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Il lui avait bien jeté tante Médie, mais en trois mois la parente pauvre avait été rompue, brisée, assouplie, au point de ne compter plus.

Souvent le marquis se révoltait, mais neuf fois sur dix il payait cher ses tentatives de rébellion. Quand Mlle Blanche arrêtait sur lui, d’une certaine façon, ses yeux froids et durs comme l’acier, tout son courage s’envolait. Avec lui, d’ailleurs, elle maniait l’ironie comme un poignard empoisonné, et connaissant les endroits sensibles, elle frappait avec une admirable précision.

– Ce n’est pas une fille que j’ai, pensait parfois le marquis avec une sorte de désespoir, c’est une seconde conscience, bien autrement cruelle que l’autre…

Pour comble, Mlle Blanche faisait frémir son père.

Il savait de quoi sont capables ou plutôt il se demandait de quoi ne sont pas capables ces filles blondes, dont le cœur est un glaçon et la tête un brasier, qui rien n’émeut et que tout passionne, qu’une incessante inquiétude d’esprit agite, et que la vanité mène.

– Qu’elle s’amourache du premier faquin venu, pensait-il, et elle me plante là sans hésiter… Quel scandale, alors, dans le pays!…

C’est dire de quels vœux il appelait le bon, l’honnête jeune homme qui, en épousant Mlle Blanche, le délivrerait de tous ses soucis.

Mais où le prendre, ce libérateur?…

Le marquis avait annoncé partout, et à son de trompe, qu’il donnait à sa fille un million de dot. Comme de raison, ce mot magique avait mis sur pied le ban et l’arrière-ban des épouseurs, non-seulement de l’arrondissement, mais encore des départements voisins.

On eût rempli les cadres d’un escadron sur le pied de guerre, rien qu’avec les ambitieux qui avaient tenté l’aventure.

Malheureusement, si dans le nombre quelques-uns convenaient assez à M. de Courtomieu, nul n’avait eu l’heur de plaire à Mlle Blanche.

Son père lui présentait-il quelque prétendant, elle l’accueillait gracieusement, elle se parait pour lui de toutes ses séductions; mais dès qu’il avait tourné les talons, d’un seul mot qu’elle laissait tomber de la hauteur de ses dédains, elle l’écartait.

– Il est trop petit, disait-elle, ou trop gros… il n’est pas assez noble… Je le crois fat… Il est sot… son nez est mal fait!…

Et à ces jugements sommaires, pas d’appel. On eût vainement insisté ou discuté. L’homme condamné n’existait plus.

Cependant, la revue des prétendants l’amusant, elle ne cessait d’encourager son père à des présentations, et le pauvre homme battait le pays avec un acharnement qui lui eût valu des quolibets s’il eût été moins riche.

Il désespérait presque, quand la fortune ramena à Sairmeuse le duc et son fils. Ayant vu Martial, il eut le pressentiment de la libération prochaine.

– Celui-là sera mon gendre, pensa-t-il.

Le marquis professait ce principe qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Aussi, dès le lendemain, laissait-il entrevoir ses vues au duc de Sairmeuse.

L’ouverture venait à propos.

Arrivant avec l’idée de se créer à Sairmeuse une petite souveraineté, le duc ne pouvait qu’être ravi de s’allier à la maison la plus ancienne et la plus riche du pays après la sienne.

La conférence de ces deux vieux gentilshommes fut courte.

– Martial, mon fils, dit le duc, a de son chef cent mille écus de rentes…

– J’irai, pour ma fille, jusqu’à… oui, jusqu’à quinze cent mille francs, prononça le marquis.

– Sa Majesté a des bontés pour moi… j’obtiendrai pour Martial un poste diplomatique important…

– Moi, j’ai, en cas de malheur, beaucoup d’amis dans l’opposition…

Le traité était conclu, mais M. de Courtomieu se garda bien d’en parler à sa fille. Lui dire combien il souhaitait cette alliance, eût été lui donner l’idée de la repousser. Laisser aller les choses lui parut le plus sûr…

La justesse de ses calculs lui fut démontrée, un matin que Mlle Blanche fit irruption dans son cabinet.

– Ta capricieuse fille est décidée, père, lui dit-elle péremptoirement… elle serait heureuse de devenir la marquise de Sairmeuse.

Il fallut à M. de Courtomieu beaucoup de volonté pour dissimuler la joie qu’il ressentait; mais il songea qu’en en laissant apercevoir quelque chose, il perdrait peut-être tout.

Il présenta quelques objections, elles furent vivement combattues, et enfin, il osa dire:

– Voici donc un mariage à moitié fait. Déjà une des parties consent. Reste à savoir si l’autre…

– L’autre consentira, déclara l’orgueilleuse héritière.

Et dans le fait, depuis plusieurs jours déjà, Mlle Blanche appliquait toutes ses facultés à l’œuvre de séduction qui devait faire tomber Martial à ses genoux.

Après s’être avancée, avec une inconséquence calculée, sûre de l’impression produite, elle battait en retraite, manœuvre trop simple pour ne pas réussir toujours.

Autant elle s’était montrée vive, spirituelle, coquette, rieuse, autant peu à peu elle devint timide et réservée. La pensionnaire étourdie parut s’effacer sous la vierge.

Elle joua pour Martial, et avec quelle perfection! cette comédie divine du premier amour. Il put observer les naïves pudeurs et les chastes appréhensions de ce cœur qui semblait s’éveiller pour lui. Paraissait-il, Mlle Blanche rougissait et se taisait. Pour un mot elle devenait confuse. On ne vit plus ses beaux yeux qu’à travers les franges soyeuses de ses sourcils.

Qui lui avait enseigné cette politique de la coquetterie la plus raffinée?… On dit que le couvent est un grand maître.

Mais ce qu’on ne lui avait pas appris, ce qu’elle ignorait, c’est que les plus habiles deviennent dupes de leurs mensonges; c’est que les grandes comédiennes finissent toujours par verser de vraies larmes.

Elle le comprit un soir où une plaisanterie du duc de Sairmeuse lui révéla que Martial allait tous les jours chez Lacheneur.

Ce qu’elle ressentit alors ne pouvait se comparer au frémissement de jalousie, de colère plutôt, qui déjà l’avait agitée.

Ce fut une douleur aiguë, âpre, intolérable, la sensation d’une lame rougie déchirant ses chairs.

La première fois, tout en rêvant une vengeance, elle avait pu garder son sang-froid; cette fois, non.

Pour ne pas se trahir, elle dut quitter le salon précipitamment. Elle courut s’enfermer dans sa chambre, et là éclata en sanglots.

– Ne m’aimerait-il donc pas! murmurait-elle:

Cette pensée la glaçait, et elle, l’orgueilleuse héritière, pour la première fois elle douta de soi.