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Il en résultait que les groupes du peuple, en arrivant au parvis, le trouvaient déjà occupé par une foule entassée qui s’était formée par les alluvions successives des fleuves d’hommes coulant de tous les points de Paris vers ce lac central.

Les nouveaux arrivés poussaient pour avoir une place.

Ceux qui étaient déjà installés résistaient: de là des remous terribles, des bagarres, des hurlements.

À neuf heures, il eût été impossible, même à un enfant, de se faufiler sur le parvis, et les rues avoisinantes elles-mêmes regorgeaient d’une multitude tumultueuse.

Seul restait libre le long ruban de route que la double haie de gens d’armes traçait depuis le porche de Notre-Dame jusqu’au pont-levis du Louvre. Encore cette haie menaçait-elle à chaque instant de se rompre, en sorte que les soldats, sur plus d’un point, faisaient face à la foule qu’ils menaçaient de la pointe de leurs hallebardes.

Par moments, il y avait des silences subits, d’une inquiétante lourdeur; puis des clameurs éclataient, on ne savait pas pourquoi; dans tous les groupes, on s’entretenait de choses menaçantes; il se trouvait bien par-ci par-là des femmes qui causaient de la toilette que porterait Madame Marguerite et qui était, disait-on, un miracle de richesse; ou encore, de la somptuosité des carrosses de cérémonie… mais vite, on revenait partout au double sujet qui tenait au cœur des Parisiens.

Le premier, c’était le grand miracle qui avait eu lieu la veille.

Des milliers de personnes affirmaient avoir vu la chaudière pleine de sang… le sang de Jésus! Il s’en trouvait qui avaient assisté au miracle lui-même: la transmutation de l’eau en sang; d’autres, mais ceux-là trouvaient des incrédules, juraient qu’ils avaient pu toucher maître Lubin, le saint! Chacune de ces affirmations était accompagnée de signes de croix et on faisait remarquer que Dieu désirait, sans aucun doute, un carnage d’hérétiques.

Le deuxième sujet dont on s’entretenait ardemment, avec force jurons et signes de croix, c’était la question de savoir si le roi de Béarn et ses damnés acolytes les huguenots, entreraient dans Notre-Dame. Quelques-uns faisaient bien remarquer qu’il fallait que le roi entrât, s’il voulait se marier, mais le plus grand nombre jurait que le maudit n’oserait pénétrer dans le lieu saint.

On en concluait généralement qu’il faudrait le traîner de force dans Notre-Dame, afin qu’il pût faire amende honorable.

Telles étaient les dispositions de la foule, lorsque les canons du Louvre se mirent à tonner.

Il y eut alors à la surface de cette masse humaine, une sorte de houle qui se propagea du parvis jusqu’aux rues voisines, les cous se tendirent, des cris de femmes à demi étouffées retentirent, mais furent couverts par une clameur énorme, d’une sauvage expression, qui fut comme le hurlement d’une armée de loups furieux.

– Vive la messe!… La messe!… À la messe, les huguenots!…

Presque aussitôt, de nouvelles compagnies d’archers et d’arquebusiers, renforcèrent la haie des gens d’armes qui avait maintenant un quadruple rang de chaque côté.

Les bourgeois vociférèrent.

Il fut évident qu’on ne pourrait atteindre les huguenots ainsi protégés. Mais il fut évident aussi que cette foule savamment portée au suprême degré de l’exaspération, deviendrait terrible si par malheur on la laissait se déchaîner!

La laisserait-on se déchaîner? Serait-ce ce matin-là! Nul n’eût pu le dire encore…

Mais la manœuvre militaire qui, pour le moment, mettait les huguenots hors d’atteinte, exaspéra la multitude. Et cette exaspération éclata en violents murmures contre le roi; qu’on accusait tout haut de protéger les hérétiques et d’empêcher l’holocauste formellement réclamé par le miracle de la chaudière.

– Il nous faut un capitaine général!…

Ce cri, qui traduisait si bien la pensée des bourgeois armés, courut de bouche en bouche, se fortifia, s’enfla.

– Guise! Guise! Guise, capitaine général!

– Vive la messe!

– À la messe les huguenots!

Ces vociférations s’entrecroisaient maintenant, plus violentes, et se fondaient en une vaste clameur que couvraient mal les mugissements des cloches et du canon.

Tout à coup, il y eut pourtant une accalmie; vingt-quatre hérauts à cheval, magnifiquement vêtus de drap d’or, les armoiries royales brodées en bleu sur la poitrine, les chevaux caparaçonnés de longues housses flottantes, débouchaient sur six rangs, le coude haut, la trompette à bannière armoriée levée au ciel, et sonnaient une fanfare bruyante.

– Les voilà! les voilà!…

Ce cri, pour un instant, fit taire toutes les clameurs, et les haines éparses se résorbèrent en curiosité.

Le cortège royal déroulait sa pompe vraiment imposante, et des applaudissements éclatèrent même.

Immédiatement après la fanfare des hérauts, parut une compagnie des gardes à cheval, commandés par M. de Cosseins; c’étaient tous des cavaliers de haute taille, montés sur de lourds chevaux normands, étincelants d’acier et de broderies, formant un de ces somptueux spectacles guerriers qui produisent sur la foule des impressions si profondes.

Puis venait le grand maître des cérémonies dont le cheval était tenu en bride par deux valets, et qui précédait une centaine de seigneurs, tous de l’entourage du roi de France.

Des acclamations saluaient au passage les seigneurs qui s’étaient rendus populaires soit par leur magnificence, soit par leurs hauts faits pendant les guerres contre les huguenots.

Mais un grand silence tomba sur le parvis, tandis que les rues avoisinantes demeuraient houleuses: le carrosse du roi venait d’apparaître. Charles IX, sous son grand manteau royal, grelottait de fièvre; il avait été pris par une de ses crises au moment de sortir du Louvre. Il avait une figure d’ivoire, et ses yeux, sous ses sourcils froncés, avaient un regard de fou. Ce fut une sinistre apparition qui passa dans un grand frisson de défiance. Près de lui, Henri de Béarn, très pâle aussi et pourtant souriant, considérait le peuple avec inquiétude, ne voyant autour de lui que des visages hostiles et des yeux menaçants.

Dans un vaste carrosse entièrement doré, traîné par huit chevaux blancs, on vit alors Catherine de Médicis et Marguerite de France: la vieille reine rutilante de diamants, toute raide dans une robe de lourde soie qui semblait taillée dans le marbre, glaciale, hautaine et, semblait-il, attristée par la cérémonie qui se préparait; sa fille Margot, radieuse de beauté, indifférente à ce qui se passait, un pli d’ironie au coin des lèvres.

La reine mère était à droite et, de ce côté-là, retentirent des hurlements forcenés de:

– Vive la messe! Vive la reine de la messe!

Marguerite était assise à gauche et, sur la gauche du carrosse, ce furent des ricanements qui éclatèrent.