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À la fin, n’y pouvant tenir, elle se leva brusquement en faisant une espèce de mouvement spasmodique, et se mit à marcher dans la chambre avec une grande activité; puis elle s’arrêta devant le miroir, et rajusta quelques mèches de ses cheveux, qui avaient perdu leur pli. Pendant cette promenade, je faisais une pauvre figure, et je ne savais guère quelle contenance tenir.

Elle s’arrêta devant moi et parut réfléchir.

Elle pensa qu’une timidité enragée me retenait seule, que j’étais plus écolier qu’elle ne l’avait cru d’abord. – Hors d’elle-même et montée au plus haut degré d’exaspération amoureuse, elle voulut tenter un suprême effort et jouer le tout pour le tout, au risque de perdre la partie.

Elle vint à moi, s’assit sur mes genoux plus prompte que l’éclair, me passa les bras autour du cou, croisa ses mains derrière ma tête, et sa bouche se prit à la mienne avec une étreinte furieuse; je sentais sa gorge, demi-nue et révoltée, bondir contre ma poitrine, et ses doigts enlacés se crisper dans mes cheveux. – Un frisson me courut tout le long du corps, et les pointes de mes seins se dressèrent.

Rosette ne quittait pas ma bouche; ses lèvres enveloppaient mes lèvres, ses dents choquaient mes dents, nos souffles se mêlaient. – Je me reculai un instant, et je tournai deux ou trois fois la tête pour éviter ce baiser; mais un attrait invincible me fit revenir en avant, et je le lui rendis presque aussi ardent qu’elle me l’avait donné. Je ne sais pas trop ce que tout cela fût devenu, si de grands abois ne se fussent fait entendre au-dehors de la porte avec un bruit comme de pieds qui grattaient. La porte céda, et un beau lévrier blanc entra dans la cabane en jappant et en gambadant.

Rosette se releva subitement, et d’un bond elle s’élança à l’extrémité de la chambre: le beau lévrier blanc sautait autour d’elle allègrement et joyeusement, et tâchait d’atteindre ses mains pour les lécher; elle était si troublée qu’elle eut bien de la peine à rajuster son mantelet sur ses épaules.

Ce lévrier était le chien favori de son frère Alcibiade: il ne le quittait jamais, et, quand on le voyait arriver, l’on pouvait être sûr que le maître n’était pas loin; – c’est ce qui avait si fort effrayé la pauvre Rosette.

Effectivement, Alcibiade lui-même entra une minute après tout botté et tout éperonné, avec son fouet à la main: – Ah! vous voilà, dit-il; je vous cherche depuis une heure, et je ne vous eusse assurément pas trouvés, si mon brave lévrier Snug ne vous eût déterrés dans votre cachette. Et il jeta sur sa sœur un regard moitié sérieux, moitié enjoué, qui la fit rougir jusqu’au blanc des yeux. – Vous aviez apparemment des sujets bien épineux à traiter que vous vous étiez retirés dans une aussi profonde solitude? – vous parliez sans doute de théologie et de la double nature de l’âme?

– Oh! mon Dieu, non: – nos occupations n’étaient pas, à beaucoup près, si sublimes; nous mangions des gâteaux, et nous parlions de modes; – voilà tout.

– Je n’en crois rien; vous m’aviez l’air profondément enfoncés dans quelque dissertation sentimentale; – mais, pour vous distraire de vos conversations vaporeuses, je crois qu’il ne serait pas mauvais que vous vinssiez faire un tour à cheval avec moi. – J’ai une nouvelle jument que je veux essayer. – Vous la monterez aussi, Théodore, et nous verrons ce qu’on en peut faire. – Nous sortîmes tous les trois ensemble, lui me donnant le bras, moi le donnant à Rosette: les expressions de nos figures étaient singulièrement variées. – Alcibiade avait l’air pensif, moi tout à fait à l’aise, Rosette excessivement contrariée.

