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À onze heures exactement, il était au rendez-vous. Tout le monde dormait aux Volubilis.

Dans la nuit, il y eut un «psst!»

Pold fit: «Psst!»

– Pold?

– Marguerite?

L’ombre de Marguerite rejoignit bientôt l’ombre de Pold, et les deux ombres s’en allèrent de compagnie vers l’ombre de la villa des Pavots, qui n’était distante que d’une centaine de mètres.

C’était une nuit sans lune.

Arrivés à la porte du jardin des Pavots, Mme Martinet la poussa, fit entrer Pold, referma la porte à clef, mit la clef dans sa poche, puis elle guida son petit ami dans les allées.

Derrière eux, ils ne virent pas une ombre qui se détachait du mur.

Cette ombre gagna avec mille précautions le principal corps de bâtiment de la villa, où elle pénétra par une petite porte. Avant de disparaître, l’ombre, qui avait des mains, puisqu’elle se les frotta d’un geste de contentement, et qui avait une voix, dit:

– Cela va! cela va!… Pauvre M. Martinet!…

L’ombre était celle de sir Arnoldson.

Mais revenons à Pold et à Marguerite, qui avaient fait le tour de la villa. Soudain, ils s’arrêtèrent. Mme Martinet mit une main sur le bras de Pold et son autre main sur sa bouche. Ce double geste signifiait évidemment qu’il fallait s’arrêter et qu’il fallait se taire.

Une large baie était ouverte au rez-de-chaussée de la villa. Une lampe agonisante était placée sur le guéridon d’un salon. Cette lampe, avant de mourir, éclaira d’une lueur dernière le prince Agra, qui était assis au fond de la pièce, devant un orgue.

Et, soudain, vers la nuit, par la croisée entr’ouverte, des sons d’une tristesse infinie et d’une émotion surhumaine montèrent…

Ni Pold, ni Marguerite, ni personne au monde n’eût pu donner un nom à la divine harmonie. Nulle oreille humaine n’avait entendu de tels accords. Cela semblait la lamentation d’une âme à l’agonie, un cri formidable et doux de détresse et de désespérance.

Sous la main d’Agra, le clavier exhalait sa plainte sublime, et la nuit tout entière en tressaillit.

Puis quelques notes encore chantèrent.

Et tout se tut.

Marguerite et Pold ne bougeaient pas. Ils attendaient encore. Le prince Agra vint à la fenêtre, s’y accouda et rêva. Les amoureux étaient dans une anxiété extrême et conservaient l’immobilité la plus absolue. Enfin, Agra ferma la haute fenêtre.

Pold dit à Marguerite:

– C’est le prince Agra. Je l’ai reconnu. Il va nous arriver malheur. Je ferais mieux de m’en aller.

– Il te fait donc bien peur? demanda Marguerite, un peu vexée de l’attitude hésitante de son Pold.

– Peur?… Eh bien, oui! il me fait peur! Et il n’y a qu’un homme qui puisse me faire peur. Je tombe vraiment mal: c’est celui-là.

– Je ne vous savais pas si enfant… glissa sournoisement Marguerite.

Pold se révolta immédiatement:

– Ah! tu crois que je suis un gosse?

– Dame!

Pold, surmontant la crainte d’Agra, entraîna vivement Marguerite. Ils arrivèrent à l’angle du mur de clôture, où s’élevait un pavillon. C’est là que Mme Martinet avait élu domicile. Elle y introduisit Pold, qui n’en sortit qu’à quatre heures du matin.

V L’HOMME DE LA NUIT ATTAQUE

Suivant les indications et les ordres de l’Homme de la nuit, Harrison était revenu à Paris.

Le jour même où Lily avait rencontré dans le bois le jeune homme qui avait produit tant d’impression sur elle, Harrison avait eu, dans un cabaret du quartier des Champs-Élysées, deux longues entrevues: la première avec le cocher de Diane, la seconde avec le concierge de Lawrence, le père Jules, qui, du reste, se disposait à aller rejoindre ses maîtres, aux Volubilis.

Après ces entrevues, il rédigea un long rapport, qu’il expédia à l’auberge Rouge, à l’adresse de Joe; puis, comme le soir tombait, il se dirigea vers le quartier de l’Europe.

Il entra sous la voûte d’une maison de la rue de Moscou où nous avons introduit nos lecteurs dans la première partie de ce récit. Cette maison, on s’en souvient, avait été le théâtre du déshonneur de Mme Martinet et de sa première chute dans les bras de Pold. Là était, au rez-de-chaussée, sur la cour, la garçonnière du jeune homme.

Harrison entra donc dans cette maison et frappa à la fenêtre du concierge. Cette fenêtre s’ouvrit, et une tête y fut immédiatement encadrée.

– Salut, monsieur Harrison, fit la tête. Qu’y a-t-il pour votre service?

– Il n’y aura pas de lune cette nuit, fit Harrison. Et il s’en alla.

Il descendit jusqu’au coin de la rue d’Amsterdam et, là, monta dans un fiacre qui reçut l’ordre de stationner. Cinq minutes plus tard, la même tête qui était apparue à la fenêtre de la loge de la rue de Moscou apparaissait à la portière du fiacre où se trouvait Harrison.

– Eh bien? fit ce dernier.

– Il n’y en a plus qu’un, dit le concierge, qui ne veuille pas déloger. Les autres sont partis.

– Et que veut-il, ce locataire récalcitrant?

– Oh! c’est bien simple, répondit le concierge: il réclame une indemnité double.

– Je te l’apporterai demain, et il s’en ira le jour suivant. C’est entendu?

– Je l’espère.

– Les locataires ont-ils fait des réflexions avant de partir?

– Oui, que le précédent propriétaire leur demandait de l’argent pour qu’ils restent. Et celui-ci leur en donne pour qu’ils s’en aillent. Dans quarante-huit heures, la maison sera déserte. Il n’y aura plus que moi dans ma loge et M. Pold dans sa garçonnière, s’il lui prend fantaisie d’y venir.

– C’est parfait. Rappelle-toi les ordres: Que chaque appartement ait l’air habité; des paillassons aux portes et des rideaux aux fenêtres.

– Comptez sur moi.

– À demain, pour l’indemnité.

– À demain. Le concierge prit congé, remonta la rue de Moscou, et Harrison donna au cocher l’adresse des Folies. Sur les murs du théâtre, le nom de Diane s’étalait en lettres immenses sur des affiches démesurées. On annonçait comme prochaine une représentation exceptionnelle où Diane apparaîtrait dans un jeu fort compliqué de lumières dans une danse de feu dont elle avait, disait-on, seule le secret. Ce secret, ses petites amies prétendaient que c’était le prince Agra qui le lui avait livré, car il ne faisait plus de doute pour personne, maintenant, que le prince était son amant. Cette opinion était corroborée par quelques visites et d’innombrables cadeaux. Harrison alla donc aux Folies, eut une conversation avec le directeur, vit la loge que l’on préparait pour Diane, quitta les Folies, se fit conduire à la gare de l’Est, et, dans la nuit, revint aux Pavots.