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Rosalinde décroisa ses mains, appuya le bout de son doigt sur le dos d’un fauteuil et se tint immobile; elle hanchait légèrement de manière à faire ressortir toute la richesse de la ligne ondoyante; – elle ne paraissait nullement embarrassée, et l’imperceptible rose de ses joues n’avait pas une nuance de plus: seulement le battement un peu précipité de son cœur faisait trembler le contour de son sein gauche.

Le jeune enthousiaste de la beauté ne pouvait rassasier ses yeux d’un pareil spectacle: nous devons dire, à la louange immense de Rosalinde, que cette fois la réalité fut au-dessus de son rêve, et qu’il n’éprouva pas la plus légère déception.

Tout était réuni dans le beau corps qui posait devant lui: – délicatesse et force, forme et couleur, les lignes d’une statue grecque du meilleur temps et le ton d’un Titien. – Il voyait là, palpable et cristallisée, la nuageuse chimère qu’il avait tant de fois vainement essayé d’arrêter dans son vol: – il n’était pas forcé, comme il s’en plaignait si amèrement à son ami Silvio, de circonscrire ses regards sur une certaine portion assez bien faite, et de ne la point dépasser, sous peine de voir quelque chose d’effroyable, et son œil amoureux descendait de la tête aux pieds et remontait des pieds à la tête, toujours doucement caressé par une forme harmonieuse et correcte.

Les genoux étaient admirablement purs, les chevilles élégantes et fines, les jambes et les cuisses d’un tour fier et superbe, le ventre lustré comme une agate, les hanches souples et puissantes, la gorge à faire descendre les dieux du ciel pour la baiser, les bras et les épaules du plus magnifique caractère; – un torrent de beaux cheveux bruns légèrement crêpelés, comme on en voit aux têtes des anciens maîtres, descendait à petites vagues au long d’un dos d’ivoire dont il rehaussait merveilleusement la blancheur.

Le peintre satisfait, l’amant reprit le dessus; car, quelque amour de l’art qu’on ait, il est des choses qu’on ne peut pas longtemps se contenter de regarder.

Il enleva la belle dans ses bras et la porta au lit; en un tour de main il fut déshabillé lui-même et s’élança à côté d’elle.

L’enfant se serra contre lui et l’enlaça étroitement, car ses deux seins étaient aussi froids que la neige dont ils avaient la couleur. Cette fraîcheur de peau faisait brûler d’Albert encore davantage et l’excitait au plus haut degré. – Bientôt la belle eut aussi chaud que lui. – Il lui faisait les plus folles et les plus ardentes caresses. – C’étaient la gorge, les épaules, le cou, la bouche, les bras, les pieds; il eût voulu couvrir d’un seul baiser tout ce beau corps, qui se fondait presque au sien, tant leur étreinte était intime. – Dans cette profusion de charmants trésors, il ne savait auquel atteindre.

Ils ne séparaient plus leurs baisers, et les lèvres parfumées de la Rosalinde ne faisaient plus qu’une seule bouche avec celle de d’Albert; – leurs poitrines se gonflaient, leurs yeux se fermaient à demi; – leurs bras, morts de volupté, n’avaient plus la force de serrer leurs corps. – Le divin moment approchait: – un dernier obstacle fut surmonté, un spasme suprême agita convulsivement les deux amants, – et la curieuse Rosalinde fut aussi éclairée que possible sur ce point obscur qui l’inquiétait si fort.

Cependant, comme une seule leçon, si intelligent qu’on soit, ne peut pas suffire, d’Albert lui en donna une seconde, puis une troisième… Par égard pour le lecteur, que nous ne voulons pas humilier et désespérer, nous ne porterons pas notre relation plus loin…

Notre belle lectrice bouderait à coup sûr son amant si nous lui révélions le chiffre formidable où monta l’amour de d’Albert, aidé de la curiosité de Rosalinde. Qu’elle se souvienne de la mieux remplie et de la plus charmante de ses nuits, de cette nuit où… de cette nuit de laquelle l’on se souviendrait pendant plus de cent mille jours, si l’on n’était mort depuis longtemps; qu’elle pose le livre à côté d’elle, et suppute sur le bout de ses jolis doigts blancs combien de fois l’a aimée celui qui l’a le plus aimée, et comble ainsi la lacune que nous laissons dans cette glorieuse histoire.

