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IX OÙ LE LECTEUR COMMENCERA À VOIR CLAIR DANS CETTE TÉNÉBREUSE AFFAIRE

Arnoldson, qui n’en était pas à un mensonge près, avait donc dit à Pold, dans un but que l’on comprendra bientôt, que Diane n’aimait plus le prince Agra.

C’était bien la chose la plus fausse du monde, et, depuis un mois environ que Diane avait juré obéissance au prince, son amour avait atteint les extrêmes limites de la plus violente passion.

Et, cependant, le prince, s’il s’était montré chez Diane et avec Diane à plusieurs reprises, le prince n’était point son amant!

Son pouvoir sur cette femme était tel qu’il avait pu se refuser si longtemps sans avoir à craindre une révolte finale qui l’eût déliée de lui.

Sa générosité, mieux que cela: sa folle somptuosité tenait Diane en haleine. Enfin, à cette heure, tout Paris parlait du palais grandiose que le prince faisait élever avenue du Bois-de-Boulogne à celle que tous croyaient sa maîtresse.

Une armée d’ouvriers y travaillait nuit et jour.

– Patience! disait-il à Diane, patience! Je veux que nous ayons là une demeure digne de nos amours…

Et quand Diane était trop lasse, trop fatiguée d’attendre et qu’elle ne pouvait s’empêcher de lui dire son supplice, en le priant avec des larmes d’y mettre fin, Agra disait:

– J’ai fait un vœu, Diane. Je poursuis une œuvre, une grande œuvre de réparation et de justice. Nous ne serons point l’un à l’autre avant qu’elle ne soit accomplie…

– Et vous m’y avez associée, disait-elle, très grave. Certes, j’obéis en aveugle; je ne sais où je vais, j’ignore la raison de mes actes… Ce doit être bien terrible, ce que vous avez entrepris, prince Agra, bien terrible, si j’en juge par ce que je vois.

– Que voyez-vous?

– Je vois Lawrence…

– Certes, dit-il, d’une parole glacée, je suis content de vous, Diane… et vous avez fait de Lawrence une misérable chose…

– Si misérable! insista-t-elle. Si misérable! si vous saviez!

– Il faudra montrer cela à Arnoldson, fit Agra.

– Quoi donc?

– Mais la misère de cet homme…

– Et pourquoi à Arnoldson?

– Parce qu’il aime ce genre de spectacle, madame, et que tout ce qui m’intéresse le touche.

– Prince, dites à Arnoldson d’être dans ma loge, le soir de la première aux Folies, à dix heures. Vraiment, fit-elle avec un sourire lamentable, s’il se réjouit de la souffrance des hommes, il passera quelques minutes divines…

Car elle avait suivi férocement le programme que lui avait inspiré Agra. Lawrence n’était plus qu’un pauvre être à ses pieds. Elle fut sans pitié, et tout ce qu’une femme peut avoir en elle ou imaginer d’artifices, de mensonge, d’impudeur et de coquetterie, elle en usa avec une science infinie du cœur des hommes et de ses faiblesses, de ses fatales défaillances, tour à tour se donnant, puis se reprenant au moment où on allait la prendre, où le malheureux espérait qu’il allait enfin réaliser le rêve de sa chair, se faisant désirer d’une furieuse ardeur et fermant sa porte soudain, alors qu’elle venait à peine de l’entr’ouvrir.

Et le malheureux pleurait de rage, râlait d’amour, parlait de tuerie et de suicide. Mas il ne tuait ni ne se suicidait, et se soumettait, au contraire, et se ruinait en cadeaux inutiles.

Car il crut que cette femme se donnerait à lui pour de l’argent, et il compromit sérieusement sa fortune, celle de sa femme et de ses enfants.

Arnoldson n’avait que trop dit la vérité à la malheureuse Adrienne.

Ce jeu ne cessait pas. Plus les jours s’écoulaient et plus Diane se montrait cruelle. Elle agissait maintenant non seulement par obéissance à Agra, mais par haine de Lawrence. Elle lui avait une inimitié mortelle de ce qu’il s’était placé entre elle et Agra et le considérait comme la cause du retard que le prince mettait à leur bonheur.

Nous voici donc le soir de cette représentation aux Folies où Diane, qui avait toujours l’amour de la scène et qui n’avait pu vaincre ses instincts de cabotinage, allait s’exhiber dans la danse du feu.

Le Tout-Paris des premières était là, et des loges avaient été louées fort cher par des amis de Diane qui voulaient lui faire un triomphe.

Une avant-scène avait été retenue pour le prince Agra, mais cette avant-scène restait vide.

Il était dix heures du soir, et Diane se trouvait dans sa loge. Elle s’était livrée à la camériste et procédait aux premiers détails de sa toilette de scène quand on frappa à la porte.

– Qui est là? cria Diane sans se retourner.

– Arnoldson.

– Allez ouvrir, Jenny.

Jenny ouvrit à Arnoldson. Celui-ci vint saluer Diane, qui sans lui dire un mot de bienvenue, lui désigna, au fond de la loge, une tenture qui retombait sur une petite porte communiquant avec une sorte de cabinet de débarras.

Arnoldson alla se dissimuler dans ce cabinet. Pas un mot n’avait été échangé entre eux.

Dix minutes s’écoulèrent. Diane s’était fardée et maquillée selon le rite, quand on frappa de nouveau à la porte de sa loge.

Lawrence entra. Il déposa son chapeau sur un guéridon, vint baiser la main de Diane, qui lui dit: «Bonsoir, mon ami» et s’assit.

– Je vous demande pardon de ne point vous avoir reçu ce matin, fit Diane: j’avais une migraine atroce.

– Et hier soir, Diane, demanda Lawrence, aviez-vous votre migraine?

– Non, mais j’étais de si méchante humeur que je ne voulus point vous la faire supporter.

– J’aime mieux vous voir souffrir et je préfère supporter votre mauvaise humeur que de ne point vous voir, Diane, vous le savez.

– Mon cher Maxime, on n’a jamais le dernier mot avec vous. Même quand vous avez raison, si vous m’aimez réellement, vous devriez bien accepter d’avoir tort.

– Je suis le plus malheureux des hommes, Diane, vous me dédaignez.

– Quelle erreur est la vôtre, cher ami! Si j’étais une de ces femmes qui se donnent avec la rapidité que vous semblez souhaiter, vous seriez le premier à le regretter… Les hommes sont bien étranges…

– Voilà un mois que je vous prouve ma fidélité et que vous me donnez des espérances que vous ne réalisez jamais.

– Cela viendra, cela viendra…

– J’en doute…

– Alors, que faites-vous ici?

Lawrence dit, d’une voix suppliante:

– J’attends que vous soyez meilleure. Je ne puis supposer une seconde que vous m’ayez supporté si longtemps si ce n’est que pour me repousser à jamais!… Pourquoi avez-vous fait tout ce qu’il faut pour que je vous aime, Diane, si vous voulez éternellement me refuser votre amour?