Изменить стиль страницы

– Ce n’est qu’une syncope sans gravité, déclara l’abbé Midon, après avoir examiné Marie-Anne, elle ne tardera pas à reprendre ses sens…

Et aussitôt, rapidement et clairement, il indiqua ce qu’il y avait à faire, aux femmes de la baronne, aussi éperdues que leur maîtresse.

Mme d’Escorval regardait la pupille dilatée par la terreur, elle paraissait douter de sa raison, et incessamment elle passait la main sur son front mouillé d’une sueur froide…

– Quelle nuit! murmurait-elle, quelle nuit!…

– Il faut vous remettre, madame, prononça le prêtre d’un accent ému mais ferme; la religion, le devoir vous défendent de vous abandonner ainsi!… Epouse, où donc est votre énergie!… Chrétienne, qu’est devenue votre confiance en Dieu, juste et bon!…

– Oh!… j’ai du courage, monsieur, bégayait l’infortunée, j’ai du courage!…

L’abbé Midon la conduisit à un fauteuil où il la força de s’asseoir, pendant que les femmes de chambre s’empressaient autour de Marie-Anne, et d’un ton plus doux il reprit:

– Pourquoi désespérer, d’ailleurs, madame?… Votre fils est près de vous, en sûreté… Votre mari ne saurait être compromis, il n’a rien fait que je n’aie fait moi-même…

Et en peu de mots, avec une rare précision, il expliqua le rôle du baron et le sien pendant cette funeste soirée.

Mais ce récit, loin de rassurer la baronne, semblait augmenter son épouvante.

– Je vous entends, monsieur le curé, interrompit-elle, et je vous crois… Mais je sais aussi que tous les gens de la campagne sont persuadés que mon mari commande les paysans soulevés, ils le croient et ils le disent…

– Eh bien?

– S’il a été fait prisonnier, comme vous me le donnez à entendre, il sera traduit devant la Cour prévôtale… N’était il pas l’ami de l’empereur. C’est un crime cela, vous le savez bien! Il sera jugé et condamné à mort…

– Non, madame, non!… ne suis-je pas là? Je me présenterai devant le tribunal, et je dirai: «Me voici, j’ai vu, adsum qui vidi

– Et ils vous arrêteront vous aussi, monsieur l’abbé, parce que vous n’êtes pas un prêtre selon le cœur de ces hommes cruels; ils vous jetteront en prison, et ils vous enverront à l’échafaud!…

Depuis un moment, Maurice écoutait, pâle, anéanti, près de tomber…

Sur ces derniers mots, il s’affaissa par terre, sur le tapis, à genoux, cachant son visage entre ses mains…

– Ah!… j’ai tué mon père!… s’écria-t-il…

– Malheureux enfant!… Que dis-tu!…

Le prêtre lui faisait signe de se taire, il ne le vit pas et poursuivit:

– Mon père ignorait jusqu’à l’existence de cette conspiration, dont M. Lacheneur était l’âme, mais je la connaissais, moi!… Je voulais qu’elle réussît, parce que de son succès dépendait le bonheur de ma vie… Et alors, misérable que je suis, quand il s’agissait d’attirer dans nos rangs quelque complice timide et indécis, j’invoquais ce nom respecté et aimé d’Escorval… Ah! j’étais fou!… j’étais fou!…

Il eut un geste désespéré, et, avec une expression déchirante, il ajouta:

– Et en ce moment encore, je n’ai pas le courage de maudire ma folie!… Oh! ma mère, ma mère; si tu savais!…

Les sanglots lui coupèrent la parole, et alors on put entendre comme un faible gémissement…

Marie-Anne revenait à elle. Déjà elle s’était à demi redressée sur le canapé, et elle considérait cette scène navrante d’un air de profonde stupeur, comme si elle n’y eût rien compris.

D’un geste doux et lent, elle écartait ses cheveux de son front, et elle clignait des yeux, éblouie par l’éclat des bougies…

Elle voulait parler, interroger, elle s’efforçait de rassembler ses idées, elle cherchait des mots pour les traduire… L’abbé Midon lui commanda le silence.

Seul, au milieu de tous ces malheureux affolés, le prêtre conservait son sang-froid et la lucidité de son intelligence.

Eclairé par le témoignage de Mme d’Escorval et les aveux de Maurice, il comprenait tout et discernait nettement l’effroyable danger dont étaient menacés le baron et son fils.

Comment conjurer ce danger?… Qu’imaginer, que faire?…

Il n’y avait ni à s’expliquer ni à réfléchir; avec chaque minute s’envolait une chance de salut… Il s’agissait de prendre un parti sur-le-champ et d’agir.

L’abbé Midon eut ce courage. Il courut à la porte du salon et appela les gens groupés dans l’escalier.

Quand ils furent tous réunis autour de lui:

– Ecoutez-moi bien, leur dit-il de cette voix impérieuse et brève que donne la certitude du péril prochain, et souvenez-vous que de votre discrétion dépend peut-être la vie de vos maîtres. On peut compter sur vous, n’est-ce pas?

Toutes les mains se levèrent comme pour prêter serment.

– Avant une heure, continua le prêtre, les soldats lancés sur les traces des fuyards seront ici. Pas un mot de ce qui s’est passé ce soir ne doit être prononcé. Pour tout le monde, je dois être parti avec M. le baron et revenu seul. Nul de vous ne doit avoir vu Mlle Lacheneur… Nous allons lui chercher une cachette… Rappelez-vous, mes amis, que le seul soupçon de sa présence ici perdrait tout… Si les soldats vous interrogent, efforcez-vous de leur persuader que M. Maurice n’est pas sorti ce soir…

Il s’arrêta, chercha s’il n’oubliait rien de ce que pouvait suggérer la prudence humaine, et ajouta:

– Un mot encore: Nous voir tous debout à l’heure qu’il est, paraîtra suspect… C’est ce que je souhaite… Nous alléguerons, pour nous justifier, l’inquiétude où nous mettent l’absence de M. le baron et aussi une indisposition très grave de Mme la baronne… car Mme la baronne va se coucher; elle évitera ainsi un interrogatoire possible… Et vous, Maurice, courez changer de vêtements… et surtout, lavez-vous bien les mains, et répandez ensuite quelque parfum dessus…

Chacun sentait si bien l’imminence d’une catastrophe, qu’en moins de rien tout fut disposé comme l’avait ordonné l’abbé Midon.

Marie-Anne, bien qu’elle fût loin d’être remise, fut conduite à une petite logette sous les combles; Mme d’Escorval se retira dans sa chambre et les domestiques regagnèrent l’office…

Maurice et l’abbé Midon restèrent seuls au salon, silencieux, oppressés…

La figure si calme du curé de Sairmeuse trahissait d’affreuses anxiétés. Maintenant, oui, il croyait M. d’Escorval prisonnier, et toutes ses précautions n’avaient qu’un but, écarter de Maurice tout soupçon de complicité… c’était, pensait-il, le seul moyen qu’il y eût de sauver le baron. Ses combinaisons réussiraient-elles?…