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– Un meurtre! On vient de tuer une pauvre vieille femme!

– C’est la Roussotte et Pâquette!

Trois ou quatre ribaudes venaient de jeter cette affirmation: c’étaient des ennemies acharnées des deux filles, jalouses de leurs succès et de leur beauté, et qui n’eussent pas été fâchées de leur attirer quelque mauvaise affaire.

Aussi faisaient-elles grand tapage de ce meurtre qui, en d’autres circonstances, les eût laissées parfaitement indifférentes.

– Cette pauvre vieille! glapissait l’une. C’est abominable!

– J’ai toujours dit que Pâquette avait un mauvais regard! criait une autre.

– Il faut les dénoncer à la prévôté! hurlait une troisième. Voilà assez longtemps qu’elles nous éclaboussent.

La Roussotte et Pâquette pleuraient, sanglotaient, juraient leur innocence.

– Silence, toutes et tous! commanda Catho.

Le silence se rétablit à l’instant. La porte de l’auberge fut soigneusement fermée.

– Où est la vieille femme tuée? demanda Catho.

– Dans la rue, en face, ah! la pauvre vieille!… Cela fait pitié, j’en ferai une maladie…

Celle qui venait de parler ainsi était une grosse fille à tignasse jaune, aux yeux bouffis, qui jetait des regards terribles sur les deux pauvrettes abasourdies, épouvantées par la soudaine accusation qui pesait sur elles.

– Voyons, Jehanne, raconte ce que tu sais, dit Catho.

La grosse fille mit ses poings sur ses hanches, se balança un instant, et commença:

– Donc, nous venions de sortir, il y a cinq minutes, moi et Jacques-le-Manchot, avec la grande Blonde, Fifine-aux-Soldats et Léonarde. À peine dehors, voilà Jacques-le-Manchot qui crie: Tiens! qu’est-ce qu’il y a là? – Faut voir, que dit Fifine. – Allons-y, que je dis. Alors, Jacques-le-Manchot en avant, nous allons toutes voir. Et qu’est-ce que nous voyons? La Roussotte et Pâquette accroupies sur une vieille femme qu’elles achevaient d’étrangler. Pas vrai, dites?

– C’est vrai! s’écrièrent Léonarde, la grande Blonde et Fifine-aux-Soldats.

– C’est pas vrai! dit la Roussotte. La vieille était déjà morte.

– Déjà morte! déjà morte! Même qu’elle remuait encore. Pas vrai, dites?

Pâquette et Roussotte éclatèrent en sanglots et jurèrent qu’elles s’étaient heurtées dans la nuit à ce cadavre et qu’elles avaient voulu voir seulement s’il n’y avait rien de bon à emporter.

– Pas vrai! affirma Jehanne en roulant ses gros yeux. Moi, d’abord, je vais prévenir la prévôté! Viens, Manchot!

Catho saisit la fille par le bras.

– Voilà bien des histoires, dit-elle simplement, pour une vieille qui est venue mourir à ma porte. C’est-il la première fois? Qu’as-tu à dire? Va chercher la prévôté, ma fille, et je me charge de lui dire ce qu’est devenu ce sergent qu’on n’a jamais retrouvé; et toi, Manchot, tu sais que j’en sais long sur ton compte… et vous toutes, hein?

Il y eut un frémissement de terreur parmi la clientèle du cabaret.

– Par la mordieu! reprit Catho, c’est la première fois qu’on parle de m’amener la prévôté. Qu’elle vienne donc, et elle en entendra de belles!…

– Catho! Catho! s’écrièrent quelques truands.

– Mais Catho a raison! C’est la faute à Jehanne!

La grosse fille fit amende honorable et assura qu’elle avait voulu plaisanter en parlant de dénoncer la Roussotte et Pâquette. La paix se rétablit. Deux truands se chargèrent d’emporter le cadavre au loin, afin d’écarter tout soupçon du cabaret des Deux morts qui parlent. Puis, la société se dispersa.

Au moment où Paquette et La Roussotte allaient s’éloigner à leur tour Catho les retint:

– Restez, je veux vous parler, dit-elle.

L’auberge fut fermée; les lumières s’éteignirent.

Catho conduisit ses deux amies jusqu’à une chambre, et là elle leur dit:

– Alors, ce n’est pas vous qui avez tué la vieille?

– Catho! est-il possible que tu nous soupçonnes… Non, ce n’est pas nous…

– Eh bien, moi, dit Catho, je crois que c’est vous! Ne criez pas, ne pleurez pas, c’est inutile. Je crois que c’est vous. Et quand même ce ne serait pas vous, tout vous dénonce. Il y a des témoins pour prouver que vous avez tué la vieille… Vous avez entendu Jehanne? Silence, donc! pas de pleurnicheries, nous allons nous entendre… Écoutez-moi.

Paquette joignit les mains. La Roussotte baissa la tête. Elles tremblaient de terreur.

– Écoutez-moi, reprit Catho, si vous m’obéissez, je ne dis rien. Si vous ne m’obéissez pas, je vous dénonce. Choisissez.

– Commande! dirent-elles en claquant les dents.

– Voilà. Je vous demande cinq jours d’obéissance, pas une heure de plus; c’est facile.

– Que faut-il faire?

– Je vous le dirai au moment voulu. Mais pour le moment, vous allez coucher ici. De cinq jours vous ne sortirez pas de chez moi. N’ayez pas peur, vous savez qu’on y dort bien et qu’on y mange mieux. Bref, pour cinq jours, vous êtes mes prisonnières… Que voulez-vous, une lubie que j’ai…

– On t’obéira, Catho. On sera sages et on ne se montrera pas.

– C’est tout ce qu’il faut. Mais songez-y! Si l’une de vous me quitte d’ici samedi soir, je cours chez le Grand prévôt.

– Et samedi soir, qu’arrivera-t-il?…

– Eh bien, samedi soir, je vous rends la liberté; je vous habille comme des filles de bourgeoises, et tout simplement, vous vous rendez au Temple.

XXI LA DERNIÈRE FARCE DE L’ONCLE GILLES

Pendant que ces choses se passaient à l’auberge des Deux morts qui parlent, une scène grotesque et macabre se déroulait à l’hôtel de Mesmes. Et comme les événements se pressent, comme ils marchent de front, nous sommes bien obligé de conduire le lecteur qui, pas plus que nous, n’a le don d’ubiquité, successivement sur tous les théâtres où se jouent des actes divers du présent drame.

Ainsi, trois points de Paris, en cette soirée qui suivit le mariage d’Henri de Béarn et de Margot, en cette nuit où se déchaîna le violent orage que nous avons signalé, trois points disons-nous, sollicitent notre curiosité – sans parler du Louvre où éclatait le faste d’une fête dont les annales du temps parlent comme d’un événement magnifique; sans parler de l’hôtel de Montmorency où la disparition inexpliquée des deux Pardaillan avait jeté le trouble, la crainte et la douleur; sans parler des recoins obscurs où grouillaient des ombres préparant on ne sait quel cataclysme…