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– Ventre-saint-gris, madame, savez-vous que je ne vais plus avoir peur que d’une chose?

– Laquelle, sire?

– C’est de me mettre à vous aimer.

Margot eut un sourire plein de coquetterie.

– Ainsi, c’est dit? reprit-elle. Vous me jurez fidélité pour tout le temps que vous logerez au Louvre?

– Madame, vous êtes adorable, dit le Gascon avec une émotion contenue. Puisque vous daignez être mon palladium, je ne crains plus rien, ce qui me permettra de dormir tranquille dans ce Louvre où j’ai jusqu’ici passé de si mauvaises nuits.

Tels furent les propos qu’échangèrent les deux nouveaux époux, pendant que se déroulait la cérémonie nuptiale.

Cette cérémonie se termina enfin. Puis, précédé en grande pompe de tout le chapitre de Notre-Dame, le cortège se reforma: cardinaux, évêques, archevêques rutilants d’or, mitre en tête, crosse à la main, marchèrent jusqu’à la porte en entonnant le Te Deum. Le roi de Navarre donnait la main à la nouvelle reine; Catherine de Médicis, Charles IX, les princes passèrent dans la double haie des seigneurs et des grandes dames toutes raidies dans les plis des soieries; les trompettes sonnèrent de joyeuses fanfares; les cloches recommencèrent leurs mugissements; le canon gronda, le peuple se mit à hurler, et tout ce monde, dans une houle énorme, dans la clameur des vivats et des menaces, reprit le chemin du Louvre.

Au Louvre, des fêtes splendides commencèrent aussitôt. Mais dès que Marguerite eut reçu les salutations et les vœux de la multitude des seigneurs, dès qu’on se fut répandu dans les salles, elle entraîna son mari jusque dans son appartement.

– Sire, dit-elle, voici ma chambre. Comme vous voyez, j’y ai fait dresser deux lits. Voici le mien, et voici le vôtre.

Une galanterie vint aux lèvres du Gascon; mais il comprit que la situation était plus grave encore qu’il ne l’imaginait.

– Tant que vous dormirez dans ce lit, reprit Margot, je réponds de vous, sire!

Henri pâlit et se mit à trembler.

– Pour Dieu, madame, s’écria-t-il, que savez-vous? Oserait-on…

– Je ne sais rien, dit sincèrement Margot. Je ne sais rien qu’une chose. C’est qu’ici je suis chez moi. Ici nul n’oserait pénétrer, pas même le roi.

Henri baissa la tête, pensif. Marguerite en savait-elle plus long qu’elle ne disait? Il le pensa. Et il fut sur le point de s’écrier:

– Vous me sauvez, moi! mais qui sauvera mes amis!

Il se retint, songeant qu’après tout, le péril n’était pas imminent, qu’il y avait bien de vagues menaces autour de lui, mais qu’il aurait le temps de se concerter avec Coligny, Condé, Marillac, et quelques-uns des principaux huguenots.

– Venez, sire, reprit la reine Margot. Il ne faut pas que notre absence soit remarquée.

Et avec ce sourire de scepticisme qui allait si bien à sa spirituelle beauté, elle ajouta:

– On pourrait soupçonner que nous parlons d’amour…

– Tandis que nous parlons de mort! dit le Béarnais avec un frisson.

– Mors, amor… principium, finis… [17]murmura Marguerite.

Pâles tous deux des pensées formidables qu’ils portaient et des choses qu’ils entrevoyaient, ils reprirent silencieusement le chemin des salles de fête.

– Vive la messe! rugissait au-dehors la foule.

– Eh! ventre-saint-gris! dit le Béarnais, j’en sors, de la messe… et je n’en suis pas fâché, ajouta-t-il en déguisant ses inquiétudes sous une apparence de joviale galanterie… Car ma première messe me vaut la femme de France qui a le plus d’esprit et de beauté.

Il fixa un clair regard sur la nouvelle reine.

– Or çà, que me rapportera, en ce cas, ma deuxième messe?

– Qui sait? répondit la reine Margot en lui rendant regard pour regard.

Et en elle-même, elle pensa:

«Peut-être un coup de poignard… ou peut-être le trône de France.»

XVI L’ESCADRON VOLANT DE LA REINE

Dans les rues qui avoisinaient le Louvre, la foule de bourgeois et de peuple enfin libre de toute entrave s’était répandue avec des hurlements si féroces que les postes de chaque porte crurent prudent de relever les ponts-levis.

On ne sait ce qui fût arrivé dans cette journée si le temps ne se fut soudainement couvert et si une forte pluie d’orage n’eut engagé les Parisiens à rentrer chez eux.

Cependant, deux ou trois milliers des plus enragés reçurent stoïquement les averses en criant de plus belle:

– Vive la messe! Vive la messe!

Ce cri, les huguenots rassemblés dans le Louvre l’entendaient sans inquiétude; ils étaient les hôtes du roi de France, et il leur semblait impossible que le plus grand roi de la chrétienté manquât à ses devoirs d’hospitalité en les faisant malmener.

Ils étaient d’ailleurs parfaitement résolus à se défendre, et à défendre le roi lui-même. Beaucoup d’entre eux soupçonnaient la main de Guise dans toute cette effervescence populaire. Si les choses allaient plus loin, si Guise, dans un coup de folie, osait attaquer Charles IX, ils défendraient le roi et le maintiendraient sur le trône.

En effet, pour eux, Charles IX, c’était la paix assurée.

Guise, c’était la guerre, l’extermination.

Ils avaient donc une confiance sans borne dans l’hospitalité que Charles IX leur offrait, large, somptueuse, et s’inquiétaient peu des menaces qui grondaient autour du Louvre.

Mais la foule poussait aussi un autre cri que Catherine écoutait avec un sourire aigu.

À un moment, elle entraîna son fils Charles vers un balcon en lui disant:

– Sire, montrez-vous donc un peu à votre bon peuple qui vous acclame.

Charles IX parut sur le balcon. À sa vue, ce fut au dehors une sorte de rugissement furieux. Et cette rumeur éclata:

– Vive le capitaine général! Vive Guise!… Mort aux huguenots!

– Vous entendez, Sire? fit Catherine à l’oreille du roi. Il n’est que temps d’agir… si vous ne voulez que Guise agisse à votre place!

Charles IX eut un tressaillement de rage et de terreur. Une lueur sanglante s’alluma dans ses yeux. Il recula, rentra, et comme il se retournait vers l’intérieur de la salle, il vit venir Henri de Guise et l’amiral Coligny qui paraissaient au mieux ensemble et devisaient tranquillement de la campagne contre le duc d’Albe.

Charles IX les regarda tous les deux avec des yeux de fou. Et soudain il éclata de rire: ce rire atroce, funèbre, terrible, qui le secouait comme d’une convulsion mortelle.

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[17] More, amor, principium, finis: la mort, l’amour, le début, la fin.