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Un jeune homme était là. Elle leva vers lui son regard si pur. Lily n’avait jamais rien vu de plus beau que ce promeneur.

Elle contemplait inconsciemment ce visage aux traits si doux et si tristes, ces yeux clairs qui s’attachaient sur elle…

Il était vêtu de blanc. Il la salua, lui sourit et dit:

– Vous ne pouvez, mademoiselle, traverser ce ruisseau, les pierres de l’an dernier ne sont plus là.

Il alla aux pierres, souleva la plus lourde et l’apporta à la place qu’elle occupait autrefois dans le ruisseau. Il fit de même d’une autre pierre, puis d’une autre.

Lily ne disait mot et le regardait toujours. Il y avait entre les pierres un assez large espace. L’inconnu alla au centre de ce pont improvisé et tendit la main à la jeune fille. Quand elle sentit ce contact, l’émotion qui la gagnait depuis quelques instants devint intense. Son pied glissa, mais le jeune homme la retint par la taille. Une seconde qu’elle n’oublierait pas.

Elle se retourna vers l’étranger, leurs regards se croisèrent encore. Il saluait maintenant et remontait la pente abrupte du coteau. Arrivé au sommet, il se retourna, lui adressa un dernier salut et disparut.

Dans l’après-midi, Pold retourna au bois et fit une longue sieste sous les arbres. Il était encore plongé dans une vague somnolence quand un bruit de voix le réveilla tout à fait. Il fut tout surpris de reconnaître la voix de M. Martinet. Cette voix faisait beaucoup de bruit.

– Qu’est-ce qu’il y a encore eu? Qu’est-ce qu’il y a encore eu? criait la voix.

Et une autre, qui était celle de l’épouse de M. Martinet, répondait, très calme:

– Mais rien du tout, mon ami, il n’y a rien eu du tout, je t’assure!

– Si, si, reprenait plus fortement encore M. Martinet. Je suis persuadé qu’il y a encore eu quelque chose. La façon dont tu m’as dit: «J’ai vu M. Pold ce matin en arrivant ici» me prouve qu’il s’est passé quelque chose. Enfin, tu viens de me dire: «Je te prie de me laisser tranquille avec ce gamin-là: il ne m’intéresse plus.» Eh bien, tout cela n’est pas clair!… Moi, il m’intéresse. Tu entends? C’est mon ami!… Je suis sûr que tu auras encore voulu lui faire de la morale… le ramener dans le droit chemin, comme tu dis, et, comme il s’en fiche, de la morale, et qu’il fait bien, vous vous êtes fâchés! Hein! c’est bien cela? Avoue, Marguerite.

Marguerite n’avouait pas.

– Au lieu de me faire des scènes stupides, tu aurais mieux fait de rester à Paris, disait-elle.

– Eh! tu sais bien que ce n’est pas pour toi que je suis venu!

– Tu es insolent, Martinet.

– Eh! nom de nom de nom! tu l’as bien mérité! Je suis venu pour demander un acompte à M. Arnoldson. J’ai une facture demain et j’ai besoin d’argent comptant. J’avais oublié de te le dire. Mais, mon argent reçu, je file. Je ne veux pas rester une seconde de plus avec une femme qui fait passablement sa pimbêche.

– Martinet!

– Eh bien, quoi?

– Tu as dit: «pimbêche»?

– Et je le répète.

– Martinet, tu commences à m’échauffer les oreilles!…

– Eh! tu me mets aussi hors de moi! Je n’ai qu’un ami, un brave petit ami, et tu ne peux pas le voir en peinture. C’est agaçant à la fin! Et j’en ai assez! Tu entends? Si tu es mal avec Pold, je veux que tu fasses la paix!

– Jamais!

– Ah! s’écria triomphalement Martinet. Tu vois bien que vous étiez fâchés!

Mme Martinet était horriblement vexée de s’être trahie avec tant de naïveté.

– Je disais donc, continua Martinet, qui ne lâchait pas facilement sa pensée et qui était têtu comme un âne, je disais donc que tu ferais la paix avec M. Pold, et cela dès la première fois que tu le rencontrerais.

Mme Martinet articula très nettement:

– Je… ne… la… ferai pas!

– Tu la feras!

– Non!

– Si!

– Non!

– Tu ne la feras pas? Tu ne la feras pas?

– Non, je ne la ferai pas!

Martinet était furieux.

– Chipie! s’écria-t-il.

– Tu as dit? tu as dit? demanda Mme Martinet sur un ton dont le diapason avait atteint celui de son mari.

– J’ai dit: «Chipie!» hurla Martinet, au comble de l’exaspération.

On entendit claquer le bruit sonore d’une gifle. Mme Martinet venait de gifler M. Martinet.

Pold, qui avait goûté une joie extrême à ce dialogue, se leva et apparut sur le sentier pour voir M. Martinet, qui se tenait la joue, cependant que Mme Martinet lui disait, très digne:

– Cela vous apprendra, monsieur Martinet, à traiter votre femme de chipie!

Martinet, fort piteux et se tenant toujours la joue, ne put retenir un sourire d’allégresse à la vue de Pold. Mais, comme il souriait à cause de Pold et pleurnichait à cause de sa femme, il en résultait la plus cocasse des grimaces.

Marguerite et Pold ne purent résister à pareil spectacle et pouffèrent de rire.

– Vous voyez, fit Martinet, qui était le plus brave homme de la terre et dont le cœur d’or n’avait jamais connu la rancune, vous voyez, monsieur Pold, comme elle m’arrange!… Elle me gifle et ensuite rit de moi!… Et tous ces malheurs arrivent à cause de vous! Mais je remercierais le ciel de cette gifle et je serais heureux d’en recevoir une autre si toutes ces gifles doivent être l’occasion d’une réconciliation entre vous!

Il lâcha sa joue, qui le brûlait, car Mme Martinet était forte et avait le poignet solide. Il prit la main de sa femme et la mit dans celle de Pold.

– Là! dit-il, voilà qui est fait! Et, maintenant, embrassez-vous!

Marguerite et Pold riaient sous cape, mais ne s’embrassaient pas.

– Embrassez-vous! s’écria à nouveau Martinet, d’une voix de tonnerre.

Pold déposa un baiser sur la joue de Mme Martinet, et celle-ci lui dit tout bas, sur un ton qui pardonnait, ce simple mot:

– Méchant!

Ils revinrent tous les trois, bras dessus, bras dessous. Au moment de se quitter, Marguerite put glisser à l’oreille de Pold, sans que Martinet l’entendît:

– Ce soir, à onze heures, à la porte de derrière des Volubilis. Je vous conduirai aux Pavots.

Pold fit un signe d’acceptation. Au fond, si son âme souffrait, il n’était point mécontent de distraire la peine de son âme avec la joie de son corps. C’était un garçon fort intelligent.