— Le fourneau de la cuisine brûle encore ? demanda-t-il quelques instants plus tard, en réapparaissant, tenant à bout de bras une valise.
— Oui, répondit Alice. Pour quoi faire ?
— Tiens, tu vas voir.
Tenant la lampe, éclairant son mari, Alice Ricard précéda le courtier dans la cuisine de la villa.
Le fourneau était encore rouge, il y avait encore du charbon à l’intérieur de la grille.
— Aide-moi, commanda le courtier.
Il avait ouvert la valise, il en tirait les débris d’une malle, d’une malle jaune, de la malle jaune dont on avait tant parlé au cours de l’enquête.
— Tu vas tout brûler ?
— Ma foi, oui. Le feu ne laisse pas de traces.
Aidé de sa femme, le courtier, en effet, jeta un par un les morceaux de la malle sinistre dans le foyer. Cela flambait terriblement, cela ronflait. Il fallut bien peu de temps pour brûler la malle entièrement.
— Maintenant, déclara Alice Ricard lorsque le dernier morceau de bois eut été précipité dans le feu, nous n’avons plus rien de compromettant ici ?
— Non, rien, ripostait Fernand.
Mais, en disant cela, le courtier se penchait sur le fourneau de cuisine et tisonnait vigoureusement les cendres.
— Qu’est-ce que tu cherches ? questionna Alice.
— Je regarde s’il ne reste aucun débris.
Au moment où il disait ces mots, le courtier en vins se mordait les lèvres :
— Bon sang, dit-il, ah bien, j’ai joliment été inspiré de regarder ! Voilà quelque chose à quoi nous ne pensions pas.
Du bout de sa pincette, Fernand Ricard tirait des cendres un objet tordu, noirâtre, impossible à définir.
— Qu’est-ce que c’est ?
— La serrure, ma chère, la serrure de la malle. Il n’en faut pas plus pour faire prendre les gens. Et, ma foi je t’avoue que, cependant, je n’avais pas pensé à cela. Parbleu, c’est du fer, le feu n’allait pas le brûler.
— Alors, qu’est-ce que tu vas en faire ?
— Je vais le jeter dans le puits.
— Maintenant ?
— Oui, maintenant, pourquoi pas ?
— Tu vas me laisser seule pour aller au jardin ?
— Dame, évidemment ! Mais qu’est-ce que cela te fait ?
— J’ai peur.
Le courtier regarda sa femme dans les yeux :
— Pas d’enfantillage, hein, commanda-t-il.
Et sans plus se préoccuper de la jeune femme, il descendit au jardin.
Quelques minutes plus tard, Fernand Ricard rentrait dans la salle à manger où Alice l’attendait.
— Voilà, dit-il, c’est fait. La serrure est au fond du puits. On n’ira pas la chercher là.
Il semblait plus joyeux, plus tranquille. Comme sa femme ne lui répondait rien, Fernand Ricard reprit la parole :
— D’abord, vois-tu, dit-il, nous sommes des imbéciles de nous faire du mauvais sang. En somme, quelle est la situation ? Qu’est-ce qui se passe ? Mais rien que des choses favorables pour nous. Nous pouvions craindre qu’on recherche la malle jaune, crac, on trouve une malle verte ! Nous pouvions avoir peur d’être soupçonnés. Ah, je t’en fiche, le chef de la Sûreté lui-même fait arrêter le petit Théodore et la bonne Brigitte. Nous sommes vraiment bien bêtes de nous plaindre. Fatalement, on devait chercher des assassins. Or, la police tient des coupables. Ma foi, nous n’avons qu’à laisser aller et qu’à charger nous-mêmes ceux qui ont la malchance d’être déjà compromis.
Alice Ricard ne répondant toujours pas, son mari voulut la forcer à sortir de son silence :
— Tu n’es pas de mon avis ? demanda-t-il. Tu ne trouves pas que c’est excellent qu’on ait arrêté Théodore et Brigitte ? Eh bien, qu’est-ce que tu as ?
— Rien, j’écoute.
— Quoi ?
— Tu n’as pas entendu du bruit au jardin ?
— Au jardin ? Tu es folle.
Fernand Ricard s’était levé, il prêtait l’oreille, cependant que sa femme, anxieuse, joignait instinctivement les mains :
— Il n’y a pas de bruit. On n’entend rien.
— Si, on a marché.
— Tu rêves.
