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Jeanne palpitait. Son sein se soulevait. Les paroles du chevalier la plongeaient dans un inexprimable ravissement. Était-ce possible! Le roi était venu rôder sous ses fenêtres!… Oh!… mais il l’aimait donc!…

Et, en même temps, elle était bouleversée par la passion si vraie, si ardente, si impétueuse, de ce jeune homme si beau dont le regard de flamme la pénétrait jusqu’à l’âme.

– Je vous en supplie, murmura-t-elle, achevez votre récit…

– C’est bien simple, madame! Au moment où je demeurais tout atterré de cette rencontre, la gorge serrée par une terrible angoisse, je reçus par derrière un coup violent à la tête. Je tombai. Je perdis connaissance. Je vous entrevis, penchée sur moi… je revins à moi pour apprendre que vous étiez à Saint-Germain-l’Auxerrois… j’y courus… et je vis que c’était votre mariage qu’on venait de célébrer… C’est à ce moment que je fus arrêté…

– Pourquoi?…

– Voilà ce que je ne saurai jamais, sans doute… Mais mon arrestation ne vous semble-t-elle pas la suite toute naturelle du coup que je reçus… lorsque j’eus reconnu… le roi!…

Jeanne, elle aussi, le pensait!… Et, malgré elle, elle ne pouvait s’empêcher de songer que si d’Assas eût été le roi de France, il n’eût pas employé un pareil moyen pour se débarrasser d’un rival!… Mais si c’était Louis XV qui avait fait arrêter le jeune homme, pourquoi l’avait-il fait relâcher si vite? Elle savait parfaitement que s’il était très facile d’entrer à la Bastille, il était horriblement difficile d’en sortir… Il y avait là une question à laquelle le chevalier répondit en reprenant:

– Quelqu’un qui s’intéresse à moi et qui est haut placé a pu obtenir mon élargissement.

On vient donc de me remettre seulement la lettre que vous m’adressiez… Vous m’appeliez à votre secours, madame!… Eh bien, me voici! Dites! que faut-il faire, qui faut-il provoquer?…

Jeanne garda un moment le silence.

Elle considérait avec une émotion dont elle ne pouvait se défendre cette loyale figure si rayonnante de jeunesse et d’amour.

Il n’y a rien de contagieux comme l’amour sincère.

Et elle éprouvait peut-être en ce moment un peu plus que de la pitié pour ce charmant cavalier dont les yeux exprimaient un si pur dévouement et un si profond désespoir.

– Chevalier, dit-elle doucement, écoutez-moi… je veux vous parler comme à mon meilleur ami, mon seul ami dans la situation où je me trouve… mon frère!…

D’Assas eut un geste de résignation: ce n’est pas ce mot-là que son cœur espérait!…

– Je vous ai appelé, reprit Jeanne avec cette netteté qui la distingua toujours, parce que j’étais sur le point d’épouser un homme que je hais. Apprenez la vérité, chevalier: M. Poisson, que vous avez vu, n’est pas mon vrai père… Mon père, c’est M. de Tournehem.

– Le fermier général?

– Oui, chevalier. Or, M. d’Étioles est son sous-fermier. Il a relevé dans les comptes de mon père des exactions vraies ou fausses, mais qui, certainement, n’ont pas été commises par M. de Tournehem. Armé de ces chiffres, M. d’Étioles m’a donné à choisir. Ou je l’épouserais, ou il dénoncerait mon père…

– Horreur! Comment cet homme peut-il descendre à ce degré d’infamie et de lâcheté?

– M. d’Étioles y est descendu, fit sourdement Jeanne, et peut-être descendra-t-il plus bas. Enfin, lorsque j’ai pensé à vous, je me disais que peut-être, l’épée à la main, pourriez-vous imposer à M. d’Étioles une plus juste notion de l’honneur…

– Merci! oh! merci, madame! murmura ardemment d’Assas.

