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Les charrettes annoncées par Martial, et qui portaient le mobilier et les effets de M. Lacheneur, arrivaient.

Ce bruit, Martial l’entendit de la maison, car il sortit, et après lui parurent M. Lacheneur, son fils, Chanlouineau et Marie-Anne.

Tout ce monde aussitôt s’employa à débarrasser les charrettes, et positivement, aux mouvements du jeune marquis de Sairmeuse, on eût juré qu’il commandait la besogne; il allait, venait, s’empressait, parlait à tout le monde, et même par moments ne dédaignait pas de donner un coup de main.

– Il est dans cette maison comme chez lui, se disait Mlle Blanche… quelle horreur! un gentilhomme… Ah! cette dangereuse créature lui ferait faire tout ce qu’elle voudrait…

Ce n’était rien… une troisième charrette apparaissait, traînée par un seul cheval, et chargée de pots de fleurs et d’arbustes.

Cette vue arracha à Mlle de Courtomieu un cri de rage qui devait porter l’épouvante dans le cœur de tante Médie.

– Des fleurs!… dit-elle d’une voix sourde, comme à moi!… Seulement, il m’envoie un bouquet, et pour elle, il dépouille les massifs de Sairmeuse.

– Que parles-tu donc de fleurs? interrogea la parente pauvre.

Mlle Blanche eût voulu répondre qu’elle ne l’eût pu. Elle étouffait… Et cependant elle se contraignit à rester là trois longues heures, tout le temps qu’il fallut pour tout rentrer…

Les charrettes étaient parties depuis un bon moment déjà, quand enfin Martial reparut sur le seuil de la maison.

Marie-Anne l’avait accompagné et ils causaient… Il semblait ne pouvoir se décider à partir…

Il se décida cependant, et s’éloigna doucement, comme à regret… Marie-Anne, restée sur la porte, lui adressait un geste amical.

– Je veux parler à cette créature! s’écria Mlle Blanche… Viens, tante Médie… il le faut…

Il n’y a pas à en douter: si Marie-Anne se fût trouvée en ce moment à portée de la voix, Mlle de Courtomieu laissait échapper le secret des souffrances qu’elle venait d’endurer.

Mais de l’endroit du bois où s’était établie Mlle Blanche, jusqu’à la pauvre maison de Lacheneur, il y avait bien cent mètres d’un terrain très en pente, sablonneux, malaisé, et tout entrecoupé de bruyères et d’ajoncs.

Il fallait à Mlle Blanche une minute pour traverser cet espace, et c’était assez de cette minute pour changer toutes ses idées.

Elle n’avait pas franchi le quart du chemin, que déjà elle regrettait amèrement de s’être montrée. Mais il n’y avait plus à reculer, Marie-Anne, debout sur le seuil de sa porte, devait l’avoir vue.

Il ne lui restait qu’à profiter du reste de la route, pour se remettre, pour composer son visage… elle en profita.

Elle avait aux lèvres son meilleur, son plus doux sourire, quand elle aborda Marie-Anne. Pourtant elle était embarrassée, elle ne savait trop de quel prétexte colorer sa visite, et pour gagner du temps elle feignait d’être très essoufflée, presque autant que tante Médie.

– Ah!… on n’arrive pas aisément chez vous, chère Marie-Anne, dit-elle enfin, vous demeurez sur une montagne…

Mlle Lacheneur ne disait mot. Elle était extrêmement surprise et ne savait pas le cacher.

– Tante Médie prétendait connaître le chemin, continua Mlle Blanche, mais elle m’a égarée… n’est-ce pas, tante?

Comme toujours, la parente pauvre approuva, et sa nièce poursuivit:

– Mais, enfin, nous voici… Je n’ai pu, ma chérie, me résigner à rester sans nouvelles de vous, surtout après votre malheur. Que devenez-vous? Ma recommandation vous a-t-elle procuré le travail que vous espériez?

Sans défiances aucunes, Marie-Anne devait être prise au ton d’intérêt touchant de son ancienne amie. C’est donc avec la plus entière franchise, sans faste de douleur comme sans fausse honte, qu’elle avoua l’inanité de presque toutes ses démarches. Même, il lui avait semblé que plusieurs personnes avaient pris plaisir à la mal recevoir…

Mais Mlle Blanche n’écoutait pas. À deux pas d’elle étaient les caisses d’arbustes apportées de Sairmeuse, et leurs parfums rallumaient sa colère.

– Du moins, interrompit-elle, vous avez ici de quoi vous faire presque oublier les jardins de Sairmeuse… Qui donc vous a envoyé ces belles fleurs?

Marie-Anne devint pourpre, resta un moment interdite, et enfin répondit ou plutôt balbutia:

– C’est… une attention de M. le marquis de Sairmeuse.

– Ainsi, elle avoue!… pensa Mlle de Courtomieu, stupéfaite de ce qu’elle jugeait une insigne impudence.

Mais elle réussit à cacher sa rage sous un grand éclat de rire, et c’est sur le ton de la plaisanterie qu’elle dit:

– Prenez garde, chère amie, je vais vous en vouloir; c’est de mon fiancé que vous avez accepté ces fleurs…

– Comment, le marquis de Sairmeuse…

– … a demandé la main de votre amie, oui, ma belle mignonne, et mon père la lui a accordée. C’est encore un grand secret, mais je ne vois nul danger à le confier à votre amitié.

Elle croyait ainsi percer le cœur de Marie-Anne, mais elle eut beau l’observer, elle ne surprit pas sur son visage le plus léger tressaillement.

– Quel héroïsme de dissimulation! pensa-t-elle.

Puis, tout haut, avec un effort de gaieté, elle reprit:

– Et le pays verra deux noces en même temps, car vous allez vous marier aussi, ma chérie?…

– Moi!…

– Oui, vous… vilaine cachottière! Tout le monde sait bien que vous épousez un jeune homme des environs, qui se nomme… attendez… je sais… Chanlouineau!

Ainsi ce bruit qui désolait Marie-Anne lui revenait de tous les côtés, ironique, persistant.

– Tout le monde se trompe, dit-elle avec trop d’énergie, jamais je ne serai la femme de ce jeune homme.

– Tiens!… pourquoi donc? On le dit très bien de sa personne et assez riche…

– Parce que… balbutia Marie-Anne, parce que…

Le nom de Maurice d’Escorval montait à ses lèvres, malheureusement elle ne le prononça pas, arrêtée qu’elle fut par un regard étrange de son ancienne amie. Que de destinées ont tenu à une circonstance tout aussi futile en apparence!

– Coquine!… pensait Mlle Blanche, impudente!… il lui faudrait un marquis de Sairmeuse.

Et comme Marie-Anne s’embarrassait à chercher une excuse plausible, elle reprit d’un ton froid et railleur qui laissait à la fin deviner toutes ses rancunes.

– Vous avez tort, ma chère, croyez-moi, de refuser ce parti. Ce Chanlouineau vous éviterait, en tout cas, la pénible obligation de travailler de vos mains et d’aller de porte en porte quêter de l’ouvrage qu’on vous refuse. Mais n’importe, je serai, moi – elle appuyait sur ce mot – plus généreuse que vos anciennes connaissances… J’ai des bandes de jupons à broder, je vous les enverrai par ma femme de chambre, vous vous entendrez ensemble pour le prix… Allons, adieu, ma chère!… Viens-tu, tante Médie?