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– C’est là! murmura-t-il. Elle est là! Ce jeune homme ne peut avoir menti; quel intérêt aurait-il eu à me tromper?… Oui! elle doit être là!… Que ne puis-je entrer! lui parler! lui dire tout ce que je souffre!…

À ce moment, un homme enveloppé d’un manteau, qui à quelques pas de là surveillait, lui aussi, la maison, aperçut le chevalier, sourit et s’enfonça plus profondément dans l’ombre, en disant:

– Bernis a tenu parole… voici le chevalier… Allons! la leçon de cette nuit a été bonne!…

Cet homme, c’était M. Jacques…

Le chevalier, timide et palpitant comme un pauvre amoureux qu’il était, dévorait des yeux la maison et prenait l’héroïque résolution d’aller frapper à la porte, tout en se disant d’ailleurs qu’il n’en aurait jamais le courage.

Pourtant, à force de s’affirmer qu’il ne pouvait plus vivre s’il ne la revoyait pas encore, il finit par se détacher de l’arbre auquel il s’était accoté et il avançait de quelques pas, lorsqu’il fut heurté par quelqu’un qui marchait assez vivement.

– Au diable l’importun! grommela le quelqu’un.

– Au diable vous-même, monsieur le malappris! répliqua vivement le chevalier qui se trouvait dans cet état d’exaspération particulier aux amoureux que l’on dérange.

– Eh! reprit la voix en se faisant narquoise et insolente, c’est ce cher chevalier d’Assas!…

– Le comte du Barry! fit d’Assas en reconnaissant l’homme.

C’était du Barry, en effet, qui, ayant sans doute reçu quelque mission, rôdait de son côté aux abords de la fameuse petite maison, laquelle, à défaut d’autre mérite, avait du moins en ce moment celui d’être parfaitement gardée.

Du Barry, en reconnaissant d’Assas, jeta un rapide regard autour de lui.

Le paysage était désert. Sous les quinconces, la solitude était profonde.

Quant à la maison, elle était assez éloignée et hermétiquement close.

Alors une bouffée de fiel monta au visage de du Barry.

Cet homme, ce chevalier qui l’avait insulté, humilié, puis blessé, il le haïssait!

Le terrible M. Jacques avait imposé silence à cette haine. Du Barry avait dû s’incliner, la rage au cœur.

Mais maintenant, ils étaient seuls en présence!…

Un coup d’épée est vite donné… Et s’il touchait le chevalier, s’il le tenait un instant à sa merci, le poignard achèverait ce que l’épée avait commencé.

D’Assas avait reculé de deux pas. Le comte lui inspirait une insurmontable aversion. Et pourtant, d’après ce que lui avait dit M. Jacques, c’est à du Barry qu’il avait dû de sortir promptement de la Bastille.

Le chevalier souleva donc son chapeau, et, se contraignant à la politesse:

– Comte, dit-il, on m’a assuré que vous avez tout fait pour me rendre la liberté lorsque j’ai été arrêté. Veuillez donc recevoir ici mes remerciements…

– Ma foi, mon cher monsieur, vous m’étonnez, fit du Barry. Je me suis occupé de vous rendre la liberté, moi?… Je suis charmé de l’apprendre…

D’Assas remit son chapeau sur sa tête.

Du Barry ne s’était pas découvert.

– En ce cas, reprit le chevalier, j’ai eu tort de vous présenter mon compliment, et je le regrette.

– D’autant plus, ricana du Barry, que votre compliment, à des oreilles mal intentionnées, eût pu sembler vous avoir été dicté par la crainte.

– Quelle crainte, je vous prie? fit d’Assas qui commençait à voir où le comte voulait en venir.

– Mais la crainte, par exemple, que je ne vous demande compte de certain coup d’épée que vous me donnâtes par surprise… Au surplus, en Auvergne, c’est peut-être par des compliments que l’on paie les dettes d’honneur. Je vous préviens que je n’accepte pas cette monnaie, monsieur…

– En Auvergne, monsieur, répondit gravement d’Assas, quand on rengaine un compliment, on dégaine l’épée…

– En garde, donc! fit du Barry, les dents serrées par la rage. En même temps, les deux adversaires jetèrent bas leurs manteaux, sortirent les épées du fourreau et tombèrent en garde.

– Tenez-vous bien, cette fois, gronda le comte, car je vous préviens que je ne fais pas de quartier.

