Изменить стиль страницы

– Ah bon!… Mais à votre place, je n’irais pas…

– Catho, ma bonne Catho, tu veux donc nous faire un gros chagrin? fit Pâquette.

– Et nous faire perdre la clientèle de M. de Montluc! ajouta la Roussotte.

– Et nous attirer sa colère! reprirent-elles en chœur.

– Eh bien, soit! s’écria Catho vaincue. Je vous aurai tout ce qu’il faut.

– Pour samedi?

– Pour samedi soir. C’est entendu!

Les deux ribaudes battirent des mains et embrassèrent la digne aubergiste comme des petites filles embrassent leur mère pour avoir une friandise.

– Mais, reprit alors Catho, quel est donc le malheureux qu’on va questionner?

– Ils sont deux, fit Pâquette.

– Deux! fit Catho. Comment de jolies filles comme vous peuvent-elles se complaire à l’horrible spectacle de voir torturer deux malheureux?

La Roussotte et Pâquette regardèrent leur amie avec de grands yeux ébahis: elles ne comprenaient pas.

C’étaient de bonnes et douces bêtes, ce qu’un artiste a appelé des animales.

Et justement, ce qu’elles cherchaient dans la «fête» promise, c’était un frisson d’horreur, sensation neuve pour elles.

– Comment s’appellent-ils, ces deux pauvres diables? reprit Catho.

– Pardaillan, fit tranquillement Pâquette. Le père et le fils.

– Comme ça, ajouta la Roussotte, ce sera encore bien plus terrible et amusant.

Catho ne disait plus rien. Elle avait pâli. Ses mains en tremblant, s’occupaient à déchiqueter une tartelette. Elle faisait un gros effort pour ne pas pleurer, et demeurait tout étourdie… étonnée au fond de la douleur qu’elle éprouvait.

Certes, elle avait pour ces deux hommes une sorte de rude affection.

Dans son temps, elle avait aimé le vieux Pardaillan quinze jours un mois, elle ne se souvenait plus au juste.

Mais, tout de même, elle ne pensait pas qu’elle eût pu ressentir une telle angoisse, une si profonde révolte de son cœur et de sa chair à l’idée que cet homme devait mourir.

Des douleurs? Elle n’en avait jamais eu de bien graves.

Catho avait passé dans la vie en repoussant d’instinct tout sentiment qui fait souffrir. Était-elle bonne? Méchante? Elle ne savait pas. Rarement, elle avait pleuré. Un de ses plus gros chagrins avait été la perte d’une agrafe d’or, présent d’un officier. Sa seule douleur sérieuse avait été de se voir marquée au visage et enlaidie après sa maladie. Et encore s’en consolait-elle en se disant que la petite vérole tuait sans pitié, et qu’elle avait de la chance de vivre encore.

Quant au chevalier de Pardaillan, ce jeune homme ne lui avait jamais inspiré qu’une sorte d’admiration. Elle ne voyait aucun gentilhomme semblable à lui. Sa fierté, sa grâce, sa froideur qui tenait à distance, l’ironie de son sourire, et avec tout cela, cette pitié lointaine, qu’elle avait lue au fond de ses yeux, cet ensemble en faisait un être à part.

Souvent Catho, songeant à lui, avait soupiré en se regardant au miroir. Mais la pensée ne lui fût jamais venue qu’elle pouvait aimer le chevalier. Seulement, elle se plaisait à rêver qu’elle était devenue quelque chose comme son amie, veillant sur lui, le servant, et se dévouant jusqu’à la mort.

Ils devaient mourir!…

On devait les torturer!…

Catho se sentait si triste, si abattue, qu’elle souhaita de mourir sur l’heure, elle aussi.

L’existence, tout à coup, lui parut vide, et il lui sembla que son cœur s’éteignait.

Mais tout cela se passait en dedans. Ses lèvres et ses mains tremblaient un peu, voilà tout.

– On dirait que nous t’avons fait de la peine, reprit la Roussotte. Est-ce que tu connais ces hommes?

– Moi? Non… murmura Catho.

– Alors… c’est entendu? nos robes…

– Oui, fit machinalement Catho, vous les aurez… allons, laissez-moi… et vous dites que la chose est pour dimanche?

– Dimanche matin… mais nous devons aller au Temple samedi soir…

– Ah!… samedi soir…

– Mais oui, voyons! M. de Montluc nous attend à souper samedi soir à huit heures… tu comprends?

– Oui, oui, balbutia Catho… Allez-vous-en maintenant.

Les deux ribaudes embrassèrent leur bonne amie et se retirèrent.

Catho, alors, plaça ses deux coudes sur la table, sa tête dans ses mains, et murmura:

– Dimanche! dimanche matin!…

Et alors, elle se prit à sangloter.

Il n’est pas inutile de rappeler ici que la torture de la question ordinaire et extraordinaire devait être appliquée aux Pardaillan non pas le dimanche, comme le croyaient Pâquette et la Roussotte, mais bien le samedi matin. On n’a pas oublié sans doute que le gouverneur du Temple, Marc de Montluc, après avoir promis aux deux ribaudes de les faire assister à la hideuse scène, s’était repris à temps. Mais comme il tenait à s’assurer leur visite, il leur avait affirmé que la chose se ferait le dimanche: au moment de tenir sa promesse après la bonne nuit qu’il se promettait, il en serait quitte pour leur dire que la question avait été avancée d’un jour.

Ceci établi, revenons à Catho.

Comme on a pu le voir, c’était une fille énergique. Elle avait assisté sans broncher au siège et à l’incendie de son vieux cabaret du Marteau qui cogne. Elle en avait vu bien d’autres, alors que demi-ribaude, demi-truande, elle avait pris part à plus d’une expédition de la cour des Miracles!

L’explosion de sa douleur fut donc rapide. Et après les premiers sanglots, elle frappa du poing sur la table en disant de ce ton farouche qui indique les résolutions inébranlables:

– C’est bien. Il faut que dans la nuit de samedi à dimanche, j’entre au Temple!

Ce qu’elle ferait, ce qu’elle dirait, ce qu’elle tenterait, elle n’en savait rien. Elle avait cinq jours devant elle pour y songer. Ce qui était ancré dans son cerveau dès ce moment, c’est qu’elle devait entrer au Temple dans la nuit du samedi, avant la torture qui devait avoir lieu le dimanche matin… d’après ce qu’elle venait d’apprendre.

Au moment où elle prit cette résolution, des cris retentirent dans la grande salle.

Catho essuya ses yeux, frotta ses joues avec son tablier pour y ramener quelque couleur et pénétra dans le cabaret en grondant:

– Que se passe-t-il encore, voyons! Vous voulez donc nous amener le guet!