Il prit pourtant la lampe, s’approcha de la fenêtre. Fernand Ricard ouvrit les rideaux, regarda dans le jardin, blêmit en se penchant :
— Oh tu as raison, fit-il, voilà quelqu’un.
— Mon Dieu !
Brusquement, Fernand Ricard mit la main sur la bouche de sa femme.
— Tais-toi donc, c’est peut-être une visite.
Au même instant, la sonnette de la porte d’entrée retentissait :
— Je vais ouvrir, dit le courtier en vins.
Un instant plus tard, Alice Ricard, demeurée seule dans la salle à manger, entendit un cri d’épouvante. La porte de la maison s’était ouverte brusquement, avait-elle cru, et, tout de suite, un cri avait retenti. Oh, ce cri, il avait résonné jusqu’au plus profond de l’âme d’Alice Ricard.
— Fernand, appela la jeune femme, Fernand !
Malgré sa peur, elle voulut courir en avant. Mais, au même instant, la porte de la salle à manger s’ouvrait. Dans la demi-obscurité qui régnait dans la pièce, car un rayon de clair de lune filtrait à travers les rideaux, Alice Ricard vit entrer deux hommes :
L’un était son mari, blême, qui tenait à la main la lampe éteinte. Derrière lui venait un inconnu, grand, mince, vêtu de noir. Alice ne put distinguer son visage, car il se rencognait dans l’ombre. Au même instant, la voix de Fernand Ricard, une voix qui tremblait, qui était presque indistincte, s’éleva :
— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Pourquoi avez-vous éteint ma lampe ? Si vous ne partez pas, j’appelle au secours.
Il parut à Alice Ricard que l’inconnu ricanait à ces mots.
— Taisez-vous, dit simplement l’homme noir.
« Mon Dieu, songeait la jeune femme, c’est assurément un homme de la police, on vient nous arrêter. » Au même instant, l’inconnu prit la parole :
— Fâché de vous déranger, dit-il d’une voix grave et étrangement railleuse, fâché de me présenter ainsi chez vous, monsieur Ricard, en éteignant votre lampe, en forçant votre porte, mais, ma foi, je n’avais pas le choix des moyens, et puis, pour ce que nous avons à nous dire, il n’est pas besoin d’y voir.
L’inconnu ricanait encore, et tranquillement, comme s’il eût été chez lui, conseillait :
— Mais prenez donc des sièges, et causons.
Il s’était assis lui-même, et c’est seulement quand Alice Ricard et Fernand, fous de peur, se furent laissé choir sur un divan, que l’étrange et mystérieux homme noir ajouta :
— Maintenant, comprenez bien qu’il va de votre intérêt de me répondre en toute franchise.
— Qui êtes-vous ? interrompit encore le courtier. Que me voulez-vous ? Sortez.
Mais les mots s’étranglaient dans sa gorge. L’inconnu, tranquillement, avait mis la main à sa poche et en tirait un revolver :
— Monsieur Ricard, dit-il, il ne faut pas être indiscret avec moi. Cela porte malheur. Je me réserve de vous interroger, mais je ne vous permets pas de me poser des questions. Est-ce compris ?
Fernand Ricard baissa la tête. La sueur coulait de son front. Quant à sa femme, elle était à demi morte.
— Donc, reprit l’inconnu, causons ! Votre oncle Baraban, n’est-il pas vrai, est à l’heure actuelle, mort, coupé en morceaux, expédié quelque part. C’est ce que vous croyez ? C’est ce que vous savez ?
Fernand Ricard à cette question, pâlissait plus encore.
Depuis l’arrivée de l’inconnu, il redoutait que cet homme noir ne vînt lui parler de l’affaire Baraban. En entendant prononcer le nom du vieillard, il éprouvait pourtant un choc douloureux, une émotion torturante. Que devait-il répondre ?
Fernand Ricard, talonné par la peur, pensant lui aussi à la police, domina cependant son émotion.
— Je ne sais pas qui vous êtes, déclarait-il. Mais cependant, je vous répondrai, car je n’ai rien à cacher. Oui, mon pauvre oncle doit être mort, nous en avons bien peur, ma femme et moi.
— Pauvres gens ! La mort de cet oncle chéri vous rapporte un gros héritage, n’est-il pas vrai ?
Mais à cette question précise, le courtier en vins bondit plus qu’il ne se leva.
— Non, dit-il, ça n’est pas vrai. Mon oncle n’avait pas de fortune, sa mort ne nous rapporte rien.