Изменить стиль страницы

Sous ces yeux, maintenant, dans l’église noire, emplie de silence, l’escadron volant était là, non pas au complet: sur les cent cinquante filles de noblesse qu’elle surexcitait, transformant les unes en ribaudes, les autres en espionnes, elle n’avait fait venir que celles dont elle était très sûre: tempéraments fougueux, femmes qui n’avaient de la femme que la beauté du corps, reîtres féminins capables de jouer du poignard.

Celles-ci lui étaient soumises, lui appartenaient corps et âme.

Elle était pour elles un dieu.

Leur admiration pour la souveraine maîtresse tenait de l’adoration.

Ribaudes, guerrières, espionnes, hystérisées par les passions, par les plaisirs orgiaques, surmenées de jouissances et de superstition, dans un couvent, elles eussent été des possédées. Elles l’étaient en effet: l’âme de Catherine les brûlait…

Après cette même bataille de Jarnac, le soir, dans les odeurs de sang, dans la terrible mélancolie du champ de carnage, parmi les plaintes des blessés, elles s’étaient répandues dans le camp, masquées, s’offrant, se donnant aux chefs qui avaient le plus tué…

Le meurtre leur était une joie comme l’amour.

Et elles étaient jeunes, belles, oui, belles à inspirer autour d’elles d’effroyables passions…

Souvent elles jouaient aux dés à qui coucherait avec tel ennemi de la reine qu’on trouvait ensuite poignardé dans son lit.

Tel était l’escadron volant de la reine.

Et après une débauche, orgie de volupté, orgie de sang, crime, meurtre, baisers sauvages, l’absolution du confesseur de la reine suffisait à mettre leur conscience en repos.

Car elles croyaient ardemment, et c’étaient des catholiques d’une piété profonde. Pas une d’entre elles qui ne se crût damnée si elle eût manqué volontairement à la messe.

– Mes filles, dit Catherine, l’heure approche où vous allez délivrer le royaume. Vous allez chasser Satan. Vous allez entrer dans la gloire de la suprême victoire… J’ai voulu la paix avec les hérétiques: Dieu m’en punit. Je suis frappée dans ce que j’ai de plus cher au monde, c’est-à-dire en vous qui êtes mes véritables filles selon mon cœur.

Les auditrices s’entre-regardèrent avec ce vague sentiment de terreur que l’accent, plus encore que les paroles de la reine, semblait distiller. Elle continua:

– Parce que vous êtes toute ma joie, toute ma consolation, toute ma force, parce que vous m’aidez dans la terrible lutte que j’ai entreprise, parce que vous êtes les plus implacables ennemies que Dieu ait suscitées aux hérétiques, parce que vous êtes enfin les guerrières de Dieu, on a résolu votre perte. Dans une même nuit, vous devez être égorgées. Si ce malheur arrivait, si l’horrible hécatombe s’accomplissait, ce serait ma mort. Ce serait la perte du royaume, ce serait le triomphe de Satan… Or, mes filles, tout est prêt. Cinquante gentilshommes, cinquante monstres, cinquante bourreaux, cinquante huguenots, enfin, vont dans la nuit de samedi à dimanche, assassiner les cinquante fidèles de la reine dont chacune aura été attirée dans un guet-apens.

Les cinquante filles, d’un même geste, dégainèrent leurs dagues.

Elles jetèrent autour d’elles des regards de louves et leurs narines dilatées semblèrent aspirer la bataille.

Elles frémissaient de rage autant que d’épouvante.

Des jurons masculins éclatèrent sur toutes ces bouches de femmes. Les Corbacque, les Mort du Diable, les Sang du Christ, les Tête et Ventre se croisèrent furieusement.

Un geste de la reine calma cet orage.

Ardentes, le cou tendu, les pupilles dilatées, elles écoutèrent.

– Je suis bien punie d’avoir voulu la paix! Punie d’autant plus que la trahison vient de ceux à qui j’avais donné toute ma confiance. Parmi les huguenots, il en était un qui m’avait inspiré une sorte d’affection. Parmi vous, il en était une que j’aimais plus que toutes. C’est celle-là qui me trahit! Qui vous trahit! C’est celui-là qui a agencé, combiné, fomenté le massacre qui doit me laisser seule, sans appui, sans amis, puisque vous serez toutes égorgées!

La reine parlait sans colère.

Une immense douleur éclatait dans sa voix.

Cette fois, les filles demeurèrent silencieuses, stupéfiées d’horreur.

Qui d’entre elles avait trahi?…

– Celle dont j’ai surpris les sinistres projets, continua la reine, vous a désignées. Ah! elle ne s’est pas trompée! Elle a choisi parmi mes cent cinquante amies les plus résolues, les plus fidèles, les plus guerrières, vous toutes ici présentes. L’abominable traîtresse s’appelle Alice de Lux.

– La Belle Béarnaise! hurlèrent plusieurs voix.

Et la tempête se déchaîna: tempête de vociférations, de menaces sur ces bouches convulsées, bras levés, mains frénétiques, agitant les poignards, tempête que Catherine, livide dans ses voiles noirs, immobile et raide, dominait comme le génie du mal.

Puis les hurlements s’apaisèrent; les derniers échos, là-haut, dans l’obscurité des voûtes, s’éteignirent.

– L’homme qui, sur les indications de la Béarnaise, a combiné le massacre, c’est ce huguenot hypocrite qui avait su m’inspirer une véritable amitié: le comte de Marillac!… Patience, mes filles, patience et silence! Ne soyez pas effrayées en vain. Car vous savez que votre reine veille sur vous. Voici ce que j’ai résolu. À partir de cette nuit, dès que vous sortirez d’ici, vous vous rendrez tous en mon nouvel hôtel et vous y logerez jusqu’à dimanche. Pas une de vous, d’ici là, ne se hasardera à sortir, car elle serait impitoyablement frappée. Dimanche, tout danger sera écarté. Vous verrez comment. Vous verrez à quels actes peut se porter une reine telle que moi quand il s’agit de sauver une religion menacée, de sauver surtout des amies précieuses et fidèles… Vous serez donc sauvées. Mais ce n’est pas tout, mes filles!

Elle prit un temps et ajouta soudain:

– Dans une heure, Alice de Lux et Marillac seront ici.

Un silence effrayant accueillit cette déclaration et Catherine sourit.

Seul un long soupir de haine qui s’exhala de ces seins de jeunes femmes fut l’indication de ce qu’elles éprouvaient: la rage chauffée à blanc, l’esprit de vengeance porté jusqu’à l’exaspération, la folie du meurtre…

– Je vous les livre, poursuivit Catherine. Mais écoutez-moi d’abord. Un saint homme doit venir ici. Il est au courant de la trahison. Il s’est chargé de punir les deux traîtres. Frappés par lui, ils seront frappés par la main de Dieu, et cela vaudra mieux ainsi… Je le veux! Dieu le veut!

Le frémissement qui s’élevait, les protestations qui éclataient s’éteignirent aussitôt.

– Le révérend Panigarola, instrument du Seigneur, va vous venger. Vous, pendant l’exécution, massées contre la grande porte, invisibles, vous ne vous montrerez pas. Je le veux. Mais…