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Les deux soldats répondirent par un grognement sourd.

– Quant à vous, poursuivit le vieux troupier en s’adressant à Maurice et à l’abbé Midon, moi, Bavois, caporal de grenadiers, je vous déclare, tant en mon nom qu’au nom de mes deux hommes, que vous êtes libres comme l’oiseau et que nous n’arrêterons personne… Même, s’il fallait un coup de main pour tirer du pétrin le père du jeune bourgeois, nous sommes des bons. Il croit, le joli coco qui nous commande, que nous nous sommes battus ce soir… Va-t-en voir s’ils viennent!… Regardez la platine de mon fusil… je n’ai pas brûlé une amorce. Quant aux camarades, ils retiraient le pruneau de la cartouche avant de la couler dans le canon.

Cet homme, assurément, devait être sincère, mais il pouvait ne l’être pas.

– Nous n’avons rien à cacher, répondit le circonspect abbé Midon.

Le vieux caporal cligna de l’œil d’un air d’intelligence.

– Connu!… fit-il, vous vous défiez de moi. Vous avez tort, et je vais vous le prouver, parce que, voyez-vous, s’il est aisé de faire le poil à ce blanc-bec qui sort d’ici, il est un peu plus difficile de raser le caporal Bavois. Ah!… c’est comme cela. Il ne fallait pas laisser traîner dans la cour un fusil qui n’a certes pas été chargé pour tirer des merles.

Le curé et Maurice échangèrent un regard de stupeur. Maurice, maintenant, se rappelait qu’en sautant du cabriolet pour soutenir Marie-Anne, il avait posé son fusil contre le mur. Il avait échappé aux regards des domestiques…

– Secondement, poursuivit Bavois, il y a quelqu’un de caché là-haut… j’ai l’oreille fine! Troisièmement je me suis arrangé pour que personne n’entrât dans la chambre de la dame malade.

Maurice n’y tint plus: il tendit la main au caporal, et d’une voix émue:

– Vous êtes un brave homme!… dit-il.

Quelques instants plus tard, Maurice, l’abbé Midon et Mme d’Escorval, réunis de nouveau au salon, délibéraient sur les mesures de salut qu’il y avait à prendre, quand Marie-Anne qu’on était allé prévenir parut.

Tant bien que mal elle avait réparé le désordre de son costume. Elle était affreusement pâle encore, mais sa démarche était ferme.

– Je vais me retirer, madame, dit-elle à la baronne. Maîtresse de moi-même, je n’eusse pas accepté une hospitalité qui pouvait attirer tant de malheurs sur votre maison… Hélas!… il ne vous en coûte déjà que trop de larmes et trop de deuils, de m’avoir connue… Comprenez-vous, maintenant, pourquoi je voulais vous fuir?… Un pressentiment me disait que ma famille serait fatale à la vôtre…

– Malheureuse enfant!… s’écria Mme d’Escorval, où voulez-vous aller!…

Marie-Anne leva ses beaux yeux vers le ciel, où elle plaçait toutes ses espérances.

– Je l’ignore, madame, répondit-elle; mais le devoir commande… Je dois savoir ce que sont devenus mon père et mon frère et partager leur sort…

– Quoi!… s’écria Maurice, toujours cette pensée de mort!… Vous savez bien, cependant, que vous n’avez plus le droit de disposer de votre vie!…

Il s’arrêta, il avait failli laisser échapper un secret qui n’était pas le sien… Mais une inspiration lui venant, il se jeta aux pieds de Mme d’Escorval:

– O ma mère, lui dit-il, mère chérie, la laisserons-nous s’éloigner?… Je puis périr en essayant de sauver mon père… Elle serait ta fille alors, elle que j’ai tant aimée, tu reporterais sur elle tes tendresses divines…

Marie-Anne resta.

XXV

Le secret que les approches de la mort avaient arraché à Marie-Anne au fort de la fusillade de la Croix-d ’Arcy, Mme d’Escorval l’ignorait quand elle joignait sa voix aux prières de son fils pour retenir la malheureuse jeune fille.

Mais cette circonstance n’inquiétait pas Maurice.

Sa foi en sa mère était absolue, complète; il était sûr qu’elle pardonnerait quand elle apprendrait la vérité.

Les femmes aimantes, chastes épouses et mères sans reproche, gardent au fond du cœur des trésors d’indulgence pour les entraînements de la passion.

Elles peuvent mépriser et braver les préjugés hypocrites, celles dont la vertu immaculée n’eut jamais besoin des honteuses transactions du monde.

Et d’ailleurs, est-il une mère qui, secrètement, n’excuse la jeune fille qui n’a pu se défendre de l’amour de son fils, à elle, de ce fils que son imagination pare de séductions irrésistibles!…

Toutes ces réflexions avaient traversé l’esprit de Maurice, et plus tranquille sur le sort de Marie-Anne, il ne songea qu’à son père.

Le jour venait… Maurice déclara qu’il allait endosser un déguisement et se rendre à Montaignac.

À ces mots, Mme d’Escorval se détourna, cachant son visage dans les coussins du canapé pour y étouffer ses sanglots.

Elle tremblait pour la vie de son mari, et voici que son fils se précipitait au-devant du danger… Peut-être; avant le coucher de ce soleil qui se levait, n’aurait-elle ni mari ni fils.

Et pourtant elle ne dit pas: «Non, je ne veux pas!» Maurice ne remplissait-il pas un devoir sacré!… Elle l’eût aimé moins, si elle l’eût cru capable d’une lâche hésitation. Elle eût séché ses larmes s’il l’eût fallu, pour lui dire: «Pars!»

Tout d’ailleurs n’était-il pas préférable aux horreurs de cette incertitude où on se débattait depuis des heures!…

Maurice gagnait déjà la porte pour monter revêtir un travestissement, l’abbé Midon lui fit signe de rester.

– Il faut, en effet, courir à Montaignac, lui dit-il, mais vous déguiser serait une folie. Infailliblement vous seriez reconnu, et indubitablement on vous appliquerait l’axiome que vous savez: «Tu te caches, donc tu es coupable.» Vous devez marcher ouvertement, la tête haute, exagérant l’assurance de l’innocence… Allez droit au duc de Sairmeuse et au marquis de Courtomieu, criez à l’injustice!… Mais je veux vous accompagner, nous irons en voiture à deux chevaux.

Maurice paraissait indécis.

– Suis les conseils de M. le curé, mon fils, dit Mme d’Escorval, il sait mieux que nous ce que nous devons faire.

– J’obéirai, mère!

L’abbé n’avait pas attendu cet assentiment pour courir donner l’ordre d’atteler. Mme d’Escorval sortit pour écrire quelques lignes à une amie dont le mari jouissait d’une certaine influence à Montaignac. Maurice et son amie restèrent seuls.

C’était, depuis l’aveu de Marie-Anne, leur première minute de solitude et de liberté.

Ils étaient debout, à deux pas l’un de l’autre, les yeux encore brillants de pleurs répandus, et ils restèrent ainsi un instant, immobiles, pâles, oppressés, trop émus pour pouvoir traduire leur sensation.