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Et, entêtés chacun dans son opinion, ils discutaient sans se convaincre.

– Il faut décourager les rebelles en les frappant d’épouvante! criait M. de Courtomieu.

– Je ne veux pas exaspérer l’opinion, disait le duc.

– Eh!… qu’importe l’opinion!…

– Soit!… mais alors donnez-moi des soldats dont je sois sûr. Vous ne savez donc pas ce qui est arrivé cette nuit? Il s’est brûlé de la poudre de quoi gagner une bataille, et il n’est pas resté quinze paysans sur le carreau. Nos hommes ont tiré en l’air. Vous ne savez donc pas que la légion de Montaignac est composée, pour plus de moitié, d’anciens soldats de Buonaparte qui brûlent de tourner leurs armes contre nous!…

Ni l’un ni l’autre n’osait dire la raison vraie de son obstination.

Mlle Blanche était arrivée le matin à Montaignac, elle avait confié à son père ses angoisses et ses souffrances et elle avait fait jurer qu’il profiterait de cette occasion pour la débarrasser de Marie-Anne.

De son côté, le duc de Sairmeuse, persuadé que Marie-Anne était la maîtresse de son fils, ne voulait à aucun prix qu’elle parût devant le tribunal. À la fin, le marquis céda.

Le duc lui avait dit: «Eh bien! vidons cette querelle…» en regardant si amoureusement une paire de pistolets, qu’il avait senti un frisson taquin courir le long de sa maigre échine…

Ils sortiront donc ensemble pour se rendre près des prisonniers, précédés de soldats qui écartaient les solliciteurs, et on attendit vainement le retour du duc de Sairmeuse.

Et tant que dura le jour, Maurice ne put détacher ses yeux du télégraphe aérien établi sur la citadelle, et dont les bras noirs s’agitaient incessamment.

– Quels ordres traversent l’espace?… disait-il à l’abbé Midon; est-ce la vie? est-ce la mort?…

XXVI

– «Surtout, hâtez-vous!» avait dit Maurice au messager qu’il chargeait de porter une lettre à sa mère.

Cet homme n’arriva pourtant à Escorval qu’à la nuit tombante.

Troublé par la peur, il s’était égaré à chercher des chemins de traverse, et il avait fait dix lieues pour éviter tous les gens qu’il apercevait, paysans ou soldats.

Mme d’Escorval lui arracha la lettre des mains, plutôt qu’elle ne la prit. Elle l’ouvrit, la lut à haute voix à Marie-Anne et n’ajouta qu’un seul mot:

– Partons!

C’était plus aisé à dire qu’à exécuter.

Il n’y avait jamais eu que trois chevaux à Escorval; l’un était aux trois quarts mort de sa course furibonde de la veille; les deux autres étaient à Montaignac.

Comment faire?… Recourir à l’obligeance des voisins était l’unique ressource.

Mais ces voisins, de braves gens d’ailleurs, qui avaient appris l’arrestation du baron, refusèrent bravement de prêter leurs bêtes. Ils estimaient que ce serait se compromettre gravement que de rendre un service, si léger qu’il pût paraître, à la femme d’un homme sous le poids de la plus terrible des accusations.

Mme d’Escorval et Marie-Anne parlaient déjà de se mettre en route à pied, quand le caporal Bavois, indigné de tant de lâcheté, jura par le sacré nom d’un tonnerre que cela ne se passerait pas ainsi.

– Minute! dit-il, je me charge de la chose!…

Il s’éloigna, et un quart d’heure après reparut, traînant par le licol une vieille jument de labour, bien lente, bien lourde, qu’on harnacha tant bien que mal et qu’on attela au cabriolet… On irait au pas, mais on irait.

À cela ne devait pas se borner la complaisance du vieux troupier.

Sa mission était terminée, puisque M. d’Escorval était arrêté, et il n’avait plus qu’à rejoindre son régiment.

Il déclara donc qu’il ne laisserait pas des «dames» voyager seules, de nuit, sur une route où elles seraient exposées à de fâcheuses rencontres, et qu’il les escorterait avec ses deux grenadiers…

– Et tant pis pour qui s’y frotterait, disait-il en faisant sonner la crosse de son fusil sous sa main nerveuse, pékin ou militaire, on s’en moque! pas vrai, vous autres?

Comme toujours, les deux hommes approuvèrent par un juron.

Et en effet, tout le long de la route, Mme d’Escorval et Marie-Anne les aperçurent précédant ou suivant la voiture, marchant à côté le plus souvent.

Aux portes de Montaignac seulement, le vieux soldat quitta ses «protégées,» non sans les avoir respectueusement saluées, tant en son nom qu’en celui de ses deux hommes, non sans s’être mis à leur disposition si elles avaient jamais besoin de lui, Bavois, caporal de grenadiers, 1ère compagnie, caserné à la citadelle…

Dix heures sonnaient, quand Mme d’Escorval et Marie-Anne mirent pied à terre dans la cour de l’Hôtel de France.

Elles trouvèrent Maurice désespéré et l’abbé Midon perdant courage.

C’est que, depuis l’instant où Maurice avait écrit, les événements avaient marché, et avec quelle épouvantable rapidité!…

On connaissait maintenant les ordres arrivés par le télégraphe; ils avaient été imprimés et affichés…

Le télégraphe avait dit:

«Montaignac doit être regardé comme en état de siège. Les autorités militaires ont un pouvoir discrétionnaire. Une commission militaire fonctionnera aux lieu et place de la Cour prévôtale. Que les citoyens paisibles se rassurent, que les mauvais tremblent! Quant aux rebelles, le glaive de la loi va les frapper!…»

Six lignes en tout… mais chaque mot était une menace.

Ce qui surtout faisait frémir l’abbé Midon, c’était la substitution d’une commission à la Cour prévôtale.

Cela renversait tous ses plans, stérilisait toutes ses précautions, enlevait les dernières chances de salut.

La Cour prévôtale était certes expéditive et passionnée, mais du moins elle se piquait d’observer les formes, elle gardait quelque chose encore de la solennité de la justice régulière qui, avant de frapper, veut être éclairée.

Une commission militaire devait infailliblement négliger toute procédure, et juger les accusés sommairement, comme en temps de guerre on juge un espion.

– Quoi!… s’écriait Maurice, on oserait condamner sans enquête, sans audition de témoins, sans confrontation, sans laisser aux accusés le temps de rassembler les éléments de leur défense!…

L’abbé Midon se tut… Ses plus sinistres prévisions étaient dépassées… Désormais, il croyait tout possible…

Maurice parlait d’enquête… Elle avait commencé dans la journée, et elle se poursuivait, en ce moment même, à la lueur des lanternes des geôliers.