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Alors il ferma lui-même la porte, et laissant retomber son capuchon sur ses épaules, se dirigea vers le maître-autel.

Catherine le vit venir sans faire un pas à sa rencontre.

Quand il fut près d’elle, la reine murmura:

– C’est bien, marquis de Pani-Garola. Fidèle au rendez-vous. Fort dans l’amour. Fort dans la mort. Soyez le bienvenu.

Panigarola tourna la tête vers la porte qu’il venait de fermer et songea:

«Pourquoi cet homme m’a-t-il appelé bourreau?…»

– Marquis, dit la reine, vous avez tenu parole. Grâce à vous, Paris est en ébullition. Grâce à vous, les paroisses sont autant de foyers d’incendie. Il n’y manque que l’étincelle qui mettra le feu à tant de passions. Merci, mon révérend… À moi de tenir ma parole. Ici, dans un instant, vous allez voir celle que vous aimez…

– Alice! frémit le moine dans un frisson de tout son être.

– Elle est à vous! Emmenez-la, marquis. Je vous la donne. Et quant au rival, l’homme exécré, voici pour le tuer!…

La reine tendit au moine un papier plié en quatre.

– La lettre d’Alice! rugit Panigarola en saisissant le papier. Ah! je comprends! Ah! vous êtes grande et terrible!… Oui… je n’avais pas prévu une telle vengeance!… Oui, il l’aime, il l’adore, et cette lettre peut le tuer plus sûrement qu’une balle au cœur! Merci, madame, merci!

– Ainsi, nous sommes d’accord?… Vous montrez la lettre à Marillac?…

– Oui, oui!…

– Vous la lui faites lire?

– Oui, oui!…

– Et alors, vous emmenez Alice. Ce sera à vous de la consoler… elle ne demande qu’à vous croire… je l’ai interrogée, marquis… soyez sûr qu’elle ne vous hait pas! Une voiture vous attend… Vous l’avez vue, je pense?

– Mais lui! lui! Il va donc venir ici?…

– Il va arriver…

– En même temps qu’elle!… Pourquoi, madame? Pourquoi?

– Il va venir. Là est l’essentiel. Et si malgré la lettre, il veut garder Alice pour lui? S’il la veut infâme et couverte d’opprobre comme vous allez la lui montrer? Si son amour survit à cette révélation, comme votre amour, à vous, a survécu à ses trahisons?…

– Madame! madame! râla le moine.

Il frissonnait. Il grelottait de fièvre.

– Il faut tout prévoir, poursuivit Catherine d’une voix effroyablement calme. Si Marillac vous dispute Alice…

D’un geste violent, le moine écarta sa robe.

Sous cette robe, il apparut vêtu en gentilhomme, d’un costume d’une rare magnificence. Il apparut tel qu’il était jadis, l’élégant marquis au pourpoint de soie, à la collerette de dentelles précieuses, une chaîne d’or au cou, une forte dague à la ceinture.

Farouche, il tira la lame courte, épaisse, trapue, et d’une voix sifflante, haleta:

– Voilà qui décidera!

XIX LES FIANCÉS

Panigarola referma sa robe, rabattit son capuchon et s’agenouilla… Catherine le contempla un instant avec un sourire aigu. Puis elle se dirigea vers la porte par laquelle était entré le moine.

Il était à ce moment près de minuit.

Elle entendit le roulement d’un carrosse et ouvrit elle-même. Le carrosse s’arrêta. Trois femmes en descendirent. L’une d’elles était Alice de Lux, pâle, vêtue de blanc. Elle eut comme une hésitation, puis entra. Les deux autres femmes remontèrent alors dans le carrosse, qui s’éloigna aussitôt.

L’espionne, en pénétrant dans l’église, demeura un instant palpitante, interrogeant les ténèbres que les quatre flambeaux du maître-autel, là-bas, tout au loin, trouaient de leurs lumières blafardes.

Mais une main saisit sa main; une voix murmura à son oreille:

– Mon enfant, vous voilà donc!…

Alice reconnut alors la reine. La sourde inquiétude qui l’avait saisie se dissipa.

– Vous le cherchez, n’est-ce pas? reprit Catherine. Patience… il va venir…

– Comme vous êtes bonne, madame!… Comment prouver ma gratitude à Votre Majesté?

– As-tu vu la voiture qui doit vous emmener?…

– Je n’ai pas remarqué, madame… Mais je ne vois pas… le prêtre… Quoi! personne dans cette église?…

– Patience, te dis-je!… Oh! qu’as-tu donc à frissonner?

– Madame… ces murmures… là-bas, au fond de l’église…

– Le vent qui fait grincer les portes…

– Voici minuit qui sonne, madame.

– Oui… Et voici ton fiancé, dit la reine.

En effet, comme le premier coup de minuit résonnait, le signal fut frappé à la porte, du dehors.

Alice palpitante allongea le bras pour ouvrir.

La reine retint ce bras, d’un geste rude.

– C’est moi qui ouvre! gronda-t-elle.

Alice demeura toute saisie. Ce vertige d’intuitive horreur, qui parfois s’emparait d’elle en présence de la reine, elle l’éprouva brusquement. Et de fait, c’était étrange que la reine fût postée à cette entrée de l’église, qu’elle n’eût pas commis le soin d’ouvrir à quelque domestique; qu’elle-même, de ses mains royales, s’occupât à cette besogne de pousser et de repousser des verroux [18].

Elle apparut à la malheureuse affolée comme une horrible araignée embusquée au centre de la toile qu’elle avait tendue.

«Ce n’est pas Marillac!» songea-t-elle, éperdue.

Elle se trompait: c’était bien Marillac!

La reine ayant ouvert, inspecta les abords de l’église pour s’assure que le comte était venu seul.

– Oui! il était bien seul!…

– Quoi! demanda la reine, vous n’avez pas amené avec vous deux ou trois amis?

Marillac, reconnaissant la reine, fut frappé d’étonnement. Il s’inclina avec une profonde émotion. Ah! cette reine qui l’attendait à la porte qui lui ouvrait elle-même! Quelle autre qu’une mère lui eût donné une telle preuve d’excessive bienveillance!

– Madame, dit-il, Votre Majesté oublie qu’elle m’a ordonné de venir seul… Cependant, je dois l’avouer, j’avais résolu de me faire accompagner de celui qui est pour moi plus qu’un ami… mais le chevalier ne sera libre que demain matin…

– Oui, oui, interrompit vivement Catherine.

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[18] Le pluriel du mot verrou était verroux jursqu’à la fin du XVIIIème siècle. L’Académie Française a consacré le pluriel verrous dans son édition de 1835. L’auteur utilise ici une orthographe désuète. [Note du correcteur.]