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Catherine de Médicis s’était éloignée lentement. Elle fit le tour des salles de fête. Sur son passage, les fronts se courbaient, un silence de respect et peut-être de terreur s’établissait…

Souriante, hautaine, toute raide dans les plis lourds et heurtés de la soie, elle passa.

Elle était plus jaune encore que d’habitude; c’était une statue d’ivoire en marche. On la vit s’arrêter devant une de ses demoiselles d’honneur; elle laissa tomber quelques mots, et continua son chemin: puis elle parla à une autre de ses demoiselles, puis à une autre; peut-être donnait-elle un mot d’ordre.

Enfin, elle se retira dans ses appartements, suivie par quatre de ses filles qui l’avaient escortée dans toutes ses évolutions.

Parmi ces quatre, se trouvait Alice de Lux.

Catherine pénétra dans ce vaste et somptueux cabinet que nous avons essayé de peindre. C’est là, parmi les chefs-d’œuvre entassés qui paraissaient lui procurer une sorte de surexcitation cérébrale, c’est là qu’elle se réfugiait lorsqu’elle avait à méditer sur de graves sujets. Sur un signe qu’elle fit, Alice seule la suivit.

– Mon enfant, dit la reine en prenant place dans son grand fauteuil, tandis qu’Alice avançait un coussin de velours sous ses pieds, mon enfant, vous ne quitterez pas le Louvre aujourd’hui, ou plutôt vous ne me quitterez pas…

– Cependant, madame…

– Oui, je sais ce que vous allez me dire: vous devez attendre le comte de Marillac ce soir à huit heures…

Alice jeta sur la reine un regard étonné. Catherine haussa les épaules.

– Est-ce que je ne sais pas tout? fit-elle avec bonhomie. Mais puisque nous allons nous séparer sans doute, je veux vous parler avec entière franchise: c’est Laura qui m’a prévenue. Cette bonne vieille Laura qui vous avait inspiré tant de confiance, eh bien, elle me tenait tous les jours au courant de ce que vous disiez et faisiez… À l’avenir, Alice, soyez prudente dans le choix de vos amies et de vos confidentes. Vous voyez combien je suis franche…

Alice demeurait atterrée, reprise par cette épouvante insurmontable que lui inspirait Catherine.

– Cette Laura est une laide créature, continua la reine; chassez-la dès demain… Mais pour en revenir à ce que je disais, je sais donc que vous avez donné rendez-vous au comte de Marillac pour ce soir, à huit heures. Il devait vous révéler un secret qu’il avait eu bien du mal à garder, le pauvre garçon!… Ce secret, je vais vous le dire: le comte devait vous conduire à minuit dans Saint-Germain-l’Auxerrois… savez-vous pourquoi?

– Non, madame, balbutia Alice.

– Enfant!… Je vous croyais plus perspicace… Eh bien, apprenez donc que j’ai tout fait préparer pour que votre union avec le comte soit couronnée ce soir…

La reine parlait avec une telle bonhomie qu’il était difficile de surprendre en elle une arrière-pensée. Et puis, pourquoi aurait-elle menti? N’avait-elle pas promis ce mariage à Alice pour prix de ses services?

L’espionne rougit et pâlit coup sur coup. Son cœur se dilata. Ses yeux se remplirent de larmes. Elle balbutia:

– Mais la lettre, madame…

– La lettre? ah! oui… eh bien?

– C’est ce soir qu’on devait me la remettre, fit Alice tremblante d’espoir.

– Que Panigarola doit vous la remettre, voulez-vous dire? Puisque je la lui ai remise à lui-même! Puisqu’il vous pardonne!… Eh bien… à onze heures, vous verrez le marquis et à minuit, le comte de Marillac arrivera, je me charge de le prévenir…

Alice sentait sa tête lui tourner comme lorsqu’on a le vertige.

Que Panigarola et Marillac fussent amenés par la reine dans le même lieu, presque à la même heure, cela lui semblait une redoutable conjoncture.

Le moine s’en irait-il? Le moine était-il au courant du mariage qui se préparait? Aurait-il donc cette grandeur d’âme de disparaître, la laissant libre, heureuse?…

Elle entrevit une formidable complication.

– Vous ne me remerciez pas? reprit la reine toujours souriante.

– Hélas, madame! Vous me voyez toute bouleversée de bonheur et de crainte…

– De crainte?… Ah! oui… vous pensez que les deux rivaux peuvent se rencontrer, qu’un mot échappé à Panigarola peut tout apprendre à Marillac… Rassurez-vous: j’ai pris mes précautions… ils ne se verront pas.

– Quoi, madame! vous auriez daigné…

– Je veux vous voir heureux tous les deux, le comte et vous. C’est là tout le secret.

– Ah! madame, s’écria cette fois Alice dans une explosion de joie sincère, que ne puis-je mourir pour Votre Majesté!…

– Enfant que vous êtes! Songez donc à vivre bien plutôt!… Mais ce n’est pas tout, Alice. Je vous ai parlé avec la plus entière franchise… j’espère que vous-même.

– Interrogez-moi, madame! Pas une parole ne sortira de ma bouche sans être sortie de mon cœur.

– Eh bien, fit la reine, que prétendez-vous faire? J’entends non pas seulement demain, mais dès cette nuit… Restez-vous à Paris?… Vous en allez-vous?…

Elle fixait un clair regard sur Alice.

Alors l’espionne devina ou crut avoir deviné la secrète pensée de la reine.

Ce comte de Marillac… c’était son fils!

L’espionne le savait. Elle l’avait appris à Saint-Germain, dans la soirée même où la reine de Navarre l’avait chassée. Ce terrible secret, elle l’avait renfermé au plus profond de son cœur. Jamais un mot, même à Marillac, qui eût pu laisser supposer qu’elle savait!

En effet, elle avait cette conviction profonde que la reine tuerait Marillac du jour où le mystère de sa naissance menacerait de s’éclaircir.

Voici donc ce qu’elle supposa:

«La reine sait que Marillac est son fils. Elle sait que je ne puis vivre à Paris sans risquer d’être démasquée à chaque instant. Elle sait donc que j’entraînerai le comte le plus loin possible de Paris. Et c’est pour cela, c’est uniquement pour cela qu’elle me le donne pour époux et que mon mariage est fait la nuit, en plein mystère…»

Voilà nettement formulées les pensées qui traversèrent comme un éclair le cerveau de l’espionne. Habituée à lire vite dans l’esprit de ses adversaires et à prendre de promptes décisions, elle comprit ou crut comprendre qu’en de pareilles conditions, la reine devenait son alliée la plus précieuse.

– Madame, dit-elle, c’est justement de ces choses que je voulais, ce soir, m’entretenir avec le comte. Mais j’attendrai les ordres de Votre Majesté.

– Nullement. Je veux que vous en fassiez à votre tête. Voyons, quel conseil donnerez-vous au comte?