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– Mais… ici même!…

– Ici! vous n’y songez pas!… J’ai tant de choses à vous dire! Et puis, pensez que je suis blessé, et que le grand air peut me faire du mal!…

– Oh! mon Dieu, c’est vrai!… Écoutez, monsieur de Bernis…

– Ah! s’écria Bernis, vous savez mon nom!…

Suzon parut très confuse de son étourderie et jeta un nouveau petit cri.

– Me promettez-vous, reprit-elle, d’être discret, prudent et silencieux?…

– Discret comme une soubrette, prudent comme un aveugle, silencieux comme un muet… car les amoureux sont muets et aveugles tant qu’il ne s’agit pas de contempler leur idole et de chanter ses louanges…

– Eh bien! dit alors Suzon, trouvez-vous ce soir à dix heures à la petite porte du jardin…

Sur ces mots elle se sauva, légère et gracieuse comme une vraie soubrette qu’elle était.

Bernis demeura tout étourdi de son prompt succès, et murmura:

– Hum! j’eusse préféré un peu plus de résistance. Les choses vont trop bien. Il doit y avoir quelque anguille sous roche. La petite Suzon est peut-être plus fine encore que je ne croyais.

Tout en faisant ces réflexions qui prouvaient sa grande prudence, mais non son expérience du cœur des femmes en général et des soubrettes en particulier, Bernis se retira assez inquiet.

– Baste! nous verrons bien, finit-il par se dire.

Vers neuf heures, il fit donc une toilette soignée, cacha un pistolet dans son manteau, assura un bon poignard à sa ceinture, et, ainsi armé en guerre, se rendit au rendez-vous.

À dix heures précises, il grattait à la petite porte du jardin qui s’ouvrit aussitôt.

Suzon parut, mit un doigt sur ses lèvres pour lui recommander le silence, et, le prenant par la main après avoir refermé la porte du jardin, l’entraîna jusqu’à la porte-fenêtre du petit salon du rez-de-chaussée.

Une fois qu’elle fut entrée, elle ferma soigneusement, tira les rideaux et alluma une lampe.

– Tout le monde dort dans la maison, dit-elle alors, mais il faudrait bien peu de chose pour réveiller madame qui a le sommeil très léger. Ainsi, monsieur, parlons à voix basse, s’il vous plaît… Vous m’apportez les gants?

– Les gants! fit Bernis.

Il ne songeait plus à la comédie des gants.

– Ma foi, je les ai oubliés!… J’ai tant pensé à vous…

– Ah! monsieur, vous allez me faire gronder, chasser, peut être…

Bernis, pour détourner la conversation de cette pente, poussa à ce moment un soupir de souffrance et se tâta le bras gauche.

– Pauvre monsieur! dit Suzon réellement émue, vous souffrez!… Vous avez donc été blessé?…

– Oui, un duel; une forte saignée au bras gauche. Mais l’insolent l’a payée sur-le-champ, vu que je l’ai traversé de part en part!…

– Ah! mon Dieu! s’écria Suzon en oubliant elle-même le prétexte qui légitimait la présence de Bernis, un duel! Pour quelque dame, sans doute?…

– Si je vous dis pour qui, me croirez-vous sur parole?

– Oui. Car les gentilshommes comme vous ne donnent pas en vain leur parole…

– Eh bien! fit Bernis avec un admirable aplomb, c’est pour vous!…

– Pour moi! Vous vous moquez, monsieur!

– Non pas! D’honneur, c’est pour vous que je me suis battu! Et que voyez-vous là d’étrange… puisque je vous aime!

– Vous m’aimez?…

Bernis vit que le sein de Suzon palpitait. La jolie soubrette rougissait. Quoi qu’elle en eût et si fine qu’elle fût, elle était flattée de s’entendre dire par un gentilhomme qu’elle était aimée, tout comme une dame de la Cour!

Le gentilhomme était jeune, bien fait de sa personne, et semblait sincère.

De plus, il parlait avec une sorte de respect qui, pour Suzon, était un enivrement de sa vanité.

– Comment pouvez-vous douter que je vous aime! reprit Bernis. Ne l’avez-vous pas déjà compris? Aurais-je rôdé autour de cette maison? Serais-je ici… à vos genoux, charmante Suzon?

Effectivement, Bernis tomba à genoux.

Suzon était ravie.

Elle prit Bernis par la main et, le relevant:

– Mais comment et pourquoi vous êtes-vous battu pour moi? demanda-t-elle.

