— Démasquer Fantômas et l’arrêter ensuite.

— Comme il vous plaira.

***

Dans la bibliothèque, encombrée d’un excès de meubles n’appartenant pas à cette pièce et qu’on avait relégués là pour débarrasser les salons à l’occasion du bal, Juve et le baron de Naarboveck engagèrent un duel oratoire des plus émouvants.

Ils étaient seuls, bien seuls, et Juve, qui avait fait passer devant lui le baron, savait que cette pièce n’avait qu’une seule issue. Si jamais de Naarboveck voulait employer la force ou la ruse pour en sortir, il lui faudrait d’abord éloigner Juve de la porte devant laquelle il se trouvait.

Certes, il y avait bien, à l’autre extrémité de la bibliothèque, la fenêtre donnant sur l’Esplanade des Invalides, mais cette fenêtre était dissimulée par les rideaux que l’on avait fermés, et Juve ne craignait pas de voir son adversaire s’échapper par là : il savait – il était le seul à le savoir – qu’entre cette fenêtre et ces rideaux, se trouvait quelque chose… quelqu’un…

— Vous souvient-il, monsieur de Naarboveck, de cette soirée au cours de laquelle la police vint ici chez vous, pour procéder à l’arrestation de Vagualame ?

— Oui, répliqua de Naarboveck… et c’est vous, monsieur Juve, qui vous êtes fait prendre sous ce déguisement…

— En effet… Est-ce que vous vous souvenez, monsieur de Naarboveck, d’une certaine conversation qui eut lieu entre le policier Juve et le vrai Vagualame au domicile de Jérôme Fandor ?

— Non, déclara le baron, pour cette bonne raison que la conversation était un dialogue entre deux personnes : Juve et Vagualame.

— Pourtant ce Vagualame n’était autre que Fantômas.

— Eh bien ?

Juve, après un silence d’une seconde, brûla ses vaisseaux :

— Naarboveck, s’écria-t-il, inutile de ruser plus longtemps : Vagualame, c’est Fantômas, Vagualame c’est vous, Fantômas, c’est vous ! Nous le savons, nous vous avons identifié et demain matin l’anthropométrie prouvera, aux yeux de tous, ce qui est aujourd’hui une conviction, une certitude pour certains seulement. Depuis longtemps, vous vous voyez poursuivi, traqué, vous avez remarqué que le cercle fermé autour de vous se resserrait chaque jour et, jouant votre dernier atout, tentant l’impossible même, vous avez médité cette abominable comédie qui consistait à duper un souverain et à vous faire nommer son ambassadeur, afin de bénéficier pour un temps plus ou moins long de l’inviolabilité diplomatique… ah ! évidemment, ça n’est pas mal trouvé…

— N’est-ce pas ?…

— Vous avouez donc ?…

— Et quand ça serait ?… déclara le mystérieux personnage. Puisque vous avez découvert la vérité… sans doute, monsieur Juve, avez-vous l’intention de me dénoncer, de prouver que le baron de Naarboveck n’est autre que Fantômas ? Ah ! je reconnais votre adresse, j’avoue même qu’il se peut fort bien que vous obteniez l’autorisation de m’arrêter d’ici quelques jours.

— Non ! pas dans quelques jours, interrompit Juve, brusquement, mais immédiatement.

— Pardon, les lettres de créance que je possède sont authentiques et nul au monde ne peut me relever de mes fonctions…

— Si ! fit Juve…

— Qui ?

— Le roi, dit Juve.

De Naarboveck hocha la tête malicieusement :

— Frederick-Christian, en effet, seul peut m’enlever ma qualité d’ambassadeur, mais… qu’il vienne donc…

Juve, à ce moment, s’arrêta de parler. Il leva le doigt lentement vers le fond de la bibliothèque, vers la fenêtre.

Et de Naarboveck qui suivait machinalement ce mouvement ne put retenir un cri de stupéfaction, un cri d’angoisse !

Le rideau dissimulant la fenêtre venait en effet de s’écarter et lentement, aux yeux du misérable, apparaissait la silhouette majestueuse et digne, du roi de Hesse-Weimar, Frederick-Christian II.

Le souverain était blême et l’on sentait qu’une colère sourde bouillonnait dans son cœur.

