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Lorsque Marillac fut tout près d’elle, il sourit.

Quel sourire!…

Et voici ce qu’il dit, ce qu’il balbutia plutôt, car la reine put à peine l’entendre:

– Eh bien, ma mère, êtes-vous contente?… Pourquoi me tuez-vous… de cette manière?…

Catherine apprit ainsi que son fils comprenait la vérité tout entière. Cette conviction rompit le charme. Effroyable, elle se redressa; d’un geste brusque, elle leva quelque chose qui paraissait être une croix et qui était un poignard, et elle gronda:

– Comte, ce n’est pas moi qui vous tue… c’est cette croix… c’est pour le service de Dieu! Dieu le veut!

Et d’une voix tonnante, elle répéta:

– Dieu le veut!

Alors une étrange rumeur se fit entendre dans l’église. On eût dit que la tempête qui mugissait au-dehors avait défoncé les portes et que les rafales accouraient vers le maître-autel. Un bruissement de robes qui se froissent et se heurtent, un piétinement rapide parmi des bruits de chaises renversées, un murmure d’abord indistinct de voix, puis le tumulte de ces voix éclatant en imprécations sauvages…

– Dieu le veut! Dieu le veut!

Marillac, comme dans une fantasmagorie de cauchemar, vit la foule des têtes féminines convulsées par la haine et la peur, il vit l’ombre se hérisser de lueurs de poignards…

Puis son regard tomba sur Alice.

Et il ne vit plus qu’elle!

– Je t’aime…

Et il n’entendit plus que ce mot.

Ses pensées se disloquèrent, sa raison s’effondra à grand fracas; il lui sembla une seconde que des hurlements emplissaient sa tête, que ses muscles hurlaient, que ses nerfs hurlaient, que son cerveau hurlait; puis brusquement, il ne ressentit plus rien; le cercle de feu s’éloigna; l’apaisement infini se fit en lui; son sourire devint radieux.

Il était fou!

Dans cette fugitive durée du temps, le fou se mit à marcher vers Alice.

Elle répéta:

– Je t’aime…

Et il répondit de sa voix d’amour:

– Je t’aime… Attends-moi… partons…

– Dieu du ciel! rugit Alice, il me pardonne!…

Au même instant le corps de son amant s’abattit près d’elle; plus de dix coups de poignard l’avaient frappé en même temps.

– Quoi! râla-t-elle. Que se passe-t-il? Qui est là?… Écoute! Tiens! Fuyons!… Relève-toi!…

Elle essayait de soulever le cadavre; il retomba pesamment.

Et dans la même seconde, des mains furieuses s’abattirent sur elle, la déchirèrent, lacérèrent sa robe… Sanglante, hagarde, presque nue, Alice s’attachait désespérément au corps et haletait:

– Laissez-le! grâce pour lui!… Tuez-moi seule!

Un hurlement énorme emplit ses oreilles:

– À mort! à mort les deux traîtres! à mort la Béarnaise!

De nouveaux coups de poignard atteignirent le cadavre.

À travers les larmes de sang qui inondait son visage, Alice aperçut alors, dans une suprême vision, la reine qui, debout, appuyée à l’autel, son poignard levé au ciel, son pied posé sur la poitrine de Marillac, hideuse, flamboyante, rugissait:

– Ainsi périssent les ennemis de la reine et de Dieu!

– Grâce pour lui! cria frénétiquement Alice. Tuez-moi! Laissez-le vivre!

– Mes filles! mes filles! tonna Catherine, jurez de frapper ainsi les ennemis de Dieu et de la reine! Dieu le veut!…

Alice, au paroxysme de l’horreur, parvint à soulever la tête livide de son amant, comme pour le montrer à Catherine. D’une main, elle s’accrocha violemment à la robe de la reine.

Et tandis que les cinquante juraient de frapper, tandis que les poignards s’agitaient, que les bouches écumaient, que les yeux étincelaient, dans la tempête des serments, la malheureuse, comme dans une dernière lueur d’espoir, jeta cette clameur:

– Sois donc maudite!… Reine de sang et de meurtre! Tu cherchais ton fils! Regarde! Le voilà!…

À l’instant, elle retomba sur le corps de Marillac, rendant par plus de vingt blessures le sang qui inondait ses seins nus. Et dans le dernier spasme de l’agonie, elle eut encore la force de coller ses lèvres aux lèvres du cadavre, et elle mourut en murmurant:

– Je t’aime!…

XXIII LE CIMETIÈRE DES S.S. INNOCENTS

Lorsque le tumulte se fut apaisé, Catherine de Médicis prononça quelques mots, et les cinquante, une à une, quittèrent l’église. Seulement, l’une d’elles, en sortant dans la rue, alla droit à un groupe de quatre ou cinq hommes qui attendaient et leur parla à voix basse.

Les hommes, alors, entrèrent dans l’église et marchèrent jusqu’au maître-autel où ils virent une femme agenouillée, complètement enveloppée dans ses voiles noirs.

La femme leur montra le cadavre du comte de Marillac.

– Et celle-ci? fit l’un d’eux en désignant Alice de Lux.

La femme secoua la tête: les hommes saisirent Marillac et l’emportèrent hors de l’église.

Alors la reine éteignit les quatre cierges qui brûlaient à droite et à gauche du tabernacle. Puis, dans l’obscurité que trouait seule maintenant la faible lueur de la veilleuse suspendue aux voûtes, elle se baissa, se pencha sur une ombre étendue au pied de l’autel.

Cette ombre, c’était le moine Panigarola.

La reine plaça sa main sur la poitrine du moine et constata que le cœur battait sourdement. Alors, elle tira un flacon de son aumônière, et l’ayant débouché, le fit respirer à l’homme évanoui.

Pendant quelques minutes, ses efforts furent vains…

– Pourtant, il vit! gronda-t-elle.

Enfin, un léger tressaillement agita le moine, et bientôt il entrouvrit les yeux. Catherine, alors, lui versa sur les lèvres une goutte ou deux du liquide qu’elle venait de lui faire respirer – violent révulsif composé par Ruggieri, et dont elle avait maintes fois expérimenté la puissance.

«Bon! pensa la reine. Il n’a rien vu… rien entendu!»

Panigarola se remit debout.

Il lui sembla qu’il sortait de la tombe, et la pensée indécise, affaiblie, lui parut revenir des lointaines régions de la mort. Et en effet, il est probable que sans les soins de la reine, il se fut éteint dans la syncope qui l’avait terrassé.

Catherine le prit par la main, le conduisit jusqu’au cadavre d’Alice, et dit: