À la vue du désordre organisé par Juve, la jeune fille demeura interdite, stupéfaite.

Le policier, nerveux à l’extrême, parut interloqué, aussi, par cette apparition soudaine, mais il sembla défaillir au premier mot que lui adressait la jeune fille :

— Monsieur Juve, dit en effet celle-ci, sur un ton fort naturel, je suis bien contente de vous trouver. Le baron de Naarboveck m’envoie à vous…

Juve bondit :

— Qui cela, mademoiselle ?

— Le baron de Naarboveck, répéta la jeune fille, étonnée par l’attitude de Juve.

— Le baron de Naarboveck me demande ? insista celui-ci. Où ?… Depuis quand ?…

Très simplement Wilhelmine expliqua :

— Je le quitte à la seconde, à l’entrée du salon : il sortait d’ici… Mais pourquoi mettez-vous tous ces meubles dans la galerie ?… Il m’a dit : « Wilhelmine, je suis un peu fatigué et je remonte un instant dans ma chambre, mais va donc dire à M. Juve… »

Wilhelmine s’interrompit, car Juve s’était ressaisi, et, sans se préoccuper de Wilhelmine, il se précipitait dans la galerie encombrée des meubles retirés de la pièce.

Et soudain le policier s’arrêta, figé de stupeur.

Il venait de se heurter à un grand fauteuil, qu’il n’avait pas remarqué jusqu’alors, bien que cependant ce meuble figurât dans l’installation de la bibliothèque. Mais désormais son allure insolite devait retenir l’attention du policier.

Atterré, Juve le considérait :

C’était un siège extraordinaire et merveilleusement aménagé. Les accoudoirs et le dossier, ainsi d’ailleurs que le fond, s’ouvraient par le milieu et à l’intérieur du fauteuil étaient ménagés des vides, prévus évidemment pour que quelqu’un puisse s’y dissimuler. C’était, en réalité, un fauteuil double, un fauteuil à double fond, une merveilleuse cachette, un fauteuil dans lequel on était invisible, et qui, une fois refermé sur vous, paraissait vide, inoccupé.

Juve, désormais, comprenait ce qui venait de se passer.

Oh ! la chose était fort simple !

Fantômas, au moment d’être pris, profitant d’une seconde d’inattention, avec une agilité surprenante s’était introduit dans son fauteuil secret… et ce qu’il avait prévu était arrivé.

Juve, pour appréhender le bandit, avait fait fouiller la pièce, puis ordonner de la vider. Dès lors, du fauteuil abandonné dans la galerie, Fantômas était sorti le plus tranquillement du monde.

Même il avait poussé l’ironie, au moment où il quittait – pour toujours – son magnifique hôtel de la rue Fabert, jusqu’à envoyer Wilhelmine prévenir Juve de son évasion…

Juve comprit tout cela, et c’était un coup affreux qui le frappait au cœur. Il demeura anéanti.

— Qu’avez-vous donc, mon cher Juve ? interrogea doucement une voix.

Fandor qui venait de voir le diplomate qu’il savait être Fantômas – et Fantômas sur le point d’être arrêté – traverser rapidement le bal et disparaître dans la foule des danseurs.

Le policier ne répondit pas tout de suite. De grosses larmes roulaient sur ses joues creusées par la fatigue et le souci. Lentement il articula :

— Fantômas… Je le tenais… Et c’est moi qui ai fait sortir de la bibliothèque ce maudit fauteuil… c’est grâce à moi…

 Juve ne put continuer. Il s’effondra dans les bras de son ami…

Encore une fois, Juve avait échoué en arrivant au port.

Encore une fois le bandit lui échappait… Juve n’aurait-il donc jamais sa revanche ?… À l’avenir d’en décider.