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– Et puis, c’est tout!…

– Ainsi, comte, vous ne vous croyez tenu à l’hommage qu’en vers le roi et la reine?

– C’est vrai, madame…

– Et pourtant, vous m’avez offert cet hommage!… Je ne suis pas reine, moi!…

– Bah! Si vous ne l’êtes pas, vous le deviendrez, dit Saint-Germain avec un calme glacial.

– Monsieur! monsieur! que voulez-vous dire? balbutia Jeanne.

– Rien que ce qui doit être, madame! fit le comte d’une voix basse et rapide. Mme de Châteauroux l’est bien devenue, elle!… Et d’autres!… Ah! prenez garde, mon enfant, ajouta-t-il en changeant brusquement de ton, c’est là une triste royauté… indigne de vous, de votre belle intelligence et de votre noble cœur… tenez, je vous dirais que je salue les souverains d’un respect apparent et aussi d’une pitié réelle… La pauvre reine Marie mérite cette pitié… prenez garde de la mériter aussi un jour!…

– Taisez-vous, monsieur! balbutia Jeanne épouvantée par cet homme qui lisait à livre ouvert au plus secret de son cœur. Taisez-vous, je vous en supplie!…

– Soit! fit le comte. Ne parlons plus de votre souveraineté… parlons des joies plus vraies, plus profondes et plus humaines auxquelles vous étiez destinée… L’amour, madame, le véritable amour appuyé sur le dévouement d’une âme pure et généreuse… voilà ce qui devrait tenter une nature d’élite comme vous!… Je vous le dis: vous avez à choisir entre le bonheur et la souveraineté… La souveraineté, c’est Louis XV qui vous l’offre…

– Et le bonheur? demanda Jeanne pensive.

– Regardez! dit le comte.

Et, d’un coup d’œil, il désigna le chevalier d’Assas qui s’avançait vers Jeanne.

En même temps l’étrange personnage disparut dans un groupe d’invités, laissant la jeune femme profondément troublée, effrayée, palpitante…

Elle leva son doux regard sur le chevalier qui venait à elle en souriant, en mettant dans ses yeux tout ce qu’il avait d’adoration dans le cœur…

Ah! celui-là l’aimait ardemment, pour la vie, de tout son être!…

– Choisir! murmura Jeanne. La souveraineté!… Le bonheur!… Et elle allait tendre la main au chevalier. Elle le regardait déjà avec une expression qui mettait une extase dans le cœur de d’Assas…

Tout à coup, de violents remous se firent dans le salon… Des cris éclatèrent…

– Le roi!… Le roi!… Vive le roi!…

La foule passa rapide, violente, exaltée, entre Jeanne et le chevalier qui furent refoulés, chacun de son côté. Jeanne s’était dressée toute droite, avec une effrayante palpitation de cœur.

À cette minute, elle comprit que tout était vain, hormis son amour pour le roi!

Bonheur, dévouement, pureté, loyauté, plus rien ne comptait… puisque la seule annonce de l’arrivée du roi lui causait un tel bouleversement!…

Et soudain, elle le vit!…

Il s’avançait, dans la gloire des vivats, dans le resplendissement des lumières, dans l’ivresse de cette foule somptueuse qui s’inclinait, l’acclamait… et tout ce décor lui donnait une sorte de rayonnement…

Par lui-même, Louis XV était un fort élégant cavalier, bien qu’il commençât à s’empâter un peu.

Mais en cette soirée, sanglé dans un costume qui éclipsait tous les costumes présents en élégance et en richesse, fardé soigneusement, il paraissait à peine vingt-cinq ans. Il était en plein éclat de jeunesse, et nul n’eût pu lire sur son visage les traces que les débauches y avaient déjà marquées. Il avait encore au suprême degré cette grâce un peu dédaigneuse qui le faisait prince de l’élégance…

Bientôt, il devait la perdre, cette grâce qui avait permis au peuple d’accepter le surnom de Bien-Aimé, qu’un poète, plat courtisan et adulateur de la puissance comme la plupart des poètes de tous les temps, lui avait donné.

Mais demeurons dans le cadre de notre récit qui eût dû plus justement s’appeler: La Jeunesse de la marquise de Pompadour, car nous n’avons d’autre prétention que de montrer comment cette si jolie fille devint la marquise au nom fameux.

Le roi s’avançait, souriant, heureux, dosant autour de lui les gestes gracieux avec une admirable science instinctive des préséances.

Jeanne, en le voyant, se recula presque défaillante pour s’appuyer à la muraille.