Le policier s’était rapproché de lui et Frederick-Christian sortant de sa poche une large enveloppe, la tendit à Juve :

— Je suis victime, déclara-t-il, de l’imposture de ce monstre, mais je sais reconnaître mes erreurs et aussi les réparer, monsieur Juve : voici le décret que vous m’avez demandé annulant la nomination du baron de Naarboveck !

Fantômas, au cours de cette brève scène, s’était peu à peu reculé dans un angle de la pièce, le visage contracté.

Mais, aux derniers mots du roi, Fantômas se redressa. Lui aussi tira de sa poche un document et avec un sourire féroce, il le tenait au souverain :

— Sire, déclara-t-il, à mon tour de vous donner ceci… C’est le plan volé chez le capitaine Brocq… le plan de mobilisation de toute l’armée française, que votre État-Major…

— Assez, monsieur ! hurla le roi qui, dans un geste d’indignation, jeta à terre le papier que lui présentait Fantômas.

Cependant, Juve, sans le moindre souci des attitudes protocolaires, ramassait avec empressement le document.

Le roi qui l’avait vu faire poursuivait, en hâte, comme pour s’excuser et prévenir le soupçon que l’on aurait pu formuler à son égard :

— Ce plan, Juve, déclara-t-il, appartient à votre pays, jamais nous n’avons voulu…

Un instant les deux hommes quittèrent des yeux Fantômas, et cet instant suffit au bandit pour soudain se dissimuler… disparaître…

Juve, loin de perdre la tête, appela :

— Michel !

L’inspecteur de la Sûreté, posté dans la galerie toute voisine, entra aussitôt.

Derrière lui parurent quelques messieurs en habit noir, qui n’étaient autre que des agents de la Préfecture.

En deux mots, Juve renseigna Michel :

— Fantômas est là… dissimulé… mais non pas évadé… Ces murs peut-être recèlent une cachette… mais point un passage, une issue…

« Enlevons tous ces meubles, qui constituent une véritable barricade et fortifient le monstre dans sa retraite. »

Quelques minutes s’écoulaient, angoissantes, silencieuses. Juve avait obtenu, exigé que le roi quittât la pièce dont le policier, assisté de Michel, défendait soigneusement l’entrée.

Des domestiques arrivèrent, laquais aux faces glabres, qui disposèrent sur la cheminée quelques vases de fleurs qui, ailleurs encombraient sans doute. Puis ils se retirèrent sans se douter du drame qui se déroulait, sans soupçonner un instant que derrière l’amoncellement insolite de meubles qui se trouvaient dans la bibliothèque, se cachait leur maître, le baron de Naarboveck, et que ce maître n’était autre que Fantômas, désormais acculé par la police, mais sans doute aussi prêt à vendre chèrement sa vie…

Ils eurent un semblant d’hésitation, puis Juve commanda :

— En avant !

Aidé de six hommes, le policier et l’inspecteur Michel commencèrent le bouleversement définitif de la bibliothèque, remuant les meubles un par un, regardant sous les canapés, écartant les rideaux, les tentures.

Rien… Pas de Fantômas !

— Par exemple ! murmura Juve.

Cependant, Juve était également sûr de lui : la bibliothèque ne comportait pas de trappes ni de porte secrète, le plancher ne s’ouvrait pas, le plafond n’était pas mobile.

Juve prit une décision soudaine :

— Tirez-moi tous ces meubles dans la galerie, ordonna-t-il, nous allons bien voir… Fantômas n’est ni invisible, ni impondérable…, il ne peut être sorti d’ici, il faut donc qu’il y soit.

Non sans peine, car il fallait agir en hâte et sans bruit, les agents déménagèrent par l’étroite porte de la bibliothèque les gros meubles qui s’y trouvaient, les menus objets également.

On avait enlevé un confortable fauteuil de cuir, quatre chaises, un guéridon, deux étagères, et la pièce se démeublait de plus en plus, lorsque, soudain, Wilhelmine apparut à l’entrée.

Pendant ces tragiques événements, le bal continuait et la fête était plus animée que jamais. De temps à autre les trois personnages qui s’étaient trouvés réunis dans cette bibliothèque avaient perçu les refrains entraînants des valses des tziganes et le joyeux murmure des conversations animées.