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– Elle est morte, mon pauvre marquis… Vous voyez, il l’a tuée… J’ai assisté, impuissante, à ce meurtre… Lorsqu’il a vu le papier que vous teniez dans vos mains raidies, il s’en est emparé… il l’a lu… jamais je ne vis fureur pareille… en quelques instants, la malheureuse enfant, lacérée, déchirée comme vous voyez, est tombée sous ses coups… Mais vous êtes vengé… quelques gentilshommes qui m’avaient escortée… l’ont vu sortir sanglant, hagard… ils ont cru qu’il venait de me frapper moi-même, et à cette heure… le cadavre de Marillac roule parmi les flots de la Seine… Adieu, marquis… je laisse le corps de cette pauvre fille à vos soins pieux… que Dieu ait pitié de son âme…

La reine avait parlé d’une voix basse, lente et monotone.

Le moine n’avait pas fait un geste. Avait-il entendu, seulement? Oui, sans doute. Mais peut-être répugnait-il à parler à cette reine. Il éprouvait près d’elle une insurmontable horreur sans qu’il pût en préciser les causes.

Catherine, alors, se recula, pareille à un fantôme qui rentre dans les ténèbres, d’où il est sorti un instant pour quelque maléfice; quelques instants plus tard, seule, à pied, sans escorte, son poignard à la main, vaillante comme un reître, l’âme gorgée d’horreur, paisible et forte, en digne fille des rudes condottiri dont elle avait hérité la violence et la dureté, elle se glissait par les rues, nocturne domaine des truands, et rentrait en son hôtel.

Panigarola demeuré seul se pencha sur le cadavre d’Alice. Il n’éprouvait aucune émotion, du moins en apparence.

Sa main se posa sur le sein nu et glacé: rien ne palpitait plus sous ce sein de neige. Alice était bien morte.

Le moine, se redressant, regarda autour de lui comme pour chercher quelque chose. Ayant trouvé, sans doute, il se dirigea vers le bénitier, y trempa son mouchoir de fine batiste, et revenant au cadavre se mit à laver doucement les taches de sang.

Bien que l’obscurité fût profonde, excepté au-dessous de la pâle veilleuse, il semblait y voir parfaitement, et, dans ses allées et venues, marchait sans hésitation, sans bruit.

Par trois fois, il retourna au bénitier tremper son mouchoir.

Le bénitier, dès lors, parut plein de sang.

Par un hasard assez inexplicable, Alice n’avait aucune plaie au visage, et le sang qu’elle y portait provenait des blessures qui avaient labouré ses épaules, sa gorge et sa poitrine.

Lorsqu’il eut achevé de laver toutes ces plaies, le moine contempla un instant le cadavre: le visage pâle d’Alice apparaissait dans l’indécise clarté de la veilleuse, avec sa merveilleuse beauté pour ainsi dire idéalisée; les cheveux étaient dénoués et flottaient autour des épaules; aucune contraction ne déformait les lèvres que soulevait seulement le mystérieux sourire de la mort. Il semblait que ces seins admirables allaient se soulever dans le gonflement rythmique et paisible du sommeil.

Panigarola, cependant, avait examiné les blessures, l’une après l’autre.

Il y en avait dix-sept. C’étaient de longues déchirures à fleur de peau; aucune n’avait pénétré aux sources de la vie.

Le moine secoua la tête et murmura:

– Pas une de ces blessures n’était mortelle…

Continuant son funèbre examen, il remarqua à l’index de la main droite une bague dont le large chaton était comme crevé. À grand-peine il retira la bague du doigt qui se raidissait déjà.

Alors, il illumina un cierge et, avec une sorte de curiosité morbide, étudia la bague.

Dans le chaton éventré, il aperçut quelques grains d’une poudre blanche, et il sourit comme peut sourire un savant qui vient de déchiffrer un problème.

Il rajusta les bords du chaton, de façon que le reste de poudre ne pût s’en échapper, et plaça la bague à son plus petit doigt.

– L’anneau des fiançailles, dit-il gravement, sans ironie, sans tristesse apparente.

Revenant à Alice, il essaya de la recouvrir tant bien que mal; mais, comme il ne pouvait arriver à rejoindre les lambeaux lacérés du corsage, il se dépouilla de sa robe de gros drap brun, et en enveloppa le cadavre.

Il apparut alors dans son élégant costume de riche gentilhomme.

D’un geste puissant, presque sans effort, il souleva dans ses bras le cadavre habillé de sa robe de moine, et l’emporta vers la porte que Ruggieri lui avait ouverte au moment où il était entré dans l’église.

Un carrosse de voyage était là qui attendait: c’était celui que la reine avait fait venir.

Un homme vêtu en postillon s’approcha du marquis de Pani-Garola et lui dit:

– Monseigneur, voici la chaise de route…

– Cette voiture est là pour moi? demanda-t-il sans s’étonner.

– Oui, monseigneur. J’ai des ordres. Nous prenons la route de Lyon et de l’Italie. Vous n’avez qu’à monter.

Le marquis, sans répondre, déposa Alice dans la voiture, l’allongea sur la banquette, de façon qu’elle ne pût tomber: puis, refermant la portière, il alla se placer à la tête des chevaux qu’il saisit par la bride.

Et il se mit en marche.

Le postillon, étonné, suivait et songeait:

– Voici l’épousé que m’a dit la reine… L’épousée est dans la voiture… mais pourquoi habillée en moine?…

Il était à ce moment deux heures du matin, et la tempête qui, cette nuit-là, ravagea Paris, abattant des cheminées, déracinant des arbres, la tempête était à son apogée de puissance dévastatrice [20]. De larges éclairs éventraient le ciel noir, du zénith à l’horizon. Leur fauve lueur illuminait alors le spectacle fantastique de cette lourde voiture de route qu’un magnifique gentilhomme, nu-tête, d’un pas raide et comme automatique, conduisait en traînant les chevaux par la bride, tandis que le postillon suivait derrière, comme on suit un enterrement.

Par moments, la rafale arrêtait l’attelage, les chevaux la tête dans le vent, les jambes arquées dans une résistance.

Le postillon, terrifié maintenant plus encore par ce gentilhomme silencieux qui avait une allure de spectre que par la bataille qui hurlait dans les airs, s’abritait derrière la voiture, s’accrochait aux rayons des roues.

Panigarola demeurait immobile, sa face livide levée vers le ciel en feu.

Et lorsque la rafale était passée, il reprenait sa marche, dans le bruit de la ferraille de la voiture funéraire, dans le tumulte, les sifflements et les clameurs des éléments déchaînés.

– Où va-t-il? Où va-t-il? murmurait le postillon éperdu. Pour un voyage de noces… c’est drôle… j’ai peur!

Panigarola s’arrêta tout à coup, et l’homme ayant regardé autour de lui, se signa rapidement et bégaya:

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[20] Cette tempête, nous ne l’avons pas mise là par nécessité d’horrifier le décor et de dramatiser une mise en scène suffisamment dramatique par elle-même. Nous en parlons parce que les chroniques du temps la signalent, voilà tout. (Note de M. Zévaco.)