Et il se fendit à fond.

– Vous êtes insensé, monsieur, railla d’Assas en parant le coup: mais je veux être plus généreux que vous, et cette fois encore, je vous ferai quartier, car je me contenterai de vous marquer à la joue…

– Misérable! rugit le comte, c’est la dernière fois que tu m’auras raillé!

Et il se rua sur son adversaire; au même instant un homme s’élança entre les deux duellistes, en disant avec autorité:

– Bas les armes!…

– Par la mordieu! gronda du Barry.

L’inconnu écarta son manteau et son visage apparut. M. Jacques – car c’était lui – ajouta aussitôt:

– Remettez votre épée au fourreau: je vous l’ordonne…

Du Barry fit un geste de rage, ses yeux devinrent sanglants… mais M. Jacques le regarda fixement… le comte obéit.

– Je suis déshonoré! murmura-t-il en frémissant.

– Non, monsieur, dit d’Assas, pas pour cela, du moins; et pour preuve, je serai toujours votre homme, quand il vous plaira…

– Merci, monsieur! balbutia confusément du Barry.

M. Jacques se tourna alors vers le chevalier.

– Mon enfant, dit-il, laissez-moi espérer que vous écouterez ma voix. Le comte du Barry n’est pas votre ami; vous n’êtes pas le sien: mais vous pouvez et vous devez être alliés…

– Pour quelle œuvre? quelle besogne? fit d’Assas avec hauteur.

– Écoutez-moi un instant, dit paisiblement M. Jacques en se reculant.

D’Assas le suivit.

– Mon enfant, reprit alors M. Jacques, c’est moi qui vous ai tiré de la Bastille; c’est moi qui vous ai consolé; c’est moi qui, jusqu’ici, ai préservé Mme d’Étioles…

D’Assas frémit.

– C’est moi, continua M. Jacques, qui vous ai fait prévenir qu’on allait l’enlever; c’est moi qui ai fait suivre le carrosse; enfin, c’est moi qui aujourd’hui même vous ai envoyé Bernis… Je ne veux pas que le roi abandonne encore la reine Marie! Pour toutes sortes de raison de morale et de politique, je ne veux pas que Mme d’Étioles lui appartienne… Me croyez-vous?…

– Oui! gronda le chevalier, au visage de qui monta une bouffée de sang. J’ignore qui vous êtes; j’ignore les vrais motifs qui vous font agir, mais je vous crois!…

– C’est tout ce qu’il faut. Peu vous importe que je vous dise ou non la vérité sur certains points; ce qui vous importe, c’est que je veux séparer à tout jamais Mme d’Étioles et le roi. C’est mon intérêt. C’est le vôtre. Nous sommes donc alliés?

– Nous le sommes, fit d’Assas qui haletait.

– Eh bien! maintenant, écoutez ceci: M. du Barry était ici, par mon ordre, pour surveiller cette maison et au besoin empêcher par la force le roi d’y entrer… Est-il votre allié?…

Le chevalier se tut.

– Que le comte soit tué, acheva M. Jacques, ou même qu’une blessure le mette au lit pour huit jours, et vous aurez servi les intérêts du roi, mon enfant…

D’Assas fit un geste de rage.

– Sans du Barry, je ne puis rien, vous entendez?… Battez-vous donc avec lui, si cela vous convient, mais seulement quand il n’y aura plus de danger pour Mme d’Étioles…

– Et comment le saurai-je?…

– Je vous préviendrai, dit M. Jacques avec un sourire. Ainsi, c’est entendu, jusque là, le comte vous est sacré?…

– Je jure de ne pas le provoquer, dit d’Assas.

– C’est tout ce qu’il faut, mon enfant. Adieu… à bientôt!… À propos, où logez-vous?…

– Mais… aux Trois-Dauphins, vous le savez, monsieur.

– À Paris, oui; mais à Versailles?…

– Je n’ai point de logis à Versailles, monsieur.

M. Jacques leva les bras au ciel avec indulgence.

– Voilà bien les amoureux! dit-il. Imprévoyants jusqu’à la folie. Ils se contentent de soupirer. Eh bien! je vais vous indiquer un logis, moi, car il faut que vous vous installiez à Versailles…

– Tout mon portemanteau est à Paris, dit d’Assas étourdi.

– Ne vous en inquiétez pas: on vous le renverra.

– Ma bourse est maigre.