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D’Assas eut une sueur froide.

Est-ce que Jeanne était repartie, ou bien est-ce qu’on l’avait transportée ailleurs?…

Non! C’était impossible… Mais il fit cette réflexion qu’on ne lui ouvrirait certainement pas et qu’en s’obstinant à frapper, il risquait de donner l’éveil à ces jaloux dont avait parlé Lubin…

Il se retira donc, et rentra fort désespéré dans la mystérieuse maison de la ruelle aux Réservoirs.

Il passa le reste de la journée et la soirée à combiner des plans pour le lendemain.

Il avait fait le tour de la maison.

Il avait vu la petite porte du jardin et il se disait que par là il réussirait peut-être à entrer.

Lubin, comme la veille, lui servit un excellent souper arrosé de vins supérieurs. Comme la veille d’Assas finit par s’étourdir, et se coucha avec l’espoir de faire au moins de bons rêves puisque la réalité lui était si peu propice.

Malheureusement, il paraît que tout s’en mêlait, car il eut toutes les peines à s’endormir, et lorsqu’il fut enfin endormi, ce furent des cauchemars qui vinrent l’assaillir au lieu des rêves d’amour qu’il avait espérés.

Ces rêves prirent bientôt la consistance de la réalité vivante, visible et tangible.

Il y avait une veilleuse dans la chambre.

Et à son indécise clarté, d’Assas pouvait parfaitement distinguer tous les objets qui garnissaient cette pièce.

Rêvait-il?… Était-il éveillé?… Toujours est-il qu’il avait les yeux entr’ouverts lorsqu’il lui sembla tout à coup percevoir un bruit imperceptible et un mouvement plus imperceptible encore; bruit et mouvement étaient ceux d’une porte qu’on ouvre avec d’infinies précautions, et cette porte, c’était précisément celle de sa chambre sur laquelle à ce moment son regard était vaguement fixé…

D’Assas sentit le frisson de l’épouvante glisser le long de ses reins.

Il était brave, pourtant, follement brave et téméraire.

Mais, dans l’état d’esprit où il se trouvait, entouré de tout ce mystère impénétrable, dans cette maison qui pouvait être un traquenard pour égorgements nocturnes, à peine éveillé des songes pénibles qui avaient agité son sommeil, il eut la sensation aiguë qu’il allait être tué sans défense possible.

Il jeta un regard vers les pistolets qui étaient restés sur la table… et il allait bondir, lorsque la porte acheva de s’ouvrir et une femme parut!…

D’Assas demeura immobile, les yeux à demi fermés, pris d’une irrésistible curiosité.

Qui était cette femme? Que lui voulait-elle?

Elle était enveloppée d’un long manteau noir, et un loup noir masquait son visage.

Elle était arrêtée dans l’encadrement de la porte, et d’Assas voyait briller ses yeux au fond des trous du masque.

Et maintenant, c’était une superstitieuse épouvante qui se glissait jusqu’à son âme!…

Qu’était-ce que cette statue noire?… De quel enfer sortait-elle?…

Il eut un long frisson lorsqu’il vit la femme… la statue noire s’avancer vers le lit.

Il voulut se redresser, appeler, crier, ouvrir tout à fait les yeux…

Il se sentit paralysé par l’horreur.

La femme s’avançait les yeux fixés sur lui. Parfois, lorsque le plancher criait, elle s’arrêtait soudain, attendait quelques secondes, puis se remettait en marche…

Enfin, elle atteignit le lit et se pencha doucement en murmurant:

– Pas un geste… pas un mot… ou je paierai de ma vie sans doute l’intérêt que je vous porte… Vous m’entendez, n’est-ce pas?… faites-moi comprendre que vous m’entendez en ouvrant et en fermant les paupières… mais, au nom du ciel, taisez-vous!…

D’Assas obéit… Il ouvrit et ferma les paupières.

Alors, tandis qu’un prodigieux étonnement enchaînait sa pensée, il sentit que la femme se baissait davantage vers lui… Et d’une voix faible comme un souffle, elle murmura:

– Chevalier d’Assas, n’entrez jamais, ni le jour ni la nuit, sous quelque prétexte qu’on vous y invite, n’entrez jamais dans le petit pavillon qui est en face de celui-ci!… Avez-vous compris?… Si oui, répétez le même signe…

Pour la deuxième fois d’Assas ouvrit et referma les paupières.

