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– Et si vous vous trompiez?… Si, blessé et perdant son sang, Lacheneur n’avait eu que bien juste la force de se traîner jusqu’à la maison la plus proche pour y demander l’hospitalité?…

– Oh!… monsieur l’abbé, je connais nos paysans!… Il n’en est pas un qui soit capable de vendre lâchement un proscrit!…

Ce noble enthousiasme de la jeunesse arracha au prêtre le douloureux sourire de l’expérience.

– Vous oubliez, reprit-il, les menaces affichées à côté des provocations à la trahison et au meurtre. Tel qui ne voudrait pas souiller ses mains du prix du sang, peut être saisi du vertige de la peur.

Ils suivaient alors la grande rue, et ils étaient frappés de l’aspect morne de Montaignac, cette petite ville si vivante et si gaie d’ordinaire.

La consternation et l’épouvante y régnaient. Les boutiques étaient fermées, les volets des maisons restaient clos. Partout un silence lugubre. On eût dit un deuil général et que chaque famille avait perdu quelqu’un de ses membres.

La démarche des rares passants était inquiète et singulière. Ils se hâtaient, en jetant de tous côtés des regards défiants.

Deux ou trois qui étaient des connaissances du baron et qui croisèrent la voiture se détournèrent d’un air effrayé pour éviter de saluer…

L’abbé Midon et Maurice devaient trouver l’explication de ces terreurs à l’hôtel où ils avaient donné l’ordre à leur cocher de les conduire.

Ils lui avaient désigné l’Hôtel de France, où descendait le baron d’Escorval quand il venait à Montaignac, et dont le propriétaire n’était autre que Langeron, cet ami de Lacheneur, qui, le premier, avait donné avis de l’arrivée du duc de Sairmeuse.

Ce brave homme, en apprenant quels hôtes lui arrivaient, alla au-devant d’eux jusqu’au milieu de la cour, sa toque blanche à la main.

Ce jour-là, cette politesse était de l’héroïsme.

Etait-il du complot? on l’a toujours cru.

Le fait est qu’il invita Maurice et l’abbé à se rafraîchir, de façon à leur donner à entendre qu’il avait à leur parler, et il les conduisit à une chambre où il savait être à l’abri de toute indiscrétion.

Grâce à un des valets de chambre du duc de Sairmeuse qui fréquentait son établissement, il en savait autant que l’autorité, il en savait plus, même, puisqu’il avait en même temps des informations par ceux des conjurés qui étaient restés en liberté.

Par lui, l’abbé Midon et Maurice eurent leurs premiers renseignements positifs.

D’abord on était sans nouvelles de Lacheneur, non plus que de son fils Jean; ils avaient échappé aux plus ardentes recherches.

En second lieu, il y avait jusqu’à ce moment deux cents prisonniers à la citadelle, et parmi eux le baron d’Escorval et Chanlouineau.

Enfin, depuis le matin, il n’y avait pas eu moins de soixante arrestations à Montaignac même.

On pensait généralement que ces arrestations étaient l’œuvre d’un traître, et la ville entière tremblait…

Mais M. Langeron connaissait leur véritable origine, qui lui avait été confiée, sous le sceau du secret, par son habitué le valet de chambre.

– C’est certes une histoire incroyable, messieurs, disait-il, et cependant elle est vraie. Deux officiers de la légion de Montaignac, qui revenaient de leur expédition ce matin, au petit jour, traversaient le carrefour de la Croix-d ’Arcy, quand sur le revers d’un fossé, ils aperçurent, gisant mort, un homme revêtu de l’uniforme des anciens guides de l’empereur…

Maurice tressaillit.

Cet infortuné, il n’en pouvait douter, était ce brave officier à la demi-solde, qui était venu se joindre à sa colonne sur la route de Sairmeuse, après avoir parlé à M. Lacheneur.

– Naturellement, poursuivait M. Langeron, mes deux officiers s’approchent du cadavre. Ils l’examinent, et qu’est-ce qu’ils voient? Un papier qui dépassait les lèvres de ce pauvre mort. Comme bien vous pensez, ils s’emparent de ce papier, ils l’ouvrent, ils lisent… C’était la liste de tous les conjurés de la ville et de quelques autres encore, dont les noms n’avaient été placés là que pour servir d’appât… Se sentant blessé à mort, l’ancien guide aura voulu anéantir la liste fatale, les convulsions de l’agonie l’ont empêché de l’avaler…

Cependant, ni l’abbé ni Maurice n’avaient le temps d’écouter les commentaires dont le maître d’hôtel accompagnait son récit.

Ils se hâtèrent d’expédier à Mme d’Escorval et à Marie-Anne un exprès destiné à les rassurer, et sans perdre une minute, bien décidés à tout oser, ils se dirigèrent vers la maison occupée par le duc de Sairmeuse.

Lorsqu’ils y arrivèrent, une foule émue se pressait devant la porte.

Oui, il s’y trouvait bien une centaine de personnes, des hommes à la figure bouleversée, des femmes en larmes qui sollicitaient, qui imploraient une audience.

Ceux-là étaient les parents des malheureux qu’on avait arrêtés.

Deux valets de pied en superbe livrée, à l’air important, avaient toutes les peines du monde à retenir le flot grossissant des solliciteurs…

L’abbé Midon espérant que sa robe lèverait la consigne, s’approcha et se nomma. Il fut repoussé comme les autres.

– M. le duc travaille et ne peut recevoir, répondirent les domestiques, M. le duc rédige ses rapports pour Sa Majesté.

Et à l’appui de leurs dires, ils montraient dans la cour les chevaux tout sellés des courriers qui devaient porter les dépèches.

Le prêtre rejoignit tristement son compagnon.

– Attendons! lui dit-il.

Volontairement ou non, les domestiques trompaient tous ces pauvres gens. M. de Sairmeuse, en ce moment, s’inquiétait peu de ses rapports. Une scène de la dernière violence éclatait entre M. de Courtomieu et lui.

Chacun de ces deux nobles personnages prétendant s’attribuer le premier rôle, – celui qui serait le plus chèrement payé, sans doute, – il y avait conflit d’ambitions et de pouvoirs.

Ils avaient commencé par échanger quelques récriminations, et ils en étaient vite venus aux mots piquants, aux allusions amères et enfin aux menaces.

Le marquis prétendait déployer les plus effroyables – il disait les plus salutaires – rigueurs; M. de Sairmeuse, au contraire, inclinait à l’indulgence.

L’un soutenait que du moment où Lacheneur, le chef de la conspiration, et son fils s’étaient dérobés aux poursuites, il était urgent d’arrêter Marie-Anne.

L’autre déclarait que saisir et emprisonner cette jeune fille serait un acte impolitique, une faute qui rendrait l’autorité plus odieuse et les conjurés plus intéressants.