Alcibiade était arrivé fort à propos pour moi, fort mal à propos pour Rosette, qui perdit ainsi ou crut perdre tout le fruit de ses savantes attaques et de son ingénieuse tactique. – C’était à recommencer; – un quart d’heure plus tard, le diable m’emporte si je sais le dénouement qu’aurait pu avoir cette aventure, – je n’y en vois pas de possible. – Peut-être eût-il mieux valu qu’Alcibiade n’intervînt pas précisément au moment scabreux, comme un dieu dans sa machine: – il aurait bien fallu que cela finît d’une manière ou de l’autre. – Pendant cette scène, je fus deux ou trois fois sur le point d’avouer qui j’étais à Rosette; mais la crainte de passer pour une aventurière et de voir mon secret divulgué retint sur mes lèvres les paroles prêtes à s’envoler.

Un pareil état de choses ne pouvait durer. – Mon départ était le seul moyen de couper court à cette intrigue sans issue; aussi, au dîner, j’annonçai officiellement que je partirais le lendemain même. – Rosette qui était assise à côté de moi, faillit presque se trouver mal en entendant cette nouvelle, et laissa tomber son verre. Une pâleur subite couvrit sa belle figure: elle me jeta un regard douloureux et plein de reproches, qui m’émut et me troubla presque autant qu’elle.

La tante leva ses vieilles mains ridées avec un mouvement de surprise pénible, et, de sa voix grêle et tremblante qui chevrotait encore plus qu’à l’ordinaire, elle me dit: «Ah! mon cher monsieur Théodore, vous nous quittez comme cela? Ce n’est pas bien; hier, vous n’aviez pas le moins du monde l’air disposé à partir. – Le courrier n’est pas venu: ainsi vous n’avez pas reçu de lettres et vous n’avez aucun motif. Vous nous aviez accordé encore quinze jours, et vous nous les reprenez; vous n’en avez vraiment pas le droit: chose donnée ne peut se reprendre. – Vous voyez quelle mine Rosette vous fait, et comme elle vous en veut; je vous avertis que je vous en voudrai au moins autant qu’elle, et que je vous ferai une mine aussi terrible, et une mine de soixante-huit ans est un peu plus effroyable qu’une mine de vingt-trois. Voyez à quoi vous vous exposez volontairement: à la colère de la tante et à celle de la nièce, et tout cela pour je ne sais quel caprice qui vous a pris subitement entre la poire et le fromage.»

Alcibiade jura, en frappant un grand coup de poing sur la table, qu’il barricaderait les portes du château et couperait les jarrets à mon cheval plutôt que de me laisser partir.

Rosette me lança un autre regard, si triste et si suppliant, qu’il eût fallu toute la férocité d’un tigre à jeun depuis huit jours pour n’en pas être touché.

– Je n’y résistai pas, et, quoique cela me contrariât singulièrement, je fis la promesse solennelle de rester.

– La chère Rosette m’eût volontiers sauté au cou et embrassé sur la bouche pour cette complaisance; Alcibiade m’enferma la main dans sa grande main, et me secoua le bras si violemment qu’il faillit m’arracher l’épaule, rendit mes bagues ovales de rondes qu’elles étaient, et me coupa trois doigts assez profondément.

La vieille, en réjouissance, huma une immense prise de tabac.

Cependant Rosette ne reprit pas complètement sa gaieté; – l’idée que je pouvais m’en aller et que j’en avais le désir, idée qui ne s’était pas encore présentée nettement à son esprit, la jeta dans une profonde rêverie. Les couleurs que l’annonce de mon départ avait chassées de ses joues n’y revinrent pas aussi vives qu’auparavant; – il lui resta de la pâleur sur la joue et de l’inquiétude au fond de l’âme. – Ma conduite à son égard la surprenait de plus en plus. – Après les avances marquées qu’elle m’avait faites, elle ne comprenait pas les motifs qui me faisaient mettre tant de retenue dans mes rapports avec elle: ce qu’elle voulait c’était de m’amener avant mon départ à un engagement tout à fait décisif, ne doutant pas qu’après cela il ne lui fût extrêmement facile de me retenir aussi longtemps qu’elle le voudrait.