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– Payer!… rugit le vieillard… Et si je ne veux pas, moi!… Misérable, tu veux donc me ruiner!… Laisse-les moi, Gillot, mon bon Gillot… Voyons… tu as bien assez de ces mille écus d’argent…

– Bon, bon! grommela Gillot en essayant vainement de se lever, nous allons voir… ce que monseigneur…

– Prends garde, Gillot, ricana l’oncle.

– Ah!… quel drôle de rire… vous avez… j’ai peur…

Gilles riait de son effroyable rire. Il était livide. La pensée d’avoir à livrer trois mille écus d’or l’affolait. Et la pensée que Gillot pourrait le dénoncer au maréchal, s’il ne s’exécutait pas, lui paraissait non moins effrayante.

– Écoute, Gillot, dit-il tout à coup, veux-tu me donner de bon cœur cet argent dont tu ne saurais que faire?

– Fou! bégaya Gillot, mon pauvre oncle est devenu fou… ah! mais, c’est fameux cela! Je vais hériter… hériter du grand coffre! Je…

Gillot ne put achever. Le vieillard s’était précipité sur lui et, d’un tour de main, l’avait bâillonné. Puis, saisissant une corde que sans doute il avait préparée d’avance, il le lia sur son fauteuil.

Cela s’était fait si vite que Gillot, soudain dégrisé par l’épouvante, se vit dans l’impossibilité de faire un mouvement en même temps qu’il voulut essayer de se défendre. Il ouvrait des yeux terribles, emplis de cette horreur qu’il avait déjà éprouvée dans la cave lorsque l’oncle l’avait attaché au poteau.

Quant au vieillard, il marmottait des mots sans suite, allant et venant comme un lutin, plaçant dans une armoire les écus que Gillot avait jetés sur la table, sauf un petit tas. Quand cette opération fut terminée, quand il eut refermé l’armoire, Gilles se retourna vers son neveu et le débâillonna.

Gillot en profita pour se mettre à hurler; Gilles attendit patiemment. Quand son neveu eut compris que ses lamentations étaient inutiles, quand il se tut, Gilles lui dit paisiblement:

– Te voilà enfin raisonnable. Tiens, tu vois ce tas? C’est ta part: cinquante écus. Le reste est pour moi. Ce n’est pas moi le fou, c’est toi. Ce n’est pas toi qui hérites, c’est moi. Tu vois comme c’est simple.

Le vieillard sourit et se versa un verre de vin qu’il but lentement.

– Avec ces cinquante écus, tu t’en iras chercher fortune ailleurs, et tâche que je ne t’y reprenne plus, ou sans ça, cette fois, plus de pitié: je t’occis.

La résolution de Gillot fut vite prise. Il simula la plus grande résignation:

– Puisque vous le voulez ainsi, mon bon oncle… je m’en irai… je me contenterai de ces cinquante pauvres écus.

– Et où iras-tu? demanda le vieillard dont le rire terrible retentit à nouveau.

– Je ne sais pas… je quitterai Paris…

– Oui, j’y compte. Mais avant de quitter Paris, tu iras bien un peu me dénoncer au maréchal, hein?… Si fait! Je te connais. Tu es presque aussi avare que moi. Tu risquerais mon coup de dague dans l’espoir de reprendre les fameux trois mille écus… Trois mille écus d’or!… À toi!… Imbécile, va… Or, je ne veux pas que tu parles, tu entends bien?

– Je me tairai, mon oncle, je vous le jure!

– Oui, mais moi, je veux en être sûr. Et pour cela, je vais te couper la langue!

Gilles éclata de son rire démoniaque et ajouta:

– C’est toi qui m’en as donné l’idée. Comme tu m’avais déjà donné l’idée de te couper les oreilles. Bonnes idées, mon garçon, fameuses idées!

Quant à Gillot, son épouvante et son horreur furent telles qu’il renversa la tête, exhala un soupir d’angoisse, et s’évanouit.

Gilles, paisible et rapide, se mit à affûter un coutelas de cuisine.

Puis saisissant une forte tenaille dans un tiroir, il s’approcha de l’infortuné.

Mais alors, il s’aperçut qu’il était plus difficile d’arracher une langue que de couper des oreilles. Il demeura un instant perplexe, sa tenaille d’une main, son coutelas de l’autre.

– Bah! grommela-t-il, j’en viendrai bien à bout… Ce pauvre Gillot, tout de même! Je le regretterai quand il ne sera plus là… j’aurais fini par le dépecer morceau par morceau.

Il se mit à pouffer en se figurant la tête qu’aurait son neveu.

Il était sinistre.

Dehors, la tempête faisait rage autour de l’hôtel et par moment s’engouffrait en gémissant dans les couloirs.

Le vieillard écoutait ces plaintes en frissonnant, puis se remettait à rire.

Tout à coup, Gillot rouvrit les yeux.

Les hésitations de Gilles cessèrent à l’instant même. Gillot n’eut pas le temps de pousser jusqu’au bout le cri de terreur et de supplication que déjà l’horrible vieux lui enfonçait sa tenaille dans la bouche, ou plutôt, il cherchait à lui enfoncer.

Le malheureux, les yeux sanglants, les veines du front gonflées par l’effort, serrait les dents, en une crise de désespoir.

Cette lutte muette était effroyable.

Gillot eut soudain une sorte de grognement bref, puis une longue, une hideuse clameur stridente, frénétique: la tenaille avait saisi la langue! La tenaille venait de couper cette langue!

– Tant pis! murmura Gilles. S’il ne s’était pas débattu, j’eusse coupé proprement la chose avec mon couteau.

Et comme il commençait son ricanement de démon, comme un coup de vent furieux ouvrait soudain sa fenêtre et éteignait le flambeau sur la table, Gilles, lui aussi, se mit tout à coup à hurler d’épouvante. Gillot venait de le saisir à la gorge!

Dans le paroxysme de souffrance, Gillot s’était raidi d’un effort étrange, Gillot avait cassé la corde qui attachait son bras, Gillot, à demi-mort, mais rendu fou furieux par l’atroce douleur, s’était levé et se laissant lourdement retomber sur son oncle, Gillot râlant, Gillot proférant des moignons de paroles, Gillot épouvantable, sanglant, monstrueux, enlaça le vieillard, ses doigts s’incrustèrent dans sa gorge, tous deux roulèrent sur le carreau…

Pendant quelques minutes, l’obscurité fut pleine de râles, de secousses, de grognements…

Puis tout s’apaisa…

Lorsque le jour vint, lorsque le soleil pénétra par la fenêtre ouverte, il éclaira deux cadavres enlacés, dont l’un, la figure rouge de sang, serrait encore l’autre à la gorge.