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En disant ces mots, la belle infante s’avança vers le dolent amoureux, et lui jeta ses beaux bras autour du cou. – D’Albert l’embrassa avec effusion sur les deux joues et sur la bouche. – Ce dernier baiser dura plus longtemps que les autres, et aurait pu compter pour quatre. – Rosalinde vit que tout ce qu’elle avait fait jusqu’alors n’était que pur enfantillage. – Sa dette acquittée, elle s’assit sur les genoux de d’Albert encore tout émue, et, passant ses doigts dans ses cheveux, elle lui dit:

– Toutes mes cruautés sont épuisées, mon doux ami; j’avais pris ces quinze jours pour satisfaire à ma férocité naturelle; je vous avouerai que je les ai trouvés longs. N’allez pas devenir fat parce que je suis franche, mais cela est vrai. – Je me remets entre vos mains, vengez-vous de mes rigueurs passées. – Si vous étiez un sot, je ne vous dirais pas cela, et même je ne vous dirais pas autre chose, car je n’aime pas les sots. – Il m’aurait été bien facile de vous faire croire que j’étais prodigieusement choquée de votre hardiesse, et que vous n’auriez pas assez de tous vos platoniques soupirs et de votre plus quintessencié galimatias pour vous faire pardonner une chose dont j’étais fort aise; j’aurais pu, comme une autre, vous marchander longtemps et vous donner en détail ce que je vous accorde librement et en une fois; mais je ne pense pas que vous m’en eussiez aimée l’épaisseur d’un seul cheveu de plus. – Je ne vous demande ni serment d’amour éternel, ni protestation exagérée. – Aimez-moi tant que le bon Dieu voudra. – J’en ferai autant de mon côté. – Je ne vous appellerai pas perfide et misérable, quand vous ne m’aimerez plus. – Vous aurez aussi la bonté de m’épargner les titres odieux correspondants, s’il m’arrive de vous quitter. – Je ne serai qu’une femme qui aura cessé de vous aimer, – rien de plus. – Il n’est pas nécessaire de se haïr toute la vie, à cause que l’on a couché une nuit ou deux ensemble. – Quoi qu’il arrive, et où que la destinée me pousse, je vous jure, et ceci est une promesse que l’on peut tenir, de garder toujours un charmant souvenir de vous, et, si je ne suis plus votre maîtresse, d’être votre amie comme j’ai été votre camarade. – J’ai quitté pour vous cette nuit mes habits d’homme; – je les reprendrai demain matin pour tous. – Songez que je ne suis Rosalinde que la nuit, et que tout le jour je ne suis et ne peux être que Théodore de Sérannes…

La phrase qu’elle allait prononcer s’éteignit dans un baiser auquel en succédèrent beaucoup d’autres, que l’on ne comptait plus et dont nous ne ferons pas le catalogue exact, parce que cela serait assurément un peu long et peut-être fort immoral – pour certaines gens, – car pour nous, nous ne trouvons rien de plus moral et de plus sacré sous le ciel que les caresses de l’homme et de la femme, quand tous deux sont beaux et jeunes.

Comme les instances de d’Albert devenaient plus tendres et plus vives, au lieu de s’épanouir et de rayonner, la belle figure de Théodore prit l’expression de fière mélancolie qui donna quelque inquiétude à son amant.

– Pourquoi, ma chère souveraine, avez-vous l’air chaste et sérieux d’une Diane antique, là où il faudrait plutôt les lèvres souriantes de Vénus sortant de la mer?

