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Elle songea que Martial était assez noble pour se moquer de la noblesse, trop riche pour ne pas mépriser l’argent, et qu’elle-même n’était sans doute ni si jolie ni si séduisante qu’elle le croyait et que le disaient ses flatteurs.

Elle pouvait n’être pas aimée… elle tremblait de ne l’être pas.

Tout cependant, dans la conduite de Martial, et Dieu sait avec quelle fidélité sa mémoire la lui rappelait depuis une semaine, tout était fait pour lui rendre quelque assurance.

Il ne s’était pas déclaré formellement, mais il était parfaitement clair qu’il lui faisait la cour. Ses façons avec elle étaient celles du plus respectueux et en même temps du plus épris des amants. À certains moments, elle l’avait troublé, elle en était sûre. Il lui semblait entendre encore le tremblement de sa voix, à quelques phrases qu’il avait murmurées à son oreille…

Mlle Blanche se rassurait à demi, quand le souvenir soudain d’une conversation surprise entre deux de ses parentes illumina les ténèbres où elle se débattait.

L’une de ces deux jeunes femmes racontait en pleurant que son mari, qu’elle adorait, avait une liaison avant son mariage, et qu’il ne l’avait pas rompue.

Épouse légitime, elle était entourée de soins et de respects; on lui faisait la charité des apparences, mais l’autre avait la réalité, l’amour.

Cette pauvre femme ajoutait encore que cette situation la rendait la plus misérable des créatures, qu’elle se taisait pourtant et dévorait ses larmes en secret, redoutant, au premier mot de reproche, de voir son mari l’abandonner ou cesser de se contraindre…

Cette confidence, autrefois, avait fait rire Mlle Blanche, et l’avait indignée en même temps.

– Peut-on être lâche à ce point!… s’était-elle dit.

Maintenant, il lui fallait bien reconnaître qu’elle avait raisonné la passion comme un aveugle-né la lumière. Et elle se disait:

– Qui me garantit que Martial ne songe pas à se conduire comme le mari de ma parente?…

Mais comme jadis, tout lui paraissait préférable à l’ignominie d’un partage.

– Il faudrait écarter Marie-Anne, pensait-elle, la supprimer… mais comment?…

Il faisait jour depuis longtemps que Mlle Blanche délibérait encore, hésitant entre mille projets contradictoires et plus impraticables les uns que les autres.

Pour la rappeler à la réalité, il ne fallut rien moins que l’entrée de sa camériste, qui lui apportait un énorme bouquet de roses envoyé par Martial…

– Comment, mademoiselle ne s’est pas couchée!… fit cette fille surprise.

– Non!… je me suis endormie sur ce fauteuil et je m’éveille à l’instant. Il est inutile de parler de cela.

Elle avait pris les roses, et tout en les disposant dans un grand vase du Japon, elle baignait d’eau froide ses paupières gonflées par les premières larmes sincères qu’elle eût répandues depuis qu’elle était au monde.

À quoi bon!… Cette nuit d’angoisses et de rages solitaires avait pesé plus qu’une année sur le front de l’orgueilleuse héritière.

Elle était si pâle et si triste, si différente d’elle-même, lorsqu’elle parut à l’heure du déjeuner, que tante Médie s’inquiéta.

Mlle Blanche avait préparé une excuse, elle la donna d’un ton si doux que la parente pauvre en fut saisie, comme d’un miracle.

M. de Courtomieu n’était guère moins intrigué.

– De quelle nouvelle lubie cette contenance était-elle la préface?… pensait-il.

Il devint inquiet pour tout de bon, quand, au moment où il se levait de table, sa fille lui demanda un instant d’entretien.

Il la précéda dans son cabinet, et dès qu’ils y furent seuls, sans laisser à son père le temps de s’asseoir, Mlle Blanche le supplia de lui apprendre sans réticences tout ce qui avait dû se passer et se dire entre le duc de Sairmeuse et lui, si les conditions d’une alliance étaient arrêtées, où en étaient les choses, et enfin si Martial avait été prévenu et ce qu’il avait répondu.

Sa voix était humble, son regard humide, tout en elle trahissait la plus affreuse anxiété.

Le marquis était ravi.

– Mon imprudente a voulu jouer avec le feu… se disait-il en caressant son menton glabre, et, par ma foi! elle s’est brûlée.

Ce moment le vengeait délicieusement de quantité de coups d’épingles qui lui cuisaient encore.

Même, la tentation d’abuser de son avantage traversa son esprit. Il n’osa, craignant un retour.

– Hier, mon enfant, répondit-il, le duc de Sairmeuse m’a formellement demandé ta main, et on n’attend que ta décision pour les démarches officielles… Ainsi, rassurez-vous, belle amoureuse, vous serez un jour duchesse.

Elle cacha son visage entre ses mains, pour dissimuler la rougeur que ce mot «amoureuse» faisait monter à son front. Ce mot jusqu’alors lui paraissait qualifier une monstrueuse faiblesse, indigne et inavouable.

– Tu sais bien ma décision, père, balbutia-t-elle d’une voix à peine distincte, il faut nous hâter…

Il recula, croyant avoir mal entendu.

– Nous hâter? répéta-t-il.

– Oui, père, j’ai des craintes.

– Et lesquelles, bon Dieu?…

– Je te les dirai quand je serai sûre, répondit-elle en s’échappant.

Certes, elle ne doutait pas, mais elle voulait voir de ses yeux, étant de ces âmes qui goûtent une âpre et affreuse jouissance à descendre tout au fond de leur malheur.

Aussi, dès qu’elle eut quitté son père, elle força tante Médie à s’habiller en toute hâte, et, sans un mot d’explication, elle la traîna au bois de la Rèche, à un endroit d’où elle apercevait la maison de Lacheneur.

C’était le jour où M. d’Escorval était venu demander une explication à son ancien ami. Elle le vit arriver d’abord, puis, peu après, arriva Martial…

On ne l’avait pas trompée… elle pouvait se retirer.

Mais non. Elle se condamnait à compter les secondes que Martial passerait près de Marie-Anne…

M. d’Escorval ne tarda pas à sortir, elle vit Martial s’élancer après lui et lui parler.

Elle respira… Sa visite n’avait pas duré une demi-heure, et sans doute il allait s’éloigner. Point. Après avoir salué le baron, il remonta la côte et rentra chez Lacheneur.

– Que faisons-nous ici? demandait tante Médie.

– Ah! laisse-moi!… répondit durement Mlle Blanche; tais-toi!

Elle entendait au haut de la lande comme un bruit de roues, des piétinements de chevaux, des coups de fouet et des jurons.