– Je vais vous le dire! répondit Bernis qui, pris de court, chercha et trouva à l’instant dans sa fertile imagination le motif demandé.

«Vous connaissez M. Berryer, n’est-ce pas? fit-il.

– C’est-à-dire… fit Suzon en tressaillant.

– Pas de secrets avec moi, Suzon! Je suis moi-même, vous le savez sans doute, le secrétaire intime du lieutenant de police, et je sais que c’est lui qui vous a placée ici…

– Eh bien, oui!… Et alors?…

– Alors, voici: il y a trois jours, devant moi, M. Berryer expliquait à un gentilhomme, que vous me permettrez de ne pas nommer, ce qu’il attendait de vous!

– Ah! M. Berryer m’avait pourtant bien juré…

– Ne vous y fiez pas, Suzon, Berryer est un homme sans scrupule. Il expliquait donc à ce gentilhomme que, par vous, il était certain de connaître certains secrets de Sa Majesté… Alors le gentilhomme se mit à rire et prononça à votre égard quelques paroles que je jugeai malsonnantes… Je ne dis rien… Seulement, lorsque l’insolent sortit, je le suivis, je le rattrapai dans la rue et, le saluant de mon mieux, je lui fis remarquer que le nœud de son épée n’était plus à la mode, et qu’il était difficile d’en trouver de plus ridicule. Mon homme se fâcha. J’insistai. Tant et si bien que nous nous alignâmes dès le lendemain matin dans un coin du Luxembourg…

– Pour moi!… Vous avez fait cela pour moi!…

– Et pourquoi François de Bernis ne se serait-il pas battu pour celle qu’il aime?…

En parlant ainsi, Bernis avait enlacé la taille de Suzon. La jolie fille, qui ne demandait d’ailleurs qu’à capituler, se défendit pour la forme et finit par accorder le baiser qui lui était demandé.

– Suzon, s’écria alors Bernis, comme s’il eût été transporté d’amour, Suzon, je t’aime; il faut que tu m’accordes un rendez-vous!…

– Ne vous l’ai-je pas accordé, puisque vous êtes ici?…

– Oui… mais je veux que tu viennes chez moi!…

– Chez vous?…

– Oui, au château. Ne crains rien. C’est moi-même qui t’y introduirai. Et ce sera une charmante escapade. De plus, tu verras de près les magnificences du château et jusqu’à la chambre du roi… car j’ai mes entrées partout.

Suzon fut éblouie. Mais ce fut avec un soupir qu’elle répondit:

– C’est impossible!…

– Rien n’est impossible à l’amour, Suzon! Puisque je t’aime, je me fais fort de…

– Oh! l’impossibilité ne vient pas de vous, fit Suzon en souriant. Elle vient de moi. Je ne puis quitter mon poste. Non seulement je serais chassée, mais encore je risquerais la colère du roi et la vengeance de monsieur le lieutenant de police…

Et redevenant la fille sérieuse et la matoise calculatrice qu’elle était au fond, elle expliqua:

– Vous saurez une chose, monsieur de Bernis…

– D’abord, mon enfant, ne m’appelle pas ainsi. Appelle-moi François… Et puis, pour que je puisse mieux te comprendre, viens t’asseoir sur mes genoux…

Suzon ne se fit prier que juste ce qu’il fallait. Elle s’assit donc sur les genoux de Bernis et lui jeta gentiment un bras autour du cou. Ainsi posée, elle était vraiment jolie, et peut-être, en somme, le sentiment qu’elle éprouvait pour Bernis lui donnait-il cette beauté!…

– Eh bien! reprit-elle, vous saurez, monsieur… François… que j’ai fait un rêve…

– Un rêve de jolie femme, j’en suis sûr…

– Non; un rêve de paysanne, tout bonnement, répondit Suzon non sans esprit.

– Ceci est plus grave, pensa Bernis qui se prépara à écouter attentivement.

– Savez-vous, reprit Suzon, ce que me donne M. Lebel, le valet de chambre de Sa Majesté, pour le service que je fais ici?

– Je ne m’en doute pas, ma mignonne: mille livres, peut-être?…

– Deux mille cinq cents livres par an, monsieur!

– Oh! oh! mais je n’ai pas davantage pour mes fonctions de secrétaire de la lieutenance!…

– Bon. Maintenant, savez-vous ce que me donne M. Berryer pour un mot que je lui fais tenir de temps en temps?… Deux mille cinq cents livres par an. Total, cinq mille livres…