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Jenny entrait. Diane lui dit d’ouvrir à Lawrence la porte de la loge. Celui-ci s’en alla en se heurtant aux meubles comme un homme ivre.

Quand il fut parti, Arnoldson sortit de sa cachette. Un sourire effrayant illuminait cette figure horriblement joyeuse.

– Cela n’est pas mal, fit-il, ma petite Diane.

D’un geste familier, il frotta ses longues mains osseuses.

– Mais nous aurons mieux! beaucoup mieux!… Dites-moi donc, madame, les lettres de Lawrence…

– Le prince, avec qui j’ai eu un long entretien hier, m’a priée de les mettre de côté et de vous les donner si vous me les demandiez… Qu’en ferez-vous? Je n’ose, je ne veux pas y penser… Mais, puisque le prince veut qu’il en soit ainsi, je vous les donnerai, monsieur…

Diane avait dit cela d’une voix basse et désigna du doigt Jenny.

– Ah! votre soubrette, madame? fit tout haut l’Homme de la nuit. Mais Jenny vous est d’autant plus fidèle, à vous qu’elle m’est entièrement dévouée, à moi… N’est-ce pas, Jenny?

– C’est vrai, madame…

– Eh! quoi? mes domestiques?… interrogea anxieusement Diane.

– Vos domestiques, madame, sont d’abord les nôtres. Ne craignez rien: nous achetons les gens assez cher pour ne point craindre la concurrence.

– Ah! mon Dieu! fit Diane… De telle sorte que je ne puis faire un pas, une démarche, prononcer une parole sans que tout cela soit su de vous?…

– J’ai l’honneur de vous en prévenir, madame…

Diane paraissait épouvantée.

– Calmez-vous, lui dit Arnoldson avec son hideux sourire. Tout ceci se terminera bien pour vous…

Diane, tremblante, demanda:

– Alors, les lettres…

– Vous les garderez!

– Elle ne vous serviront donc pas?

– Mais certainement, madame, elles me serviront. J’en ai même un besoin urgent.

– Aussi je vous les offre…

– Mais je n’en veux pas.

– Je ne comprends plus.

– Croyez-moi, madame, dans toute cette histoire, il vaut mieux que vous ne compreniez pas… Écoutez-moi donc… Voici ce que vous allez faire.

– Qu’est-ce encore, grands dieux?

– La chose la plus simple. Ces lettres sont dans le tiroir d’un secrétaire de votre chambre?

– Oui, monsieur. Comment savez-vous cela?

– C’est Jenny qui me l’a dit. N’est-ce pas, Jenny?

Jenny approuva d’un signe de tête.

– Je chasserai Jenny!

– Vous ne la chasserez pas, car, si vous la remplaciez, vous ne changeriez rien à la situation particulière dans laquelle vous a mise votre liaison avec Agra. On obéit au prince, et le prince ne veut pas que vous chassiez Jenny.

– Continuez, monsieur. Ces lettres sont dans mon secrétaire… Eh bien?

– Eh bien, vous les y laisserez! Seulement…

– Seulement?

– Seulement, ce secrétaire a une clef. Vous allez me la donner.

– Oui, monsieur.

– D’autre part, Jenny va me donner la clef de la petite porte qui donne sur l’avenue Prud’hon et grâce à laquelle elle peut introduire dans votre hôtel, presque tous les soirs, son amant, un jeune homme qui est apprenti tapissier dans une maison de la rue du Sentier et qui répond au doux nom de Victor.

– C’est vrai, Jenny? s’écria Diane.

– C’est vrai, madame, fit Jenny en baissant pudiquement les paupières.

– Donnez votre clef, fit Diane.

Jenny tendit la clef.

– Victor en sera quitte pour revenir une autre fois ou pour faire une autre clef, dit Arnoldson.

– Victor ne devait pas venir ce soir, monsieur, car il sait que nous rentrerons très tard.

– Oui, madame, fit Arnoldson, vous ne rentrerez pas avant deux heures ou trois heures du matin chez vous.

– Et pourquoi?

– Je crois que le prince Agra vous mènera souper ce soir, au sortir des Folies.

– Ah! si vous pouviez dire vrai!

– Je vous le promets.

– Merci, monsieur. Voici la clef de mon secrétaire. Et faites selon votre bon plaisir.

Arnoldson, qui avait déjà pris des mains de Jenny la clef de la petite porte, prit des mains de Diane la clef de son secrétaire.

– C’est tout de même bizarre, conclut Diane, que vous réclamiez la clef de la petite porte d’un hôtel quand vous pouvez y entrer par la grande à toute heure du jour et de la nuit, et la clef d’un secrétaire pour y prendre des lettres que je ne mets aucune difficulté à vous livrer.

– Madame, dit Arnoldson sur un dernier salut, la vie n’est faite que de contradictions…

Il allait partir, quand il sembla se raviser.

– Dites donc, madame, j’ai quelqu’un à vous présenter ce soir.

– Qui donc?

– Oh! quelqu’un que vous connaissez très bien… Un jeune homme qui viendra vous féliciter après votre succès… disons le mot: votre triomphe, tout à l’heure.

– Mais son nom?

– Il s’appelle Pold, et c’est presque un enfant.

Diane s’écria:

– Pold Lawrence! mais c’est le fils du malheureux que vous m’avez donné à torturer… Oui, une nuit, j’aimai cet enfant… C’est un brave enfant que le prince me fit chasser… pour son bonheur… car, lorsque je vois ce qu’il est advenu du père, je n’ose pas me demander ce qu’il adviendrait du fils. Enfin, que voulez-vous de lui?

– De lui? Rien madame. Mais, de vous, nous voulons que vous le receviez comme un de vos amis, qu’il fut, et comme un brave enfant qu’il est, dites-vous vous-même.

– Vos sentiments ou, du moins, ceux du prince à cet égard sont donc bien changés?

– Il paraît.

Diane se leva, effrayée:

– Vous n’allez pas me demander de martyriser le fils comme je martyrise le père… Oh! cela, ce serait trop affreux!

– Non, madame. Dites-lui quelques bonnes paroles ce soir… Et ce sera tout, madame… tout… Ce sera bien suffisant.

Sur ces mots, Arnoldson quitta la loge et descendit dans la salle.