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D’abord pour se poser en journaliste de cette espèce, il faut quelques petits ustensiles préparatoires, – tels que deux ou trois femmes légitimes, quelques mères, le plus de sœurs possible, un assortiment de filles complet et des cousines innombrablement. – Ensuite il faut une pièce de théâtre ou un roman quelconque, une plume, de l’encre, du papier et un imprimeur. Il faudrait peut-être bien une idée et plusieurs abonnés; mais on s’en passe avec beaucoup de philosophie et l’argent des actionnaires.

Quand on a tout cela, l’on peut s’établir journaliste moral. Les deux recettes suivantes, convenablement variées, suffisent à la rédaction.

Modèles d’articles vertueux

sur une première représentation.

«Après la littérature de sang, la littérature de fange; après la Morgue et le bagne, l’alcôve et le lupanar; après les guenilles tachées par le meurtre, les guenilles tachées par la débauche; après, etc. (selon le besoin et l’espace, on peut continuer sur ce ton depuis six lignes jusqu’à cinquante et au-delà), – c’est justice. – Voilà où mènent l’oubli des saines doctrines et le dévergondage romantique: le théâtre est devenu une école de prostitution où l’on n’ose se hasarder qu’en tremblant avec une femme qu’on respecte. Vous venez sur la foi d’un nom illustre, et vous êtes obligé de vous retirer au troisième acte avec votre jeune fille toute troublée et toute décontenancée. Votre femme cache sa rougeur derrière son éventail; votre sœur, votre cousine, etc.» (On peut diversifier les titres de parenté; il suffit que ce soient des femelles.)

Nota. – Il y en a un qui a poussé la moralité jusqu’à dire: Je n’irai pas voir ce drame avec ma maîtresse. – Celui-là, je l’admire et je l’aime; je le porte dans mon cœur, comme Louis XVIII portait toute la France dans le sien; car il a eu l’idée la plus triomphante, la plus pyramidale, la plus ébouriffée, la plus luxorienne qui soit tombée dans une cervelle d’homme, en ce benoît dix-neuvième siècle où il en est tombé tant et de si drôles.

La méthode pour rendre compte d’un livre est très expéditive et à la portée de toutes les intelligences:

«Si vous voulez lire ce livre, enfermez-vous soigneusement chez vous; ne le laissez pas traîner sur la table. Si votre femme et votre fille venaient à l’ouvrir, elles seraient perdues. – Ce livre est dangereux, ce livre conseille le vice. Il aurait peut-être eu un grand succès, au temps de Crébillon, dans les petites maisons, aux soupers fins des duchesses; mais maintenant que les mœurs se sont épurées, maintenant que la main du peuple a fait crouler l’édifice vermoulu de l’aristocratie, etc., etc., que… que… que… – il faut, dans toute œuvre, une idée, une idée… là, une idée morale et religieuse qui… une vue haute et profonde répondant aux besoins de l’humanité; car il est déplorable que de jeunes écrivains sacrifient au succès les choses les plus saintes, et usent un talent, estimable d’ailleurs, à des peintures lubriques qui feraient rougir des capitaines de dragons (la virginité du capitaine de dragons est, après la découverte de l’Amérique, la plus belle découverte que l’on ait faite depuis longtemps). – Le roman dont nous faisons la critique rappelle Thérèse philosophe, Félicia, le Compère Mathieu, les Contes de Grécourt.» – Le journaliste vertueux est d’une érudition immense en fait de romans orduriers; – je serais curieux de savoir pourquoi.

Il est effrayant de songer qu’il y a, de par les journaux, beaucoup d’honnêtes industriels qui n’ont que ces deux recettes pour subsister, eux et la nombreuse famille qu’ils emploient.

Apparemment que je suis le personnage le plus énormément immoral qu’il se puisse trouver en Europe et ailleurs; car je ne vois rien de plus licencieux dans les romans et les comédies de maintenant que dans les romans et les comédies d’autrefois, et je ne comprends guère pourquoi les oreilles de messieurs des journaux sont devenues tout à coup si janséniquement chatouilleuses.

Je ne pense pas que le journaliste le plus innocent ose dire que Pigault-Lebrun, Crébillon fils, Louvet, Voisenon, Marmontel et tous autres faiseurs de romans et de nouvelles ne dépassent en immoralité, puisque immoralité il y a, les productions les plus échevelées et les plus dévergondées de MM. tels et tels, que je ne nomme pas, par égard pour leur pudeur.

Il faudrait la plus insigne mauvaise foi pour n’en pas convenir.

Qu’on ne m’objecte pas que j’ai allégué ici des noms peu ou mal connus. Si je n’ai pas touché aux noms éclatants et monumentaux, ce n’est pas qu’ils ne puissent appuyer mon assertion de leur grande autorité.

Les Romans et les Contes de Voltaire ne sont assurément pas, à la différence de mérite près, beaucoup plus susceptibles d’être donnés en prix aux petites tartines des pensionnats que les Contes immoraux de notre ami le lycanthrope, ou même que les Contes moraux du doucereux Marmontel.

Que voit-on dans les comédies du grand Molière? La sainte institution du mariage (style de catéchisme et de journaliste) bafouée et tournée en ridicule à chaque scène.

Le mari est vieux et laid et cacochyme; il met sa perruque de travers; son habit n’est plus à la mode; il a une canne à bec-de-corbin, le nez barbouillé de tabac, les jambes courtes, l’abdomen gros comme un budget. – Il bredouille, et ne dit que des sottises; il en fait autant qu’il en dit; il ne voit rien, il n’entend rien; on embrasse sa femme à sa barbe; il ne sait pas de quoi il est question: cela dure ainsi jusqu’à ce qu’il soit bien et dûment constaté cocu à ses yeux et aux yeux de toute la salle on ne peut plus édifiée, et qui applaudit à tout rompre.

Ceux qui applaudissent le plus sont ceux qui sont le plus mariés.

Le mariage s’appelle, chez Molière, George Dandin ou Sganarelle.

L’adultère, Damis ou Clitandre; il n’y a pas de nom assez doucereux et charmant pour lui.

L’adultère est toujours jeune, beau, bien fait et marqués pour le moins. Il entre en chantonnant à la cantonade la courante la plus nouvelle; il fait un ou deux pas en scène de l’air le plus délibéré et le plus triomphant du monde; il se gratte l’oreille avec l’ongle rose de son petit doigt coquettement écarquillé; il peigne avec son peigne d’écaille sa belle chevelure blondine, et rajuste ses canons qui sont du grand volume. Son pourpoint et son haut-de-chausses disparaissent sous les aiguillettes et les nœuds de ruban, son rabat est de la bonne faiseuse; ses gants flairent mieux que benjoin et civette; ses plumes ont coûté un louis le brin.

Comme son œil est en feu et sa joue en fleur! que sa bouche est souriante! que ses dents sont blanches! comme sa main est douce et bien lavée.

Il parle, ce ne sont que madrigaux, galanteries parfumées en beau style précieux et du meilleur air; il a lu les romans et sait la poésie, il est vaillant et prompt à dégainer, il sème l’or à pleines mains. – Aussi Angélique, Agnès, Isabelle se peuvent à peine tenir de lui sauter au cou, si bien élevées et si grandes dames qu’elles soient; aussi le mari est-il régulièrement trompé au cinquième acte, bien heureux quand ce n’est pas dès le premier.

Voilà comme le mariage est traité par Molière, l’un des plus hauts et des plus graves génies qui jamais aient été. – Croit-on qu’il y ait rien de plus fort dans les réquisitoires d’Indiana et de Valentine?