– N’en parlons plus! La fatalité s’en est mêlée. Tout est fini, puisque je m’appelle Mme d’Étioles. Mais vous l’avouerai-je? cet homme me fait plus peur encore qu’avant mon mariage. Il me semble qu’il veut me pousser à je ne sais quelle sinistre aventure… Je ne puis rien dire à mon père de mes craintes, non seulement parce que je ne veux pas le replonger en de nouveaux chagrins – il a déjà tant souffert! – mais encore parce que l’horrible d’Étioles est toujours armé, lui!… Alors, écoutez… voulez-vous que nous fassions un traité?…

– Ah! madame… qu’est-il besoin de traité!… Vous savez bien que vous pouvez disposer de moi à votre gré!…

– Eh bien, soit!… J’accepte votre généreux dévouement… Si j’ai besoin de quelqu’un pour me défendre c’est vous qui serez mon chevalier!…

D’Assas tomba à genoux.

Il lui parut que le ciel s’entr’ouvrait.

Dans l’émotion de Jeanne, il vit ce qui y était peut-être en ce moment: un commencement d’amour!

Alors il se sentit fort comme Samson quand il marchait contre les Philistins! Il se sentit de taille à lutter contre le roi lui-même! Et saisissant les mains que Jeanne lui abandonnait, il les couvrait de baisers ardents…

– Relevez-vous, chevalier, dit-elle doucement.

Il obéit.

– Quand faut-il attaquer? demanda-t-il.

– Je vous le dirai! D’ici là, si vous rencontrez M. d’Étioles, il faut prendre sur vous de lui faire beau visage…

– Le pourrai-je!…

– Il le faut!… Il faut que vous soyez reçu ici en ami, que vous puissiez entrer à toute heure…

– Oui, oui!… s’écria d’Assas enivré.

Jeanne lui jeta un adorable sourire.

Et il est certain qu’à cette minute, l’image du roi pâlissait dans son cœur, et que l’amour éclatant du beau chevalier la troublait beaucoup plus qu’elle ne le croyait elle-même.

Tout à coup on frappa à la porte, et Henri d’Étioles entra en s’écriant:

– Ah! chère amie, je vous cherche partout!… Oh! pardon, ajouta-t-il en feignant d’apercevoir d’Assas, je ne vous savais pas en compagnie… Eh! mais… c’est le vaillant chevalier d’Assas! Un de mes meilleurs amis!…

Et il courut à d’Assas en lui tendant une main que le chevalier prit en frissonnant.

Jeanne était devenue de glace.

Mais Henri d’Étioles n’eut pas l’air de s’en apercevoir.

Il sortit d’un élégant portefeuille en maroquin deux carrés de carton, qui, sur le recto, portaient un dessin signé Boucher et, sur le verso, quelques lignes imprimées.

– Devinez ce que je vous apporte là? dit-il en souriant.

– Comment le devinerais-je, monsieur?

– Eh bien, ce sont… dame, cela m’a coûté gros… mais pour vous, chère amie, il n’est rien qui me coûte… et puis je sais que vous mourez d’envie de voir de près notre bon sire Louis quinzième… le Bien-Aimé!…

– Le roi! balbutia Jeanne en devenant très rouge.

– Le roi! répéta sourdement d’Assas en devenant pâle comme un mort.

– Oui! Le roi, pardieu!… Eh bien, ces deux cartons, ce sont deux invitations obtenues à prix d’or pour le bal que l’Hôtel de Ville offre à Sa Majesté… Vous ne me remerciez pas?…

En même temps, il déposa les deux cartons sur un guéridon.

Jeanne, palpitante, les dévorait des yeux.

– Je vous emmène, chevalier, reprit d’Étioles.

– À vos ordres…

D’Assas s’inclina profondément devant Jeanne qui lui rendit la révérence. Sur le pas de la porte, il se retourna et la vit qui allongeait la main vers les cartons!…

– Cher ami, dit Henri d’Étioles quand ils furent dehors, est-ce qu’il vous plairait d’assister à cette fête?… Je puis, si vous le voulez… vous procurer une invitation… si, si… ne dites pas non… c’est entendu, vous recevrez votre invitation aux Trois-Dauphins…

–  Eh bien, oui! fit d’Assas, les dents serrées, j’accepte!…

Et ils partirent voir ensemble une paire de chevaux que d’Étioles voulait acheter et sur lesquels, disait-il, il tenait à avoir l’avis du chevalier.