Rosalinde avait de prodigieuses dispositions, et fit en cette nuit seule des progrès énormes. – Cette naïveté de corps qui s’étonnait de tout et cette rouerie d’esprit qui ne s’étonnait de rien formaient le plus piquant et le plus adorable contraste. – D’Albert était ravi, éperdu, transporté, et aurait voulu que cette nuit durât quarante-huit heures, comme celle où fut conçu Hercule. – Cependant, vers le matin, malgré une infinité de baisers, de caresses, de mignardises les plus amoureuses du monde et bien faites pour tenir éveillé, après un effort surhumain, il fut obligé de prendre un peu de repos. Un doux et voluptueux sommeil lui toucha les yeux du bout de l’aile, sa tête s’affaissa, et il s’endormit entre les deux seins de sa belle maîtresse. – Celle-ci le considéra quelque temps avec un air de mélancolique et profonde réflexion; puis, comme l’aube jetait ses rayons blanchâtres à travers les rideaux, elle le souleva doucement, le reposa à côté d’elle, se dressa, et passa légèrement sur son corps.

Elle fut à ses habits et se rajusta à la hâte, puis revint au lit, se pencha sur d’Albert, qui dormait encore, et baisa ses deux yeux sur leurs cils soyeux et longs. – Cela fait, elle se retira à reculons en le regardant toujours.

Au lieu de retourner dans sa chambre, elle entra chez Rosette. – Ce qu’elle y dit, ce qu’elle y fit, je n’ai jamais pu le savoir, quoique j’aie fait les plus consciencieuses recherches. – Je n’ai trouvé ni dans les papiers de Graciosa, ni dans ceux de d’Albert ou de Silvio, rien qui eût rapport à cette visite. Seulement une femme de chambre de Rosette m’apprit cette circonstance singulière: bien que sa maîtresse n’eût pas couché cette nuit-là avec son amant, le lit était rompu et défait, et portait l’empreinte de deux corps. – De plus, elle me montra deux perles, parfaitement semblables à celles que Théodore portait dans ses cheveux en jouant le rôle de Rosalinde. Elle les avait trouvées dans le lit en le faisant. Je livre cette remarque à la sagacité du lecteur, et je le laisse libre d’en tirer toutes les inductions qu’il voudra; quant à moi, j’ai fait là-dessus mille conjectures, toutes plus déraisonnables les unes que les autres, et si saugrenues que je n’ose véritablement les écrire, même dans le style le plus honnêtement périphrase.

Il était bien midi lorsque Théodore sortit de la chambre de Rosette. – Il ne parut pas au dîner ni au souper. – D’Albert et Rosette n’en semblèrent point surpris. – Il se coucha de fort bonne heure, et le lendemain matin, dès qu’il fit jour, sans prévenir personne, il sella son cheval et celui de son page, et sortit du château en disant à un laquais qu’on ne l’attendit pas au dîner, et qu’il ne reviendrait peut-être point de quelques jours.

D’Albert et Rosette étaient on ne peut plus étonnés, et ne savaient à quoi attribuer cette étrange disparition, d’Albert surtout qui, par les prouesses de sa première nuit, croyait bien en avoir mérité une seconde. Sur la fin de la semaine, le malheureux amant désappointé reçut une lettre de Théodore, que nous allons transcrire. J’ai bien peur qu’elle ne satisfasse ni mes lecteurs ni mes lectrices; mais, en vérité, la lettre était ainsi et pas autrement, et ce glorieux roman n’aura pas d’autre conclusion.