– Voyez-vous, d’Albert, c’est que je ressemble plus à Diane chasseresse qu’à toute autre chose. – J’ai pris fort jeune cet habit d’homme pour des raisons qu’il serait long et inutile de vous dire. – Vous avez seul deviné mon sexe, – et, si j’ai fait des conquêtes, ce n’a été que de femmes, conquêtes fort superflues et dont j’ai été plus d’une fois embarrassée. – En un mot, quoique ce soit une chose incroyable et ridicule, je suis vierge, – vierge comme la neige de l’Himalaya, comme la Lune avant qu’elle n’eût couché avec Endymion, comme Marie avant d’avoir fait connaissance avec le pigeon divin, et je suis grave ainsi que toute personne qui va faire une chose sur laquelle on ne peut revenir. – C’est une métamorphose, une transformation que je vais subir. – Changer le nom de fille en nom de femme, n’avoir plus à donner demain ce que j’avais hier; quelque chose que je ne savais pas et que je vais apprendre, une page importante tournée au livre de la vie. – Voilà pourquoi j’ai l’air triste, mon ami, et non pour rien qui soit de votre faute. En disant cela, elle sépara de ses deux belles mains les longs cheveux du jeune homme, et posa sur son front pâle ses lèvres mollement plissées.

D’Albert, singulièrement ému par le ton doux et solennel dont elle débita toute cette tirade, lui prit les mains et en baisa tous les doigts, les uns après les autres, – puis rompit fort délicatement le lacet de sa robe, en sorte que le corsage s’ouvrit et que les deux blancs trésors apparurent dans toute leur splendeur: sur cette gorge étincelante et claire comme l’argent s’épanouissaient les deux belles roses du paradis. Il en serra légèrement les pointes vermeilles dans sa bouche, et en parcourut ainsi tout le contour. Rosalinde se laissait faire avec une complaisance inépuisable, et tâchait de lui rendre ses caresses aussi exactement que possible.

– Vous devez me trouver bien gauche et bien froide, mon pauvre d’Albert; mais je ne sais guère comment l’on s’y prend; – vous aurez beaucoup à faire pour m’instruire, et réellement je vous charge là d’une occupation très pénible.

D’Albert fit la réponse la plus simple, il ne répondit pas, – et, l’étreignant dans ses bras avec une nouvelle passion, il couvrit de baisers ses épaules et sa poitrine nues. Les cheveux de l’infante à demi pâmée se dénouèrent, et sa robe tomba sur ses pieds comme par enchantement. Elle demeura tout debout comme une blanche apparition avec une simple chemise de la toile la plus transparente. Le bienheureux amant s’agenouilla, et eut bientôt jeté dans un coin opposé de l’appartement les deux jolis petits souliers à talons rouges; – les bas à coins brodés les suivirent de près.

La chemise, douée d’un heureux esprit d’imitation, ne resta pas en arrière de la robe: elle glissa d’abord des épaules sans qu’on songeât à la retenir; puis, profitant d’un moment où les bras étaient perpendiculaires, elle en sortit avec beaucoup d’adresse et roula jusqu’aux hanches dont le contour ondoyant l’arrêta à demi. – Rosalinde s’aperçut alors de la perfidie de son dernier vêtement, et leva son genou pour l’empêcher de tomber tout à fait. – Ainsi posée, elle ressemblait parfaitement à ces statues de marbre des déesses, dont la draperie intelligente, fâchée de recouvrir tant de charmes, enveloppe à regret les belles cuisses, et par une heureuse trahison s’arrête précisément au-dessous de l’endroit qu’elle est destinée à cacher. – Mais, comme la chemise n’était pas de marbre et que ses plis ne la soutenaient pas, elle continua sa triomphale descente, s’affaissa tout à fait sur la robe, et se coucha en rond autour des pieds de sa maîtresse comme un grand lévrier blanc.

Il y avait assurément un moyen fort simple d’empêcher tout ce désordre, celui de retenir la fuyarde avec la main: cette idée, toute naturelle qu’elle fût, ne vint pas à notre pudique héroïne.

Elle resta donc sans aucun voile, ses vêtements tombés lui faisant une espèce de socle, dans tout l’éclat diaphane de sa belle nudité, aux douces lueurs d’une lampe d’albâtre que d’Albert avait allumée.

D’Albert, ébloui, la contemplait avec ravissement.

– J’ai froid, dit-elle en croisant ses deux mains sur ses épaules.

– Oh! de grâce! une minute encore!