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Aussi était-elle presque gaie, d’une gaieté un peu factice, quand, le soir venu, elle s’assit à la table où ses enfants seuls avaient déjeuné le matin même.

– On a mis un couvert de trop, remarqua-t-elle.

– Mais point du tout, mère, fit Pold. C’est le couvert de papa.

– De ton père? Mais il est à Paris!

– Il doit être maintenant sur la route d’Esbly et il sera ici dans quelques instants…

– Comment cela?

– Je lui avais écrit, mère, que vous étiez très souffrante. Ne doutez point qu’il vienne…

Adrienne embrassa tendrement son fils. Elle voulut attendre, pour commencer le repas, l’arrivée de son mari. Elle attendit une demi-heure, une heure.

Lawrence n’arrivait pas.

– Il aura manqué le train, fit Pold.

Mais, dans la soirée, Lawrence ne vint pas.

– C’est étonnant! Je n’y comprends rien! s’exclamait Pold.

Adrienne songeait.

– Ses affaires l’ont retenu. Il va nous arriver demain.

Mais le lendemain se passa comme la soirée de la veille et Lawrence ne vint pas. Adrienne était reprise de soupçons et, naturellement, selon l’ordre régulier de ces sortes de sentiments, les soupçons se changèrent à nouveau en certitude.

Lawrence la trompait. Son mari était coupable. Arnoldson n’avait dit que l’exacte vérité!

Enfin, on reçut une lettre, une courte lettre, dans laquelle Lawrence disait l’impossibilité en laquelle il se trouvait de quitter en ce moment Paris et ses affaires, à moins que sa présence ne fût rendue absolument nécessaire à Montry… Il pensait qu’il n’en était pas ainsi et qu’Adrienne allait certainement mieux…

Cette lettre fit le plus grand mal à Adrienne.

Elle prouvait une indifférence soudaine à laquelle Lawrence ne l’avait pas préparée. En d’autres temps, à la première nouvelle d’une maladie de sa femme, si bénigne fût-elle, il serait accouru et n’aurait voulu la quitter que complètement rassuré.

Que les temps étaient changés! Comment se pouvait-il qu’une pareille transformation se fût accomplie en quelques jours?

Elle voulait savoir et elle craignait de savoir… Elle ne se sentait pas, à cette heure, la décision nécessaire pour agir. Elle résolut d’attendre la fin de cette semaine, comme le lui avait ordonné l’Homme de la nuit…

Et elle attendit, en effet, dans les larmes, des larmes qu’elle cachait soigneusement à ses enfants.

Ce soir-là, Pold se livra à son escapade coutumière dans le petit pavillon qu’habitait Mme Martinet, au fond du jardin des pavots, chez Arnoldson.

Mme Martinet, qui avait revêtu un léger peignoir pour reconduire Pold jusqu’à la porte du pavillon, lui dit:

– Je suis bien coupable!

– Ça, oui! fit Pold. Ça, oui! Pour être coupable, tu l’es! Mais il n’y a là rien qui doive t’étonner, car voilà déjà quelque temps que tu es coupable…

– Je me fais tous les jours mille reproches. Non point tant à cause de mes devoirs oubliés envers ce pauvre M. Martinet…

– Ah! s’écria Pold, en voilà un qui doit avoir de la veine au jeu!

– Il ne joue jamais.

– Tu devrais lui dire d’aller aux courses. Tu lui dois bien cette réparation-là… Au revoir, Marguerite; il faut que je rentre…

– Eh! mon Dieu! comme tu es pressé! Ce n’est pas encore le jour…

– Ce n’est pas l’alouette!… chantonna Pold.

– Je ne t’ai pas dit pourquoi je me fais mille reproches. C’est que j’ai une peur affreuse de ce que tu peux penser de moi… Comment me juges-tu, mon Pold? Réponds-moi bien franchement… Comme…

– Allez! vas-y!

– Comment, «vas-y!»

– Mais oui, marche… Mais marche donc! Comme…

– Je ne te comprends pas…

– Je parie sur la tête de Martinet que tu vas me dire: «Comme tu dois me mépriser maintenant!»

– Eh bien, cela t’étonne?

– Là! ça y est! Qu’est-ce que je disais!

– C’est d’une honnête femme, monsieur, ces scrupules.

– C’est d’une petite-bourgeoise, madame, déclama Pold, qui haussait les épaules. Comment, madame? comment? vous ne pouvez avoir un pauvre petit amant sans lui demander s’il vous méprise? Ah! madame Martinet, vous êtes bien de la rue du Sentier!

Marguerite était horriblement vexée.

– J’aime mieux être une bourgeoise de la rue du Sentier qu’une cocotte de l’avenue Raphaël! s’écria-t-elle en fermant ses petits poings.

Pold fit, en riant:

– Ah! la méchante! Ah! la vilaine qui insulte sa sœur!…

– Vous ne la méprisez pas, celle-là?

– Je ne la méprise pas…

– Vous l’aimez?

– Je l’adore!…

– Vous dites? demanda Mme Martinet, suffoquée.

– Je dis: «Je l’adore!»

– Vous l’adorez?… Oh!…

Et Marguerite se précipita sur Pold qu’elle griffa au visage.

– Bas les pattes, fit Pold. Tu sais, Marguerite, la moutarde commence à me monter au nez!…

– Ah! tu l’adores!… Tu l’adores!… Eh bien, et moi?…

Pold poussa la porte, se jeta dans le jardin et lui lança cette dernière réplique:

– Toi?… Tu me rases!

Mme Martinet en eut la respiration coupée. Elle alla se recoucher et donna, jusqu’au jour, libre cours à son indignation.

Aussitôt dans le jardin, Pold se dirigea vers la petite porte du mur de clôture qui donnait sur la campagne, du côté de la villa des Volubilis.

Il faisait fort nuit. Pold marchait avec précaution.

Au moment où il se croyait sorti déjà des Pavots, sur le seuil même de cette porte, il sentit tout à coup une main qui se posait sur son épaule.

Il fit un bond et poussa un cri.

Mais la main ne l’avait pas lâché, et l’ombre à laquelle appartenait cette main semblait fort menaçante.

– Monsieur Pold Lawrence, dit l’ombre, veuillez m’écouter un instant, s’il vous plaît.