Mais si Bouzille avait accepté avec sa résignation habituelle la réprobation dont les habitants de Beylonque l’avaient entouré, alors même qu’il avait été remis en liberté sur l’ordre de Juve, Bouzille avait supporté avec moins de facilité les visites bientôt quotidiennes que lui avait rendues un important fonctionnaires du village, et qui n’était autre que l’huissier du pays.

Si Bouzille se souciait assez peu des condamnations civiles qui étaient prononcées contre lui, – que pouvait bien lui faire une condamnation de deux mille francs d’indemnité, alors qu’il ne possédait jamais plus de deux sous à la fois ? – il avait cependant été fort ennuyé par la dernière visite de l’huissier qui lui avait tranquillement signifié l’ordre d’avoir à déguerpir de sa maison.

Bouzille, furieux, avait voulu résister.

On avait immédiatement eu recours, non pas au garde champêtre, mais à un procédé plus simple. Bouzille, en rentrant, avait un beau soir trouvé sa maison sans porte ni fenêtre. Il commençait à faire froid, on rendait le logis inhabitable, il allait bien falloir que Bouzille se résignât à ne plus y demeurer.

Bouzille, heureusement, avait plus d’un tour dans son sac. Il était allé voir les plaignants et obtenus des délais.

— Prenez au moins un métier qui me garantisse que vous me paierez un jour, avait fini par demander le propriétaire du terrain.

Bouzille s’était écrié :

— Que je prenne un métier, mon bon Monsieur ? mais à quoi bon. Je n’en ai pas de métier, j’en ai dix, vingt, trente, j’en change tous les jours, et malheureusement toujours inutilement. Jamais je ne ferai fortune, c’est invraisemblable, mais c’est ainsi.

Là-dessus, Bouzille, avait fini par s’engager solennellement à récolter des champignons et à les vendre tous les jours, pour payer l’acquisition de son terrain. Bien entendu, Bouzille n’avait pas tenu parole. Il récoltait bien des champignons, parce qu’il aimait baguenauder dans les bois, flâner à droite et à gauche, il les vendait bien de temps à autre, quand la cueillette était bonne, mais il buvait l’argent ou s’achetait des cigares. Bouzille se fût déshonoré s’il avait réellement payé un terrain dont il désirait la propriété.

Ce jour-là, il vagabondait dans les bois du château de Garros où il y avait beaucoup de champignons et peu de gendarmes.

Or, tandis qu’il chantonnait, voilà que Bouzille sursauta :

Pour la deuxième fois, il venait d’entendre appeler :

— Hé là-bas, au secours !

Bouzille se retourna.

Le parc était désert. Personne en vue. Qui donc pouvait l’appeler ?

Bouzille, le nez en l’air, son panier de champignons derrière le dos, chercha d’où provenait l’appel :

— Par ici. Approchez-vous du pavillon !

Cette fois, il n’y avait pas à s’y tromper. C’était bien du pavillon abandonné qu’on l’appelait. Bouzille opéra une brusque volte-face, considérait la petite maison délabrée.

— Mais où diable c’est-il donc que vous êtes caché ? demanda Bouzille, et qui c’est-il que vous êtes et quoi que vous me voulez ?

Bouzille, ayant formulé toutes ces demandes, attendit une réponse. Elle vint, ahurissante :

— Je suis prisonnier, enfermé dans la cave, au secours, Bon Dieu, venez !

D’émotion, Bouzille, lâchait son panier. Il y avait un prisonnier dans la cave du pavillon ? Ça n’avait pas de bon sens. Bouzille, en trottinant s’approcha. Guidé par la voix, il trouvait vite le soupirail d’où rappelait Martial Altarès.

— Alors quoi ? demanda-t-il, c’est pour un faisan ou un cerf ?

Car Bouzille n’hésitait pas une seconde, si quelqu’un était enfermé dans la cave, ce ne pouvait être dans son idée, qu’un braconnier, conduit là par quelque garde-chasse.

— Mais non, c’est pour une femme, expliqua le spahi.

— Eh bien, ça ne vaut pas le coup, déclara le chemineau et qu’est-ce que vous lui avez fait à cette femme ?

Mais Martial Altarès, n’avait aucune envie de causer. Tandis que Bouzille s’asseyait sur son panier et s’apprêtait à tailler une petite bavette, le spahi lui demanda :

— As-tu des allumettes ?

— Oui. