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– Merci, Jeanne, murmura-t-il, merci, mon cher ange aimé… vous avez toutes les délicatesses… vous avez compris que je souffrais de cette nuit qui me cachait votre beauté… et me faisait ressembler à quelque larron… vous avez compris que notre amour peut… maintenant… supporter la pleine lumière… Voyons… écartez vos chères mains… puisque vous avez allumé… c’est pour que je vous voie…

Il avait saisi les mains de Juliette et cherchait à les détacher de son visage.

Tout à coup, Juliette céda… elle apparut à Louis…

En même temps, elle se laissa glisser à genoux, et murmura:

– Grâce!…

– Jeanne!… Vous!… Qui êtes-vous?…

Ces mots, le roi les prononça d’une voix rauque, presque dure, dont l’accent fut à peine tempéré par cette politesse dont jamais il ne se départissait vis-à-vis des femmes.

Il eut un instant de stupeur et de honte. Il se mordit les lèvres. Son visage s’empourpra comme lorsque sa colère était sur le point d’éclater. Ils demeuraient ainsi, elle à genoux, pantelante de terreur maintenant qu’elle voyait l’énormité de sa supercherie; lui, debout, tout étourdi, en proie à cette honte spéciale de l’homme qui s’aperçoit qu’on l’a joué comme un enfant. Cela dura quelques secondes à peine, et cela leur parut une heure.

Enfin, le roi recula de quelques pas.

Il eut un geste de mépris que Juliette ne vit pas.

Sa seule idée, à ce moment, était qu’il ne pouvait se commettre une explication avec cette femme.

S’en aller sans un mot, l’écraser de son mépris, sortir, laisser son valet en sentinelle, courir au château et faire arrêter cette inconnue, voilà ce qu’il se disait.

Il serait sans pitié pour celle qui l’avait froissé dans son orgueil d’homme et de roi!…

Juliette, toujours à genoux, incapable de prononcer un mot, la tête perdue, le vit faire ses préparatifs de départ.

Et cela même, ce silence, cette tranquillité apparente, ce dédain foudroyant étaient plus terribles que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Le roi lui avait tourné le dos, il ne la regardait même pas; elle n’existait pas pour lui: elle était une chose qui n’eût pas dû être là, moins que cela – rien!…

Elle eût voulu faire un geste, implorer, balbutier au moins quelques mots, et elle était comme paralysée.

Le roi, ayant achevé ses préparatifs, jeté son manteau sur ses épaules et mis son chapeau sur la tête, se dirigea vers la porte.

Mais, au moment de la franchir, il s’arrêta court, soudain tout pâle.

– Et Jeanne!… Jeanne!… qu’est-elle devenue?…

Dans le premier moment de la vanité blessée, il l’avait oubliée!… Une seconde, la pensée traversa son cerveau comme un éclair que Jeanne était complice de cette comédie.

Disons à sa louange qu’il la repoussa aussitôt.

La terreur lui vint tout à coup qu’elle n’eût été victime de quelque guet-apens.

Dès lors il s’oublia lui-même pour ne songer qu’à elle.

Rapidement, il revint à Juliette, la saisit par les deux poignets, la releva, et les yeux dans les yeux, durement:

– Mme d’Étioles?… qu’en avez-vous fait? gronda-t-il.

Ces mots dissipèrent l’impression de terreur qui avait jusque-là paralysé Juliette. Toute sa jalousie lui revint. Elle leva vers le roi un visage que les passions rendaient plus beau, avec ses yeux brillants de larmes, ses lèvres fiévreuses…

– Rassurez-vous, dit-elle amèrement, celle que vous aimez est en parfaite sûreté… plus en sûreté, Sire, que la malheureuse qui est devant vous… et que vous n’aimez pas!

Le roi, à ces mots prononcés d’une voix tremblante, mélancolique et pleine d’une douleur contenue, le roi examina plus attentivement cette inconnue.

Le ressouvenir de ces quelques heures d’amour lui revint tout entier.

La sincérité de cette femme lui parut évidente: Jeanne ne courait aucun danger…

Alors, la curiosité le prit…

Qui était cette femme?

Pourquoi et comment se trouvait-elle là?

Que signifiait enfin toute cette supercherie dont il avait été victime?

Il voulut le savoir à tout prix.

