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Le truand ayant vidé plusieurs flacons, paya et s’en alla sans bruit.

Nous ignorons ce qu’il devint, et sur ce point, nous donnons libre carrière à l’imagination du lecteur.

Mais puisque nous venons de pénétrer dans le cabaret des Deux morts qui parlent, jetons-y un coup d’œil.

Il y avait nombreuse société, surtout composée de femmes, dans ce que Catho appelait la grande salle. Catho était sujette aux hyperboles et exagérations. En vérité, cette «grande salle» était assez étroite. Elle contenait cinq tables. À chaque table, il y avait trois ou quatre buveurs, truands et ribaudes, physionomies féroces ou abêties, gens de sac et de corde, qui composaient la clientèle nocturne du cabaret.

En effet, l’auberge des Deux morts qui parlent, fréquentée le jour par des bourgeois et des soldats, devenait la nuit un véritable repaire, Catho ne s’était jamais senti le courage de refuser l’hospitalité à ses anciennes connaissances.

Il en résultait que cette salle avait le jour l’aspect du plus honnête cabaret qui fut dans le quartier, et la nuit l’apparence d’une véritable caverne où se réfugiaient des gens poursuivis par le guet, des ribaudes qui attendaient la bonne fortune.

Ce soir-là, il y avait plus de femmes que d’hommes, à cause de l’orage.

L’orage était propice aux rôdeurs, tire-laine et francs-bourgeois: il était au contraire défavorable aux ribaudes.

Deux garçons herculéens servaient à boire à cette clientèle qui professait un respect non dissimulé pour leurs poings énormes. Dans la journée les deux colosses, véritables chiens de garde, étaient remplacés par de jeunes et jolies servantes: on voit que Catho connaissait à merveille sa double clientèle et s’entendait à son commerce.

Aux bourgeois paisibles, les servantes accortes et peu farouches. Aux ribaudes et truands, les hercules plus gardiens que garçons.

À cette heure tardive, Catho n’était pas couchée encore. Elle était attablée dans un étroit cabinet, attenant à la salle publique, et causait avec deux jeunes femmes.

Ces deux femmes étaient entrées vers dix heures dans le cabaret, et comme cette visite s’enchaîne étroitement à divers incidents de l’histoire que nous racontons, il est intéressant que nous reprenions du début la conversation qu’elles eurent avec Catho.

Lorsqu’elles pénétrèrent dans la salle, Catho s’avança à leur rencontre en disant:

– Vous voilà donc, mes toutes belles? Plus d’un mois qu’on ne vous a vues… Sûrement, vous avez quelque chose à me demander…

Elle grondait, d’un bon sourire maternel.

– C’est vrai, Catho, c’est vrai. Nous avons quelque chose à te demander, fit l’une des deux femmes.

– Et c’est grave, ajouta l’autre.

– Bon, bon, entrez là, dit Catho en les poussant vers le cabinet. Vous êtes toujours à court, et vous ne me rendez jamais. Toi, la Roussotte, tu as encore mon beau collier de verroterie bleue que je te prêtai pour faire la conquête de ce beau capitaine, et toi, Pâquette, tu me dois je ne sais plus combien d’écus… Vous êtes deux paniers percés…

– Mais aussi, comme nous t’aimons! s’écrièrent les deux ribaudes.

– Ah! jeunesse, jeunesse! Vous ne voulez pas mettre un sol de côté… S’il vous arrivait pourtant ce qui m’est arrivé à moi! Si vous perdiez votre beauté du diable!

– Bah! bah! tu es toujours belle, Catho, et si tu voulais…

Le sourire de Catho leur prouva qu’elle n’était pas insensible à cette flatterie. Elles entrèrent dans le cabinet, tandis que la maîtresse du cabaret s’occupait de divers clients.

Enfin, la digne Catho vint rejoindre ses préférées avec un flacon de vieux vin et quelques tartelettes.

Elle adorait ces petites agapes pendant lesquelles elle faisait raconter à ses jeunes amies leurs bonnes fortunes qui lui rappelaient son bon temps. Elle aimait la Roussotte et Pâquette justement à cause des défauts qu’elle leur reprochait.

– Eh bien, voyons, demanda-t-elle, confessez-vous un peu.

La Roussotte, la plus hardie des deux, prit la parole, sur un coup de pouce que lui donna Pâquette.

– Voilà, dit-elle, Pâquette et moi, nous sommes invitées à une fête…

– Pour quand? fit Catho souriante.

– Pour dimanche… Tu vois que nous avons le temps de nous préparer… surtout si tu nous aides.

– Et en quoi puis-je vous aider, friponnes? Il vous faut quelque collier? quelque ceinture?

– Eh bien, pas du tout, Catho! Il faut que nous soyons décemment vêtues, comme des bourgeoises, si j’ose dire.

– Comme des bourgeoises! s’écria Catho stupéfaite.

– Dame… il y aura à cette fête des juges, des prêtres, sans doute… et alors, comprends-tu? Pâquette et moi, nous avons passé la journée à examiner nos robes… Toutes bonnes pour notre métier… corsages ouverts… ceintures éclatantes: non, il n’est pas possible que nous allions ainsi vêtues à cette fête. Et pourtant nous voulons y aller… Écoute, Catho, il faut que d’ici dimanche, et même samedi soir, tu nous aies habillées…

Catho leva les bras au ciel.

– Mais enfin! s’écria-t-elle, qu’est-ce donc que cette fête où doivent paraître des juges et des prêtres et où vous ne pouvez paraître avec ces robes, qui pourtant vous vont à merveille?

– Ah! Catho, si tu savais! fit timidement Pâquette.

– Un mariage, peut-être? Ou bien un feu de joie? Ou bien un mystère?

– Non pas, Catho: nous sommes invitées à voir questionner.

Catho demeura stupéfaite.

La Roussotte et Pâquette, d’un signe de tête, répétèrent que c’était bien vrai.

– Et cela vous amuse? s’écria la digne cabaretière. Voir souffrir un pauvre diable, l’entendre crier merci… Moi, j’ai vu rouer une fois, et j’en frémis encore lorsque j’y songe.

– Que veux-tu, dit la Roussotte, moi je ne voulais pas. Mais Pâquette veut voir. Et puis elle m’a dit une chose très juste, Pâquette. Si nous n’y allions pas, M. de Montluc, qui est fort généreux, mais aussi fort brutal, nous en voudrait…

– Ah! c’est M. de Montluc qui vous invite à voir torturer?

– Lui-même.

– Le gouverneur du Temple?

– Oui-dà, Catho. Tu vois que le personnage est d’importance.

– Et où devez-vous voir donner la question?

– Au Temple même. Nous serons cachées dans un cabinet proche de la chambre des questions. Car il ne faut pas qu’on nous voie. Mais enfin, si on nous voit, nous devons passer pour des parentes du patient, venues pour l’assister.