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Cela dit, Arnoldson se leva, se mit entre la porte et Adrienne et salua:

– Voilà ce que je voulais vous faire entendre, chère madame. Je suis bien ambigu, bien contourné, prétentieux peut-être dans mes compliments. Je ne sais point faire de compliments… Mais quelque forme qu’ils revêtent, ils sont toujours sincères, madame, oh! très sincères…

– Eh bien! monsieur, si vous êtes mon ami, comme vous le dites, comme vous me l’affirmez… laissez-moi passer, je vous en prie… laissez-moi partir…

– Vous êtes donc bien pressée?

– Oui. J’ai des ordres précis à donner… Je vous l’ai déjà dit, monsieur, je trouve votre insistance étrange… et votre politesse… est presque de… l’impolitesse…

Arnoldson se croisa les bras et ne répondit point à cette fin de phrase. Il se contenta de dire, fort calme:

– Cela tombe bien mal, chère madame, bien mal en vérité!… Vous êtes pressée, je ne le suis point. Vous avez des ordres à donner, les miens sont donnés!…

– Monsieur, si vous ne me laissez passer sur-le-champ, j’appelle… je crie…

– Vous n’appellerez ni ne crierez…

– Et qui m’en empêchera?

– Moi!

– La violence?

– Jamais, madame, jamais! Je vous dirai simplement ceci: «J’ai des choses fort intéressantes à vous raconter qui vous intéressent, vous et vos enfants… Si vous ne m’écoutez pas, ils seront frappés dans leur fortune, et vous… dans votre cœur…» N’est-ce pas, madame, que vous m’écoutez?…

Et il désigna d’un geste impératif un siège à Adrienne. Celle-ci, courbée maintenant sous la terreur que lui inspiraient les paroles de l’Homme de la nuit, obéit et s’assit.

Arnoldson vint prendre place à ses côtés.

– Je savais bien que nous finirions par nous entendre!

– Parlez, monsieur! Parlez vite! Qu’avez-vous voulu dire?

– Oh! ceci, uniquement ceci: c’est que M. Lawrence est en train de se ruiner, de ruiner sa femme et de ruiner ses enfants pour une maîtresse qu’il adore!…

Adrienne fut debout, et d’une voix éclatante:

– C’est faux, monsieur! Vous mentez! Vous mentez affreusement! Vous calomniez mon mari! Vous êtes un misérable!…

Arnoldson sourit:

– J’ai des preuves, madame…

– Des preuves?

– Des preuves indéniables…

Et il rit encore…

– De belles et bonnes preuves… je les ai…

Adrienne se laissa retomber sur sa chaise. Son front brûlait; elle porta ses mains désespérément à son front. Elle était horriblement pâle.

– Oh! dit-elle d’un accent indéfinissable. Oh!… vous avez des preuves!… Montrez-les-moi…

– Je vais vous les montrer, madame, elles sont là! là! là! fit Arnoldson en se frappant la poitrine. Vous voyez comme elles gonflent les poches de ma redingote, mes preuves!… Maintenant que vous êtes sage et que vous m’écoutez gentiment, nous allons, si vous le voulez bien, commencer par le commencement…

Adrienne plongea son visage dans ses mains.

– Pardon, fit Arnoldson, pardon. Je veux voir votre visage…

– Et pourquoi, demanda la malheureuse, voulez-vous voir mon visage? Pour y lire toute la douleur que me font éprouver vos paroles?…

– Est-ce qu’on sait, madame? Mais je serais bien cruel en vérité!… Non, ce n’est pas cela… Je veux voir votre visage parce qu’il me plaît, voilà tout.

Et il lui prit les mains et découvrit cette face douloureuse…

– Oui, continua-t-il, lentement, j’aime votre visage… plus que vous ne le croyez, madame. Vous êtes si belle! Quel est l’homme qui ne l’aimerait pas, votre visage? Et c’est parce que je vous… aime… – oh! madame… en tout bien tout honneur… à mon âge!… – et que je m’intéresse par sympathie à tout ce qui vous touche, que je suis venu vous avertir du malheur qui était suspendu sur votre tête… et qu’il est temps peut-être encore… d’atténuer… Oui, je me suis dit: «Cette pauvre Mme Lawrence, elle si belle, si bonne, si confiante!… Elle ne sait pas ce que c’est que le mal, me disais-je, et ne le soupçonne pas! Elle n’a sûrement jamais fait de mal de sa vie… pas même, eh! eh!… pas même à une mouche! Eh bien! je lui apprendrai ce que c’est que le mal… Cela la fera souffrir… mais cela lui rendra service… Eh! eh! elle m’en voudra d’abord, mais elle m’en sera certainement reconnaissante ensuite…» N’est-ce pas, madame, que vous m’en serez reconnaissante? réclama Arnoldson.

– Oui, monsieur. Mais parlez… parlez… Vous voyez bien que je souffre…

– Ah! comme vous êtes pressée!… Pour une pauvre petite fois que nous nous trouvons ensemble et que nous pouvons dire des choses intéressantes en dehors des importuns… Voyons! Je disais donc que vous m’en seriez reconnaissante… Vous me permettrez, par exemple, de venir vous voir de temps en temps, de vivre plus souvent à côté de vous, dans votre atmosphère, si douce… et puis vous ne retirerez peut-être pas votre main aussi précipitamment que vous l’avez fait, l’autre soir, à l’auberge Rouge, quand je vous l’embrassais le plus chevaleresquement du monde…

Arnoldson voulut, pour donner une conclusion à son préambule, prendre la main d’Adrienne, mais celle-ci la retira avec horreur.

– Ah! monsieur, s’écria-t-elle… Je vous haïssais déjà, mais, maintenant, je vous méprise et je vous maudis… Je comprends les dessous infâmes de votre dénonciation… Faites-la, s’il vous plaît… Elle m’intéresse trop, elle intéresse trop mes enfants pour que je la repousse, mais n’attendez jamais de moi la moindre… la moindre faveur, pas même, vous m’entendez, pas même vos lèvres sur ma main, en échange de votre épouvantable besogne.

Arnoldson fit, en secouant la tête d’un petit air entendu:

– Eh! voilà de nobles accents! Ce M. Lawrence, a-t-il de la chance d’être aimé d’une femme aussi parfaite que vous! Ah! l’insensé, qui ne se doute pas de son bonheur!… Alors, vous croyez que je n’ai rien à attendre de vous, madame?… Ça, c’est une opinion; moi, j’en ai peut-être une autre… En tout cas, c’est votre devoir de me parler ainsi… et moi, c’est le mien de vous dévoiler les vilenies de votre époux… Je commence…

Il continua à parler, regardant toujours Adrienne et semblant se délecter dans une joie abominable à la souffrance qu’elle ne pouvait s’empêcher de manifester.

– Vous avez certainement remarqué, madame, que votre mari n’était plus le même à votre égard, mais plus le même du tout, du tout! Ni à votre égard, du reste, ni à celui des autres… Il est distrait, parle peu, ne s’occupe guère de vous et ne s’intéresse plus au verbiage de ses enfants.