Mais cette muraille, elle ne la trouva pas: elle se trouvait devant la porte du petit salon destiné au roi, et comme le passage était ouvert, elle entra dans cette pièce, sans presque s’en apercevoir, heureuse seulement d’échapper à la cohue et espérant pouvoir se remettre là de son émotion…

Le chevalier d’Assas, bien que séparé d’elle, ne l’avait pas perdue des yeux.

Il se dirigea, lui aussi, vers le petit salon et y entra.

À ce moment, Louis XV arriva à l’entrée, et, d’un geste, pria que la fête continuât…

Jeanne le vit entrer!…

De saisissement, elle laissa tomber le mouchoir de dentelles qu’elle tenait à la main.

D’Assas fit un mouvement pour ramasser le mouchoir.

Mais plus prompt, et surtout plus impérieux, quelqu’un avait fait trois pas rapides.

C’était Louis XV!…

Le chevalier d’Assas, pâle d’amour et de désespoir, se recula en tremblant tandis que le roi ramassait le mouchoir.

– Sire! balbutia Jeanne éperdue.

Le roi jeta autour de lui un rapide regard, déposa un baiser sur le mouchoir qu’il cacha aussitôt dans son sein et murmura d’une voix ardente:

– Je le garde… Je l’eusse payé d’une de mes provinces, serez-vous assez cruelle pour me le reprendre?…

Et comme Jeanne baissait les yeux, incapable de trouver un mot, angoissée au point de défaillir presque, il reprit:

– Dites… faut-il vous le rendre?… faut-il le garder?… Mon sort est dans la parole qui va tomber de vos lèvres…

Jeanne pantelante, pâle comme une morte, répondit dans un souffle:

– Gardez, Sire!…

Un gémissement étouffé se fit entendre à deux pas. Mais ils étaient lui trop occupé, elle trop émue pour l’avoir seulement entendu.

Ce gémissement, c’était le pauvre chevalier d’Assas qui l’avait poussé!…

À demi caché dans la tenture de la portière vers laquelle il s’était retiré au moment où le roi l’avait devancé, il avait tout vu, tout entendu!… Le désespoir dans l’âme, il franchit la porte devant laquelle était amassée une foule de courtisans.

En franchissant le pas, il s’accrocha à la portière, qui jusqu’ici était demeurée soulevée, pour ne pas tomber. Le malheureux jeune homme chancelait…

Or, dans le mouvement qu’il fit pour se retenir à la tenture de velours, il la décrocha de sa patère!…

Et lorsqu’il fut passé, la tenture retomba!…

Jeanne et le roi étaient seuls!…

D’Assas, pâle comme un spectre, cherchait à fendre la foule pour gagner le dehors, lorsqu’une main saisit la sienne, et quelqu’un lui dit en riant d’un rire étrange:

– Merci, chevalier! Vous venez de me rendre un tel service que c’est maintenant entre nous à la vie, à la mort!

Cet homme, c’était d’Étioles!…

Le chevalier, hagard, le regarda comme un fou, sans comprendre, peut-être sans avoir entendu.

Il continua son chemin. Dix pas plus loin, quelqu’un le prit par le bras. Cette fois, c’était le seigneur étranger qui accompagnait du Barry. D’Assas reconnut M. Jacques.

– Que me voulez-vous? gronda-t-il… Qui êtes-vous? vous qui m’avez empêché de mourir! vous qui m’avez bercé d’un espoir insensé! vous qui vous dites prêtre et qui revêtez tous les costumes excepté celui du prêtre!… Laissez-moi!… Vous me faites horreur!…

– Allons donc! murmura M. Jacques. Tenez-vous bien, morbleu! On vous regarde!… Vous êtes fou, mon cher!… Vous croyez la partie perdue parce que vous êtes désespéré!… Vous n’avez perdu que la première manche! Tout peut encore se réparer!… Jeanne vous aimera… si vous voulez m’écouter!…

– Que dites-vous? balbutia l’infortune en se raccrochant à l’espoir.

– La vérité!… Où puis-je vous voir?…

– Aux Trois-Dauphins, rue Saint-Honoré!…

– C’est bien… attendez-moi chez vous, demain… Je vous apporterai des nouvelles, et de bonnes, je vous le garantis!…

Sur ce mot, M. Jacques se perdit dans la multitude.

D’Assas, un instant réconforté, retomba dans son morne désespoir. Il secoua la tête et se dirigea vers la sortie, la tête en feu, la fièvre aux tempes, la gorge sèche.