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– Il ne me reste plus, Maurice, reprit-il, qu’à vous adresser une dernière et bien importante recommandation… Vous connaissez mon fils?

– Certes!… nous étions camarades quand il venait en vacances…

– Eh bien! quand vous serez maître de mon secret, car à vous je dirai toute ma pensée… défiez-vous de Jean.

– Oh!… monsieur.

– Restez sur vos gardes, vous dis-je…

Il rougit extrêmement, le malheureux homme, et ajouta:

– Ah! c’est pour un père un pénible aveu: je n’ai pas confiance en mon fils. Il ne sait de mes projets que ce que je lui en ai dit le jour de son arrivée… Maintenant, je le trompe comme s’il devait trahir… Peut-être serait-il sage de l’éloigner; mais que penserait-on? Sans doute on dirait que je suis bien avare du sang des miens, quand je risque froidement la vie de tant de braves gens. Après cela, je m’abuse peut-être…

Il soupira et dit encore:

– Défiez-vous!…

XIX

Ainsi, c’était bien Maurice d’Escorval que le marquis de Sairmeuse avait surpris s’échappant de la maison de M. Lacheneur.

Martial n’avait aucune certitude, il se pouvait que l’obscurité l’eût trompé, mais le doute seul suffisait à gonfler son cœur de colère.

– Quel personnage fais-je donc! s’écriait-il. Un personnage ridicule, assurément.

Si épais était le bandeau noué sur ses yeux par la passion, qu’il n’apercevait rien des circonstances les plus frappantes.

L’amitié cérémonieuse de Lacheneur, il la tenait pour sincère. Il croyait aux respects étudiés de Jean. Les empressements presque serviles de Chanlouineau ne l’étonnaient pas.

Enfin, de ce que Marie-Anne le recevait sans colère, il concluait qu’il s’avançait dans son esprit et dans son cœur.

Ayant oublié, il s’imaginait que les autres ne se souvenaient pas.

Après cela, il se figurait s’être montré assez généreux pour avoir des droits à une certaine reconnaissance.

M. Lacheneur, outre tous les objets choisis au château, avait reçu le montant du legs de Mlle Armande et une indemnité. Le tout allait à une soixantaine de mille francs.

– Il serait, jarnibieu! bien dégoûté s’il n’était pas content! maugréait le duc, furieux d’une prodigalité qui cependant ne lui coûtait rien.

Encore entretenu dans ses illusions par l’opinion de son père, Martial se croyait un peu chez lui dans la maison de M. Lacheneur.

Le soupçon des visites de Maurice faillit l’éclairer…

– Serais-je donc dupe d’une rouée?… pensa-t-il.

Son dépit fut tel que, pendant plus d’une semaine, il prit sur lui de ne se point montrer à la Rèche.

Cette bouderie, le duc de Sairmeuse la devina, et l’exploitant avec l’adresse de l’intérêt en éveil, il en sut tirer le consentement de son fils à l’alliance avec les Courtomieu.

Livré jusqu’alors aux plus cruelles indécisions, Martial avait esquivé toute réponse catégorique. Habilement agacé, il s’écria enfin:

– Soit!… j’épouse Mlle Blanche.

Le duc n’était pas homme à laisser refroidir ces bonnes dispositions.

En moins de quarante-huit heures, les démarches officielles furent faites; on rédigea un projet de contrat, les paroles furent échangées et on décida que le mariage serait célébré au printemps.

C’est à Sairmeuse qu’eut lieu le dîner des fiançailles, dîner d’autant plus gai qu’où y célébrait deux petites victoires.

Le duc de Sairmeuse venait de recevoir, avec son brevet de lieutenant-général, une commission qui lui attribuait un commandement militaire à Montaignac.

Le marquis de Courtomieu, qui avait à faire oublier les adulations prodiguées à l’empereur, venait d’obtenir la présidence de la Cour prévôtale, instituée à Montaignac, pour y servir les haines et les terreurs de la Restauration…

Mlle Blanche triomphait. Après cette fête, déclaration publique, Martial se trouvait lié.

En effet, pendant une quinzaine, il ne la quitta pour ainsi dire pas. Elle le pénétrait d’un charme dont la douceur infinie lui faisait presque oublier la violence de ses sensations près de Marie-Anne.

Malheureusement, l’orgueilleuse héritière ne sut pas résister au plaisir de risquer une allusion assez obscure, du reste, à ce qu’elle appelait la «bassesse des anciennes inclinations du marquis.» Elle trouva l’occasion de dire qu’elle faisait travailler Marie-Anne pour l’aider à vivre.

Martial se contraignit à sourire, mais l’indignité du procédé le forçait de plaindre Marie-Anne…

Et le lendemain même, il courait chez M. Lacheneur.

À la chaleur de l’accueil qui lui fut fait, toutes ses rancunes se fondirent, tous ses soupçons s’évaporèrent… La joie de le revoir éclatait même dans les yeux de Marie-Anne; il le remarqua bien…

– Oh!… je l’aurai!… pensa-t-il.

C’est qu’en réalité on était bien heureux de son retour. Fils du commandant des forces militaires de Montaignac, gendre ou autant dire du président de la Cour prévôtale, Martial devenait un instrument précieux.

– Par lui, avait dit Lacheneur, nous aurons l’œil et l’oreille dans le camp ennemi… Le marquis de Sairmeuse, le fat, sera notre espion…

Il le fut, car il eut vite repris l’habitude de ses visites quotidiennes. Le mois de décembre était venu, les chemins étaient défoncés, mais il n’était pluie, neige, ni boue capables d’arrêter Martial.

Il arrivait vers dix heures, s’asseyait sur un escabeau, contre l’âtre, sous le haut manteau de la cheminée, et il parlait…

Marie-Anne paraissait s’intéresser prodigieusement aux événements; il lui contait tout ce qu’il pouvait surprendre.

Parfois ils restaient seuls…

Lacheneur, Chanlouineau et Jean couraient la campagne pour le «commerce.» Les affaires allaient si bien que M. Lacheneur avait acheté un cheval afin d’étendre ses tournées.

Mais le plus souvent les causeries de Martial étaient interrompues… Il eût dû être surpris de la quantité de paysans qui se présentaient pour parler à M. Lacheneur. C’était une interminable procession. Et à tous ces clients, Marie-Anne avait quelque chose à dire en secret. Puis, elle offrait à boire… La maison était comme un cabaret…

Qui ne sait où l’âpreté des convoitises peut mener un homme amoureux!… Rien ne chassait Martial. Il plaisantait avec les allants et venants, il donnait une poignée de main, à l’occasion, il lui arrivait de trinquer…