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– Eh bien, madame, pour être franche comme me l’ordonne ma reine, je n’ai pas de plus ardent désir que de quitter Paris.

– Vraiment? fit la reine. Vous me quitteriez?

– Votre Majesté me pardonnera, j’ose l’espérer. Mais elle connaît déjà toute ma pensée à cet égard.

– Ainsi, reprit Catherine avec une joie visible et peut-être sincère, vous partirez… mais quand?

– Dès cette nuit, si je puis, madame!

La reine tressaillit. Elle ne pouvait douter de la sincérité d’Alice. Bien que l’espionne fût tremblante, elle parlait d’une voix ferme.

Catherine demeura pensive pendant quelques instants.

Qui sait si, à ce moment, elle ne pesa pas une dernière fois dans son esprit la nécessité du meurtre de son fils.

Qui sait si elle ne se dit pas que ce meurtre était peut-être inutile!

Nous le croyons. Nous croyons qu’elle fut sincère lorsqu’après sa méditation, elle reprit lentement:

– Ce soir, à minuit, une voiture vous attendra à la porte de Saint-Germain-l’Auxerrois. J’aurai donné les ordres nécessaires pour qu’elle puisse franchir sans obstacle la porte Bucy, par laquelle vous quitterez Paris. Vous gagnerez Lyon sans vous arrêter. De là, vous passerez en Italie. Vous vous arrêterez à Florence et vous y attendrez mes dernières instructions. Me promettez-vous que tout se passera ainsi que je vous le dis?

– Je vous le jure, madame! dit Alice en tombant à genoux.

– Bien… Si le comte… si votre époux manifestait un jour l’intention de rentrer en France, me promettez-vous de l’en détourner? Et s’il persiste, de m’en aviser?

– Jamais nous ne reviendrons en France, madame, je vous le jure!…

– Bien. Relevez-vous, mon enfant… Dans la voiture, vous trouverez mon cadeau de noces. À Florence, je vous ferai parvenir un acte de donation de l’un des palais de ma famille… Ne me remerciez pas, Alice… vous m’avez fidèlement servie, autant qu’il a été en vous de le faire, il est juste que je vous récompense…

Un flot de larmes brûlantes déborda des yeux d’Alice.

– Ah! madame, dit-elle, pauvre, sans ressources, dépouillée du peu que je possède, dussé-je marcher à pied, je serai trop heureuse encore de quitter Paris… pardonnez-moi, madame, j’y ai trop souffert!… Et quand je songe que si je pars, c’est avec l’homme à qui j’ai donné mon âme, j’oublie tout, madame, et j’en arrive à trembler que ce bonheur ne soit un rêve…

– Rassurez-vous… Et maintenant, Alice, écoutez-moi bien… j’ai encore des choses graves à vous dire… Je vais, mon enfant, vous donner une preuve de confiance illimitée.

– Les secrets de Votre Majesté me sont sacrés.

– Oui. Vous avez toujours été la discrétion incarnée… Mais cette fois, ce n’est plus de politique ou de religion qu’il s’agit… Et si vous n’étiez la femme supérieure que vous êtes, je ne vous ouvrirais pas ainsi le fond de mon cœur.

Catherine fixa un profond regard sur l’espionne, et dit nettement:

– Il y a une faute dans ma vie…

Alice demeura attentive, mais sans surprise apparente.

– Je dis, continua Catherine, une faute dans ma vie de femme… Quant à ma vie de reine, elle est au-dessus de la faute même… Pour vous parler plus clairement, Alice, apprenez un redoutable secret et voyez jusqu’où va ma confiance pour vous: Charles, Henri et François ne sont pas mes seuls fils…

Alice n’eut pas un tressaillement.

Peut-être cette insensibilité absolue fut-elle une erreur de sa part. Peut-être eût-elle dû témoigner une respectueuse surprise.

La reine, qui la dévorait des yeux, poursuivit:

– J’ai un quatrième fils. Et celui-là est loin des marches du trône.

– Quoi! madame, s’écria enfin Alice, un des fils de Votre Majesté aurait donc été écarté dès sa naissance…

Exclamation d’une prodigieuse habileté, qui arriva presque à convaincre Catherine.

– Vous n’y êtes pas, reprit celle-ci. Le fils dont je vous parle, c’est mon fils. Mais ce n’est pas celui du roi défunt… Alice, que dites-vous de cette faute?

L’espionne rassembla toutes ses forces pour donner à son visage une expression d’étonnement sincère.

– Madame, balbutia-t-elle, est-ce bien à moi que Votre Majesté fait une si terrible confidence.

– Vous jugez donc que la chose est terrible? fit Catherine… Oui, vous avez raison… Car si on savait qu’il y a un adultère dans la vie de la grande Catherine, s’il y avait de par le monde un homme qui puisse entrer un jour ici et revendiquer peut-être des droits de naissance, à coup sûr des droits du cœur… oui, ce serait horrible pour moi!… C’est cela que vous avez voulu dire, n’est-ce pas?

– Madame, s’écria l’espionne affolée déjà, comment oserais-je me permettre une pareille pensée!

Catherine se leva brusquement et saisit la main de l’espionne défaillante, comme pour mieux se mettre en contact avec elle, pour surprendre ses sensations, pour la dominer.

– Cet homme existe! gronda-t-elle. Oui, Alice, cette affreuse menace est suspendue sur la tête de ta reine! Et maintenant, tu vas savoir pourquoi je considère Marillac comme mon ennemi mortel, pourquoi j’ai voulu le surveiller étroitement, pourquoi je t’ai attachée à ses pas, pourquoi enfin je l’ai attiré à la cour afin de le surveiller moi-même…

Alice frissonnait.

Elle se sentait prise dans le tourbillon des fatalités qui l’entraînait à la catastrophe suprême.

Catherine notait ces frissons, étudiait cette pâleur livide, cherchait à provoquer le coup de foudre qui éclairerait ce qu’il y avait d’obscur dans la pensée d’Alice…

Les vies de Marillac et d’Alice de Lux se jouèrent là.

– Alice, dit la reine en martelant ses paroles, il y a un homme qui est la preuve vivante de ma faute, et cet homme, mon fils… Marillac le connaît…

– C’est faux, rugit Alice.

– Comment le sais-tu? haleta Catherine, tu sais donc quelque chose?…

– Rien, madame, rien, je le jure sur mon âme! sur le Christ! Marillac ne sait rien…

– Comment le sais-tu?

– Il me l’eût dit! Il n’a pas de secret pour moi…

La réponse était si naturelle, si vraisemblable, que la reine lâcha les mains d’Alice, reprit lentement sa place et murmura:

– Me suis-je trompée?…

Mais c’était une habile tourmenteuse que Catherine de Médicis. Elle rassembla ses idées et, avec cette rapidité, cette lucidité qui la faisaient si redoutable, changea sur l’instant même son plan d’attaque.