— Mais, s’écria l’hôtelier, elle est morte !

La tante Palmyre, qui, quelques instants auparavant, n’avait cessé de protester de sa sincère affection pour sa charmante nièce, ne paraissait pas autrement impressionnée. Elle jetait de rapides regards tout autour de la pièce, sans manifester d’émotion. Attitude qui ne dura qu’une seconde… Soudain, la vieille femme éclata en lamentations, poussa des cris perçants. Dieu ! qu’elle était encombrante dans sa douleur. L’hôtelier effaré ne savait que faire. Avec de grands gestes, il imposa silence à la vieille :

— Taisez-vous ! faites pas de bruit !.. bougez pas !… surtout ne touchez à rien avant l’arrivée de la police…

— La police ! geignait la tante Palmyre, mais c’est épouvantable !…

Toutefois, à peine l’hôtelier s’était-il retiré, que la vieille, avec une dextérité remarquable se mit à chercher dans les meubles en désordre et, maîtrisant une extrême surprise, prenait en hâte un certain nombre de papiers qu’elle enfouissait dans son corsage tout en jetant des regards inquiets du côté du couloir.

À peine eut-elle terminé que l’hôtelier revenait, accompagné d’un agent de police…

En vain le père Louis s’efforçait d’attirer le gardien de la paix jusque dans la pièce. L’agent ne voulait rien savoir.

— Que je vous dis, répétait-il de sa grosse voix, que ce n’est pas la peine que je considère ce cadavre… que M. le commissaire, il va arriver tout à l’heure et qu’il fera lui-même les constatations légales…

Dix minutes environ s’écoulèrent. Le magistrat annoncé se présenta, accompagné de son secrétaire, et procéda aussitôt à un interrogatoire sommaire de l’hôtelier. Mais il était impossible, en présence de la tante Palmyre, de faire le moindre travail sérieux. L’insupportable vieille ne comprenait rien aux questions, parlait à tort et à travers.

— Retirez-vous, madame, je vous entendrai tout à l’heure.

— Mais où faut-il que j’aille ?

— Où vous voudrez, au diable, hurla le commissaire.

— Eh bien, c’est pas pour dire, rétorqua la vieille femme, tout commissaire que vous êtes, vous êtes rudement mal embouché…

Et la tante Palmyre ajouta :

— Dire que personne de vous n’y a pensé encore, j’m’en vas aller jusqu’au coin chercher des fleurs.

***

Il faut croire que les fleuristes étaient rares, car la vieille femme avait sans s’arrêter traversé toute la ville.

Elle était désormais devant la gare et, comme elle consultait l’horloge :

— Bigre ! je n’ai que le temps, murmura-t-elle.

La mégère traversa la salle d’attente, fit poinçonner son billet, un coupon de retour, et accéda au quai au moment précis où un employé criait :

— Les voyageurs pour Paris, en voiture !…

La tante Palmyre s’installa dans un compartiment de seconde, réservé aux dames seules…

Un inspecteur contrôlait les billets à l’arrêt de Château-Thierry.

— Pardon, monsieur, fit-il en réveillant un voyageur qui s’était assoupi, mais vous êtes dans les dames seules !

L’homme se frotta les yeux.

— Je vous demande pardon, fit-il, je vais changer de place…, c’est une erreur…

Par le couloir, le voyageur gagna un autre compartiment, y transportant un ballot de vêtements enveloppé d’un châle multicolore…

Une heure après, le train de Châlons arrivait à Paris. Le gros voyageur regarda sa montre :

— Onze heures quarante-cinq, j’ai encore le temps.

Il sauta dans un taxi et dit au mécanicien :

— Rue Saint-Dominique, au ministère de la Guerre.

***

Peu après le départ inopiné du colonel Hofferman, Juve avait quitté le sous-secrétaire d’État, mais, au lieu de quitter le ministère il était monté au Deuxième Bureau de l’État-Major et s’était fait annoncer au commandant Dumoulin.

Bien que se connaissant fort peu, le commandant Dumoulin et Juve sympathisaient.

Juve était monté à tout hasard, espérant que peut-être il apprendrait du nouveau, mais le commandant Dumoulin ne savait rien ou ne voulait rien dire, et Juve, après une conversation banale, allait se retirer, lorsque la porte s’ouvrit.

Le colonel Hofferman entra.

Le colonel avait les yeux brillants, l’air radieux.

Le colonel, ayant aperçu Juve, le salua d’un sourire énigmatique.

— Ah ! par exemple, monsieur, je ne m’attendais pas à vous retrouver ici… mais puisque vous y êtes, vous me saurez gré de vous donner des nouvelles !…

Juve ouvrait des yeux interrogateurs. Le colonel continua :

— J’ai rendu hommage à votre perspicacité tout à l’heure et je reconnais encore que vous avez fort bien pronostiqué en nous annonçant que le capitaine Brocq avait une maîtresse ; malheureusement ce n’était pas du tout celle que vous croyez. Ce n’était pas non plus une femme du monde, tout au contraire…

— Avez-vous l’intention de me la faire connaître ?

— Mais bien certainement, monsieur !… Cette maîtresse, c’est une fille… une chanteuse de café-concert, une nommée Nichoune… de Châlons !

— Vous en avez la preuve ?

Le colonel tendit au policier un paquet de lettres :

— Voici, dit-il, la correspondance que le capitaine adressait à cette fille. Un de mes collaborateurs vient de la saisir chez elle…

Juve considéra les documents :

— C’est curieux ! observa-t-il à mi-voix, évidemment ! coïncidence fâcheuse !… mais pas une fois le nom de Nichoune ne figure dans ces lettres !…

— Il n’y figure aucun autre nom, observa le colonel… par conséquent, vu l’endroit où ces lettres ont été trouvées… nous devons conclure…

Juve questionna encore :

— Ces lettres n’étaient pas accompagnées d’enveloppes ?

— Ma foi, non ! s’écriait le colonel, mais qu’importe !

Juve hocha la tête :

— Bizarre ! fit-il tout bas.

Puis, haussant la voix :

— Mon colonel, je suppose que votre… collaborateur, avant de s’emparer de ces lettres, a fait causer la personne qui les avait reçues… En a-t-il obtenu des renseignements ?…

— Monsieur l’inspecteur, je vais vous étonner encore une fois : mon collaborateur n’a pas pu faire parler la personne en question, lorsqu’il est arrivé chez elle, il l’a trouvée morte.

— Morte ! cria Juve.

— Comme je vous le dis…

— Eh bien !

— Un conseil, Juve, laissez-nous les affaires d’espionnage… et vous, pourchassez donc Fantômas. Il y a de quoi vous occuper.

11 – LA CAGOULE DE FANTÔMAS

Accoudé à la barre d’appui de sa fenêtre, Jérôme Fandor s’occupait, en apparence, à surveiller les allées et venues des passants qui remontaient lentement du centre de Paris.

Il fuma cigarette sur cigarette, pestant, jurant presque et ne quittant pas des yeux les trottoirs de la rue.

— Je me suis peut-être trompé ? pensa encore le journaliste… pourtant, malgré tout, j’imagine que ce gamin de quatorze ans, quinze ans au maximum, ce pâle voyou qui m’a filé dans le métro, puis qui a pris le même tramway que moi, puis que j’ai retrouvé place de la Concorde, n’était pas là tout à fait par hasard. Sept heures et demie… je ne sais si l’autorité militaire respecte les prescriptions légales et peut effectuer une arrestation passé le coucher du soleil ?…

N’avait-on pas ordonné de le surveiller, ne le faisait-on pas pister dans l’espoir de retrouver par lui le caporal Vinson, traître et bientôt déserteur ?…

— Si le Deuxième Bureau, songeait Fandor, a décidé mon arrestation, il est bien évident que je n’arriverai pas à échapper… la police d’espionnage est merveilleusement organisée, s’il prend fantaisie aux officiers qui la dirigent de me considérer comme un complice de Vinson, ils me coffreront dans les vingt-quatre heures.

« J’agis comme un imbécile, pensa soudain Fandor, ce qu’il faut avant tout, c’est que je mette Juve au courant de ce qui se passe, et il demanda la communication téléphonique avec le policier.

Le policier était sorti, Fandor laissa un message pour lui.