D’une voix sévère encore, mais où cependant il n’y avait plus ce mépris qui avait écrasé Juliette, il posa alors la question qui était venue tout d’abord sur ses lèvres et qui était demeurée sans réponse:

– Qui êtes-vous, madame?

– Hélas, Sire! répondit Juliette, il faut que mon visage ait produit bien peu d’impression sur Votre Majesté… Tout mon malheur vient de m’être imaginé… follement… que dans cette fête de l’Hôtel de Ville… le roi avait pu abaisser un regard sur moi… Je vois que je m’étais trompée!…

– La comtesse du Barry! s’écria le roi en reconnaissant alors tout à fait Juliette.

Et, retirant le chapeau qu’il avait mis sur sa tête, il salua galamment.

Louis XV n’aimait pas le comte du Barry.

Cette figure sombre lui semblait faire tache dans sa cour d’élégants seigneurs légers et spirituels.

En outre, Louis XV était au fond passablement bourgeois.

Cette idée très bourgeoise qu’il venait de tromper du Barry, et que c’était une plaisante aventure que d’avoir trompé l’un des plus fidèles (bien que des moins aimables) serviteurs de sa cour, le fit sourire.

Que cette figure sombre devint une triste figure, cela amena un éclair de gaîté dans ses yeux.

Et, par contre coup, il fut disposé à moins de malveillance pour Juliette.

Peut-être Juliette eut-elle l’intuition de ce qui se passait en ce moment dans l’esprit du roi.

Car un sourire furtif détendit ses lèvres jusqu’ici crispées par la crainte.

Et puis, Juliette se savait très belle…

Une jolie femme qui a une juste idée de sa beauté et, par conséquent, de sa puissance, se sent toujours forte devant l’homme – cet homme fût-il un roi.

Royauté… beauté… deux puissances qui se valent. Et encore il serait difficile de dire laquelle des deux est la plus redoutable et si une femme belle et méchante n’est pas plus à craindre qu’un roi méchant.

À cela le lecteur pourra nous répondre peut-être que beauté et méchanceté sont rarement unies; et nous pourrions philosopher là-dessus à perte d’haleine.

Revenant donc à Juliette, nous dirons simplement que si elle n’était pas foncièrement méchante, elle était au moins très rusée. Au regard moins sévère du roi, à sa parole moins dure, elle comprit que le plus gros du danger était passé pour elle.

– La comtesse du Barry! s’était écrié Louis XV.

– Oui, Sire, répondit Juliette en accentuant les palpitations de son sein à mesure qu’elle se calmait; la comtesse du Barry qui vous supplie de lui pardonner un subterfuge uniquement inspiré par…

– Par qui, madame? Achevez, je vous prie…

– Par personne, Sire… ou plutôt par un dieu tyrannique auquel une pauvre femme comme moi ne pouvait longtemps résister, puisque c’est vers vous qu’il me conduisait… Ce dieu, vous savez comment il se nomme…

En adoptant tout à coup le style précieux et maniéré de l’époque où le grand Watteau lui-même n’a pas craint de déshonorer ses adorables paysages par la présence des petits Amours joufflus; où l’amour, cette grande et noble pensée de l’humanité, s’appelait Cupidon… en se mettant à parler comme les petits-maîtres, Juliette se rapprochait de l’esprit du roi.

Louis XV, qui n’avait pas osé venir trouver Jeanne sans y être expressément poussé; Louis XV qui, au fond, s’effarait de cette grande passion débordante et sincère; Louis XV qui demeurait timide, étonné, saisi d’une sorte de respect devant l’amour de Jeanne, fut tout de suite à son aise avec le petit dieu malin, le Cupidon de Juliette.

Aimer profondément, être aimé par une âme embrasée, cela le terrifiait.

Marivauder, coqueter, mettre des fanfreluches à l’aventure, et se passionner en style rocaille, cela était selon son tempérament – le tempérament d’une époque légère, gracieuse, d’une société raffinée dont toute la morale peut se résumer dans ce mot de l’un de ses poètes:

Glissez, mortels, n’appuyez pas.

Mot très joli, après tout, mais qui devait engendrer celui-ci qui est terrible:

«Après nous le déluge!»

Louis XV se dépouilla de son manteau, le jeta sur le pied du lit, s’assit dans un fauteuil, et, impertinent après avoir été sévère:

– Ainsi, dit-il, vous n’avez pu résister au dieu qui vous a prise par la main pour vous conduire ici?