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Dans ce coin de l’église, un étrange spectacle eût frappé le visiteur qui fût entré à ce moment-là, si toutefois quelqu’un eût pu entrer: chose difficile, car les portes étaient fermées, et à chacune de ces portes, au dehors, dissimulés dans l’ombre, trois ou quatre hommes montaient la garde.

Ces hommes avaient l’ordre de ne pas se montrer.

Si quelqu’un venait et frappait d’une certaine façon convenue, ils devaient ne pas s’en inquiéter: on ouvrirait à ce quelqu’un, du dedans. Ces nocturnes veilleurs avaient mission de se saisir de toute autre personne qui se serait approchée d’une porte sans faire le signal convenu.

Au dedans, près de chaque porte, deux femmes attendaient ces personnes inconnues qui devaient venir.

Dans la chapelle latérale que nous venons de signaler, se trouvait rassemblées une cinquantaine de femmes.

Elles étaient assises autour de l’autel, en demi-cercle, sur cinq ou six rangs, et causaient entre elles à voix basse; il en résultait un murmure confus qui n’était pas un murmure de prières.

Parfois, un éclat de rire étouffé jaillissait de ce murmure.

Parfois aussi, un éclat de voix dominait soudain les conversations.

Ces femmes étaient toutes d’une extrême jeunesse; la plus vieille n’avait pas vingt ans.

Elles étaient richement vêtues; toutes étaient belles.

Tous les genres de beauté fleurissaient là, dans ce coin obscur, sous l’ombre épaisse qui tombait des voûtes.

Mais pas une de ces jeunes filles ne portait sur son visage cette timidité gracieuse et naturelle qu’ont les visages de vierges.

Elles avaient des yeux hardis, hautains, et même durs.

Leurs traits, malgré le charme puissant de la jeunesse, offraient à l’œil, on ne savait quoi de déjà flétri.

Telles qu’elles étaient, cependant, plus d’une de ces femmes étaient souverainement belle, de cette beauté qui inspire de tragiques amours.

Elles causaient entre elles, comme si elles se fussent trouvées à quelque spectacle, et pourtant le respect du lieu où elles se trouvaient mettait parfois de brusques silences dans leurs causeries.

Toutes ces jeunes filles portaient à leurs corsages une dague.

Toutes ces dagues, sorties évidemment de chez le même armurier, étaient cachées dans d’uniformes fourreaux de velours noir. C’étaient des armes solides; non pas des bijoux de femmes, mais de bons poignards.

Uniformément aussi, la poignée de ces dagues formait une croix.

Et chacune de ces poignées, c’est-à-dire chacune de ces croix, portait pour unique ornement un beau rubis.

Dans l’ombre, ces cinquante rubis incrustés à la croix de ces poignards attachés aux corsages de ces femmes, jetaient de rouges lueurs.

Oui, c’était là un fantastique spectacle…

Dix heures sonnèrent…

Le murmure des voix féminines s’arrêta soudain.

Il y eut dans la vaste église un silence appesanti…

Tout à coup, une sorte de glissement furtif se fit entendre… les jeunes filles tournèrent la tête vers le maître-autel…

L’étrange assemblée féminine fut parcourue par un murmure étouffé:

– La reine! Voici la, reine!

Toutes, alors, se levèrent et demeurèrent silencieuses, courbées, frissonnantes.

Catherine s’avança lentement, arrivant du fond de l’église, probablement de la sacristie.

Elle était entièrement vêtue de noir. Le long voile des veuves enveloppait et cachait son visage. Sur sa tête, une couronne royale en or vieilli jetait de vagues reflets.

Elle traversa les rangs et s’agenouilla au pied de l’autel.

Toutes s’agenouillèrent.

Puis le fantôme se releva et monta les trois marches de l’autel.

Alors Catherine, rejetant sur ses épaules le voile qui couvrait son visage, se tourna vers les jeunes femmes qui, debout maintenant, muettes, violemment impressionnées, la regardaient avec une sorte de crainte superstitieuse.

La reine leur apparaissait grandie.

Dans l’obscurité, son visage semblait plus livide.

Seuls, ses grands yeux vivaient dans ce visage, et brillaient d’un éclat funeste.

La reine jeta un long regard sur ces filles.

Elle avait des gestes lents, mystérieux, des gestes de prêtre accomplissant quelque funèbre office.

Catherine de Médicis fut satisfaite de ce qu’elle vit.

Ces cinquante visages de jeunes femmes tournés vers elle étaient comme pétrifiés par l’angoisse de cette mise en scène. Et elle-même, à la sourde émotion qui la faisait palpiter, elle si forte, elle comprit tout l’effet qu’elle avait dû produire.

Oui, la reine était émue!

Prodigieuse comédienne, poétesse tragique, visionnaire des drames sanglants où son ardente imagination évoluait à l’aise, elle se laissait prendre à sa propre comédie, elle admirait l’horreur de cette scène qu’avait créée son cerveau surexcité et qui se réalisait en un tableau saisissant.

Un souvenir traversa son esprit.

Elle se revit à la bataille de Jarnac, trois ans auparavant, dansant au son des violes sur le champ de bataille avec ces mêmes filles qui étaient devant elle; elle entendit les éclats de rire de ces femmes lorsqu’il leur arrivait de marcher sur un blessé, ou de laisser traîner le bas de leurs robes dans une flaque de sang; et dans sa tête le son des violes se mêlait au son du canon: pendant qu’elle dansait, on bombardait les huguenots en déroute; puis, toute la joyeuse bande s’était heurtée soudain à un entassement de cadavres, au pied d’un mamelon; il y avait là trois cents huguenots qui s’étaient fait hacher sur place… et c’était toute la famille du vieux sire de la Vergne: l’ancêtre âgé de quatre-vingts ans, ses fils, ses petits-fils, ses frères, ses cousins… tous étaient là, le plus âgé de seize ans! tous couchés en tas les uns sur les autres, immobiles, déjà raidis… Et autour de ce tas de morts, l’escadron volant de la reine avait organisé une sarabande délirante…

Du sang et des danses!

Des cadavres et des jeunes filles qui rient!

De la mort et de l’amour!

L’esprit de Catherine était fait de ces antithèses exorbitantes, de ces formidables contrastes.

Elle en jouissait pleinement, et une émotion morbide la faisait palpiter à ce souvenir qui en éveillait d’autres…