— Dis, tu ne me croirais pas, Alice, dit Fernand, maintenant le courage me manque pour ouvrir cette enveloppe. Je l’ai trop attendue, si jamais ça ne marchait pas, hein, qu’est-ce qu’on ferait ?

Alice Ricard, elle, ne tenait pas en place :

— Attends, disait-elle, je vais fermer la fenêtre. Oh, et puis ma foi, ce n’est pas la peine, je vais seulement tirer les rideaux pour qu’on ne puisse pas nous voir.

Elle était, une seconde après, aux côtés de son mari ; elle s’appuyait à son épaule :

— Ouvre donc, Fernand, ouvre.

La lettre tremblait dans les mains du courtier en vins. Celui-ci, pourtant, faisant effort sur lui-même, triompha de ses hésitations :

— Bah, le sort en est jeté, dit-il.

Fernand Ricard écorna l’enveloppe, glissa un doigt à l’intérieur de la lettre, la décacheta.

Il jeta seulement les yeux sur le papier déplié, puis, semblant fort joyeux, il empoigna sa femme par les épaules, l’embrassa comme un fou :

— Tiens, ça y est ! Ah, que je suis content !

Et comme Alice avait achevé sa lecture, il reprit avec enthousiasme :

— Tu as vu, hein ? Ça y est. Il nous reste tout juste à dire : oui, et nous voilà riches. Vrai, ça ne sera pas volé tout de même.

Mais, à ces mots, Alice Ricard haussait les épaules :

— Tu en as du toupet, protestait-elle, ça ne sera pas volé dis-tu ? Ah bien, je n’aurais pas trouvé cela moi. Laisse-moi lire, il faut faire bien attention.

— C’est bien cela, hein ? demanda le courtier.

— C’est tout à fait cela, dit la jeune femme.

Et d’une voix lente, bien timbrée, elle commença la lecture sans paraître en éprouver la moindre émotion.

Monsieur,

Nous avons l’honneur de vous informer que M. Baraban, votre oncle, était assuré sur la vie à votre profit pour une somme de cent mille francs. Nous venons d’être avisés par la préfecture de police que le décès de M. Baraban était déclaré. Nous tiendrons à votre disposition, si vous en manifestez le désir, la somme de cent mille francs, montant de l’assurance dont nous vous sommes redevables.

Nous vous prions, toutefois, de nous faire savoir si, étant donné les circonstances mystérieuses qui ont entouré le décès de M. Baraban, vous acceptez la déclaration du décès promulguée par la préfecture de police, ou si, au contraire, vous préférez attendre la fin des enquêtes.

Dans l’espoir de vous lire prochainement,

Recevez, Monsieur, nos salutations les plus empressées.

— Les imbéciles ! Et dire qu’ils nous demandent si nous voulons toucher, dit Alice Ricard.

— Oui, ils sont plutôt naïfs. Si nous voulons toucher ? Ah certes oui, ça n’est pas pour rien n’est-ce pas, que nous avons eu tant de mal pour réussir notre coup.

Le courtier en vins se promenait de long en large, se frottant les mains, embrassant sa femme de minute en minute.

— Tiens, déclara Fernand Ricard, c’est le plus beau jour de ma vie. Nous allons toucher cent mille francs, hein, tu entends ? Cent billets de mille francs. Ose encore soutenir que je ne suis pas un malin ? Que je n’ai pas tout combiné ? Que tu as des remords ?

— Écoute, ce ne sont pas des remords que j’ai maintenant, c’est…

— C’est quoi ?

— Ce sont des pressentiments.

— Bah, disait-il, des pressentiments de quoi ? Des pressentiments ? Pourquoi ? Ça ne rime à rien les pressentiments. Je te dis que le plus dur est fait et que tout marchera comme sur des roulettes.

— Oh, tu n’étais pas si fier tout à l’heure, en rentrant.

— Moi ? Allons donc.

— Si. Tu m’as dit en dînant, et je rappelle là tes propres paroles : « Cette histoire de malle verte est affolante. »

Alice Ricard regardait son mari bien en face ; le courtier en vins eut un geste ennuyé, se passa la main sur le front. Évidemment, toute sa bonne humeur de l’instant précédent disparaissait. Il toussa, marcha plus vite, puis s’arrêtant :

— On boit un verre de champagne ? proposa-t-il. Hein, ça vaut bien cela, il me semble.

