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– Hélas! ses traits ont vite trouvé le chemin de mon cœur, dit sérieusement Juliette.

– Pardieu, madame, l’aventure est plaisante, je l’avoue, et vous devriez bien me raconter cela…

– Sire… un mot tout d’abord: cette aventure… la regrettez-vous, maintenant?

– Non! répondit franchement Louis XV.

Et, en effet, une flamme brilla dans ses yeux.

Cette magnifique statue qu’il avait tenue dans ses bras, qui palpitait devant lui, qui s’offrait encore avec un singulier mélange de crainte et d’impudeur, oui, cela lui tournait la tête!

Une bouffée d’orgueil monta au front de Juliette.

Cette fois, elle tenait le roi!… Elle entrevit des prodiges réalisés, sa présentation à la cour, son triomphe, sa domination sur toutes ces élégances que, dans ses rêves de jadis, elle n’avait jamais espéré pouvoir approcher!…

– Eh bien, Sire, dit-elle d’une voix qu’une véritable émotion faisait trembler, puisque vous ne regrettez rien… puisque vous me pardonnez, je veux donc vous dire que si j’ai poussé le courage jusqu’à la témérité, si je n’ai pas craint d’encourir votre colère et votre vengeance, la faute en est à Votre Majesté…

– Comment cela? fit Louis XV étonné.

– Rappelez-vous. Sire, cette fête de l’Hôtel de Ville… rappelez-vous cette minute enivrante pour moi où vous avez daigné me reconduire jusqu’à ma place… croyez-vous donc que de tels événements ne puissent produire une ineffaçable impression sur le cœur d’une femme?… Je vous aimais, Sire… depuis longtemps… Ah! je sens qu’à parler avec tant de franchise, je risque de me perdre dans l’esprit de Votre Majesté…

– Non pas, madame!… je prise fort, au contraire, la franchise partout où je la trouve… et surtout quand la franchise sort d’une bouche vermeille et est appuyée par l’éloquence de deux beaux yeux!…

C’en était fait!…

Louis XV se livrait!…

– Sire, Sire! balbutia Juliette frémissante, si vous me dites de ces choses, vous allez me faire mourir de bonheur après avoir failli me faire mourir de terreur…

– Mourir!… Et pourquoi cela?…

– Oui, Sire! s’écria Juliette dans un beau mouvement, si vous m’aviez méprisée, si vous m’aviez accablée de votre courroux, je serais morte!… Vous parti, j’allais…

– Qu’alliez-vous faire, madame?

Juliette se leva vivement, courut à un petit meuble qu’elle ouvrit, et en tira un minuscule flacon.

– J’eusse payé de ma vie, dit-elle gravement, cette heure de bonheur que je volais à la destinée!… Vous parti, Sire, je me serais empoisonnée: j’avais là le remède tout prêt contre mon désespoir et ma honte!

Louis XV, d’un geste rapide et effrayé, s’empara du flacon.

Juliette poussa un cri de terreur:

– N’ouvrez pas, Sire! L’émanation seule de ce poison suffit pour tuer!…

Et sa pâleur, son tremblement, sa visible épouvante, achevèrent ce que ses paroles avaient commencé.

Le roi alla ouvrir la porte-fenêtre et jeta violemment le flacon qui se brisa contre le mur du jardin…

Juliette jeta une exclamation de dépit… Car elle n’avait pu aller jusqu’au bout de sa démonstration dramatique.

On aurait, en effet, une faible idée de Juliette et de ceux qui la poussaient, si on supposait que le flacon contenait simplement de l’eau ou un liquide inoffensif…

Non, non: c’était bien du poison qu’il y avait là, – un redoutable poison!

Il y avait dans la maison un petit chien.

Le plan de Juliette était de foudroyer la pauvre bête sous les yeux du roi et de porter ainsi à son plus haut degré l’impression qu’elle avait voulu produire.

Mais, en somme, puisque le roi était parfaitement convaincu, tout marchait à souhait.

Le petit chien l’échappa belle!…

– Vous le voyez, dit le roi en revenant prendre sa place, je ne veux pas que vous mouriez!

– Sire, murmura Juliette, je voulais garder ce poison pour le jour où le roi m’eût délaissée…

Cette fois, elle allait peut-être un peu loin dans l’audace.

Il fut évident que Louis ne voulait pas engager l’avenir, et qu’il entendait s’en tenir à l’aventure présente. Car il ne répondit pas. Et Juliette se hâta de reprendre:

– Vous m’avez demandé, Sire, l’histoire de mon cœur. Elle est bien simple… J’ai été mariée malgré moi à un homme que je n’aime pas, que je n’ai jamais aimé…

– Ce pauvre comte! fit Louis XV en souriant.

– Jaloux, sournois, violent… voilà le comte du Barry, Sire!

– Portrait peu flatteur, mais dont je reconnais volontiers l’exactitude.

– Ah! Sire, si vous saviez tout ce que j’ai souffert! Constamment enfermée dans ce château de province dont je ne pouvais sortir, où j’étais presque gardée à vue, je ne venais à Paris qu’en de rares occasions. Et encore le comte m’y surveillait-il étroitement…

– Au fait! s’écria le roi, mais il va s’apercevoir…

– Non, Sire… pour le comte, je suis à Paris, en notre hôtel de l’île Saint-Louis. Et je ne dois venir à Versailles que demain ou après-demain…

Le roi se rappela alors ce que du Barry lui avait dit pendant son dîner.

Les paroles du comte concordaient parfaitement avec celles de Juliette.

– Ce fut donc, reprit celle-ci, dans une de ces rares occasions où je pouvais venir à Paris, que j’eus la plus grande émotion de ma vie… Un jour, je vis un groupe de gentilshommes qui rentraient de la chasse; à leur tête marchait un seigneur qui les éclipsait tous en noblesse, en élégance, en beauté… Je demandai au comte le nom de ce gentilhomme… il ne voulut pas me le dire… Mais moi, je compris que ce jeune seigneur avait emporté mon âme… Une deuxième fois, je le revis… Cette fois, il était dans carrosse doré, entouré d’épées étincelantes, et sur son passage, un peuple délirant d’amour criait: «Vive le roi!…»

Juliette s’arrêta un instant.

Il est facile d’imaginer l’effet que ces paroles, où se mêlaient l’amour et la flatterie, produisaient sur l’esprit de Louis.

– Sire, continua Juliette, il m’est impossible de vous dire tout ce que j’ai souffert quand j’ai su que l’homme que j’adorais, c’était le roi de France!

– Et pourquoi cela, madame? Le roi passe-t-il donc pour si sévère?…

– Oh! non, Sire… mais je comprenais si bien la distance qui me séparait de vous!… Jamais, jamais, me disais-je, le roi ne daignerait abaisser son regard jusque sur moi! Un moment, après la fête de l’Hôtel de Ville, l’espoir se glissa dans mon cœur… mais je compris bientôt que ces paroles que vous m’y aviez adressées n’étaient que l’effet de cette charmante et haute politesse dont seul vous avez le secret… Le comte du Barry parlait de m’emmener en province… Alors je perdis la tête, je résolus de tout risquer, même la mort, pour appartenir à mon roi, ne fût-ce qu’une heure!… Oui, Sire, une heure d’amour et, après… la mort!…

– Ne parlez pas de mort, madame, fit doucement Louis; jeune et belle comme vous l’êtes, vous ne pouvez parler que d’amour…

Dès lors, Juliette se sentit forte comme autrefois Dalila.

– Cette résolution, dit-elle en palpitant, je voulus l’exécuter au plus tôt… Et pour cela, je m’adressai à Mme d’Étioles…

En parlant ainsi, elle étudia avidement l’effet de ce nom brusquement jeté dans cet entretien.

Le roi tressaillit. Un nuage passa sur son front…

Jeanne!… Il l’oubliait!…

Cet amour si pur qui lui donnait de si profondes impressions de sincérité, il l’oubliait!

Un soupir gonfla sa poitrine.

– Je comprends, Sire, dit amèrement Juliette, Mme d’Étioles vous aime comme je vous aime… et sans doute vous l’aimez aussi…

– Madame, interrompit le roi presque avec froideur, je vous en prie, ne vous occupez pas du sentiment que Mme d’Étioles peut avoir pour moi, ni de celui que je puis avoir pour elle…

Ce fut le seul mot sincère et pur que Louis eut dans cette conversation où l’amour sensuel jouait le grand rôle.

La douce image de Jeanne lui paraissait au-dessus de ce qu’il entendait et de ce qu’il éprouvait!

Il lui semblait qu’il la ternissait, cette noble image!…

– Dites-moi simplement, acheva-t-il, comment vous avez pu avoir l’idée de vous adresser à madame d’Étioles…

– C’est mon amie, Sire, dit audacieusement Juliette.