Alors, brusquement, il eut sur le front la sensation étrange d’un baiser à la fois brûlant et glacé…

Il ouvrit brusquement les yeux…

La femme mystérieuse, la statue noire se redressait…

Elle mit le doigt sur sa bouche comme pour lui faire une recommandation suprême… puis, avec la même lenteur, avec les mêmes infinies précautions, elle se retira, atteignit la porte… la ferma… disparut, s’évanouit dans la nuit comme un fantôme…

Pendant de longues heures, le chevalier demeura éveillé, doutant parfois de ses sons, se demandant s’il n’avait pas eu quelque hallucination… Mais non!…

Comme pour répondre par avance à cette question, la statue noire avait laissé dans la chambre un pénétrant parfum de verveine…

Et d’Assas finissait par se demander même comment ce parfum pouvait persister aussi longtemps lorsque, s’étant à demi soulevé sur le coude, il aperçut tout près de lui, sur les couvertures, un mouchoir de fine batiste richement brodé que l’inconnue, en s’appuyant des deux mains, avait dû oublier là…

C’était ce mouchoir qui était imprégné de verveine. Il portait comme chiffre un J et un B entrelacés, surmontés d’une couronne comtale…

– Ne jamais pénétrer dans le pavillon d’en face! murmura le chevalier. Pourquoi?… Que s’y passe-t-il donc?… Et que m’arriverait-il si jamais j’y pénétrais?…

Il finit à la longue par s’assoupir…

À son réveil, il faisait grand jour.

Il allait sauter à bas de son lit, lorsque, sur la table de nuit, il aperçut un petit papier plié en quatre.

Il l’ouvrit aussitôt et lut ces lignes:

«On vous recommande la patience. Vous avez commis hier de grandes imprudences. Lorsqu’il en sera temps, vous serez prévenu. Tenez-vous prêt. Dès que l’heure en sera venue, vous n’aurez qu’à vous rendre à l’heure qu’on vous indiquera à la petite maison où se trouve celle que vous aimez. Vous vous présenterez à la petite porte bâtarde du jardin. Celle que vous aimez sortira par là. Vous serez prévenu du jour et de l’heure par un billet semblable à celui-ci… D’ici là, prenez patience. Ne sortez pas ou peu. N’allez plus rôder là-bas…»

– Cela se complique et se simplifie en même temps! murmura d’Assas.

Il eut dès lors la sensation très nette qu’il était engrené dans quelque chose de formidable.

Mais le chevalier aimait. Il était ardemment et sincèrement épris. Il n’hésita pas. Il résolut de se fier au terrible organisateur de toute cette pièce où il jouait un rôle sans savoir si la pièce tournerait au drame ou à la tragédie…

Les jours suivants se passèrent sans incidents.

Lubin était aux petits soins et lui servait des dîners fins, lui tenait compagnie, l’étourdissait de son babil…

Cependant, le matin du quatrième jour, d’Assas, rouge d’impatience, était résolu à faire une nouvelle tentative du côté de la petite maison.

Or, ce matin-là, par la même voie, lui parvint un nouvel avertissement; c’est-à-dire qu’en se réveillant, il trouva sur la table de nuit un billet ainsi libellé:

«Ce soir, à dix heures, rendez-vous à la porte bâtarde du jardin de la petite maison. Celle que vous aimez sortira. Le reste vous regarde…»

Le cœur de d’Assas battit à rompre et il eut la tentation de baiser ce billet!… Mais soudain il pâlit…

Il y avait un post-scriptum au billet!…

Et le post-scriptum disait:

«Si vous voulez continuer à accepter l’hospitalité qui vous est offerte dans cette maison, et si vous décidez celle que vous aimez à vous accompagner, vous entrerez dans le pavillon d’en face qui est mieux aménagé pour recevoir une femme.»

– Le pavillon d’en face! murmura d’Assas en frissonnant Oh! que médite-t-on ici? Qu’y prépare-t-on?… Et qui veut-on y tuer?…