitamment, sans mot dire, et au lieu de faire sortir la voiture par la cour, comme d’habitude, ils avaient passé par la porte de derrière de la remise qui donnait sur le chemin.

Qu’est-ce que cela voulait dire?… Pourquoi ces étranges précautions?…

Mme d’Escorval attendit, toute frissonnante de pressentiments inexpliqués!…

Les domestiques partageaient ses transes. Juste et d’un caractère toujours égal, le baron était adoré de ses gens; tous se fussent mis au feu pour lui.

Aussi, vers dix heures, s’empressèrent-ils de conduire à leur maîtresse un paysan qui revenait de Sairmeuse et qui semait partout la nouvelle du mouvement.