Et se forçant à être gai, il ajouta :

— Car enfin, ce qu’il y a de plus clair en ce moment, dans toutes ces histoires, c’est que l’assurance paye et que si nous le voulons, nous toucherons immédiatement les cent mille balles.

Alice Ricard ne répondit pas. Déférant au désir de son mari, elle avait été chercher une bouteille de champagne et deux coupes.

Bientôt le vin mousseux pétillait dans le cristal. Fernand Ricard but d’un trait, puis recommença à se promener de long en large :

— Oui, c’est ennuyeux en effet, dit Fernand.

— C’est très ennuyeux, dit Alice.

Le courtier se laissa tomber sur une chaise, mit ses coudes sur ses genoux, se prit le front à deux mains.

— Très ennuyeux, car enfin cette malle verte, nous ne savons pas d’où elle vient, qui l’a envoyée, et à quoi elle rime ? Qu’en penses-tu ? C’est peut-être une coïncidence fortuite ? Après tout, il doit y avoir de par le monde bien des malles tachées de sang. On en trouve une, on croit qu’il s’agit de celle ayant servi à transporter le cadavre de l’oncle, et ma foi…

— Non, tu dis des bêtises.

Il se tut, se leva, alla boire encore un verre de champagne, puis brutalement, déclara :

— Les coïncidences, vois-tu, Alice, ça ne paraît acceptable qu’aux imbéciles. Les coïncidences, ça n’existe pas.

Et plus bas encore, buvant un troisième verre de champagne, ce qui lui mettait le sang aux joues, Fernand Ricard continuait :

— D’ailleurs, si la découverte d’une malle verte tachée de sang pouvait être une coïncidence, il y a quelque chose qui ne peut pas dépendre du hasard : c’est que cette malle verte ait été expédiée précisément à une nommée Brigitte, c’est-à-dire à une ancienne bonne de l’oncle.

Il se tut. Alice Ricard frissonna, puis demanda :

— Alors, ça te fait peur à toi aussi ?

— Oui, répondit Fernand Ricard, cela me fait peur.

Le silence qui pesait alors dans la petite pièce si tranquille, si calme, avait quelque chose de lugubre, de sinistre, de menaçant.

Il était si pénible même à supporter qu’Alice Ricard, la première, éprouva comme un secret besoin de le rompre, coûte que coûte.

— Tu as peur, hein ? Tu reconnais que tu as peur ? Oh, c’est affreux vois-tu de trembler comme nous allons trembler maintenant. Cette malle, je te dis que ça cache quelque chose. Cette malle verte, elle doit avoir une signification. Il faudrait…

La jeune femme paraissait désespérée, Fernand Ricard se releva :

— Alice, ma petite, commença le courtier, quand on a fait ce que nous avons fait tous les deux, on n’a pas le droit de geindre, et l’on est des imbéciles si l’on perd la tête. La découverte de cette malle verte qui vient nous ne savons d’où, qui est envoyée par nous ne savons qui, est inquiétante. Bon, cela je te l’accorde. Mais enfin, ce n’est pas un motif pour croire que tout est perdu. Jouons serré, voilà tout.

Alice Ricard ne répondit point. La jeune femme s’était emparée, machinalement, de la lettre de l’assurance qui traînait sur la table. Elle la relisait avec attention.

— Donne-moi cela, commanda Fernand Ricard, ce n’est pas la peine de laisser traîner ce papier, et puis, nous avons autre chose à faire.

— Quoi donc ? répondit Alice Ricard, levant les yeux vers son mari.

— Dame, il me semble que je ne devrais pas avoir besoin de te l’expliquer. Cela s’impose. On a trouvé une malle verte, on croit que c’est la malle du crime, reste à faire disparaître la malle jaune.

— Tu as raison, murmura la jeune femme. Mais enfin, ce n’est pas ici qu’on viendrait la chercher.

Et comme Fernand Ricard ne répondait pas, Alice insista :

— Tu n’as pas peur d’une perquisition hein ? On ne nous soupçonne pas ?

— Il faut tout prévoir.

Fernand Ricard sortit alors de la salle à manger où sa femme demeurait seule. Il descendit dans la cave de la maison :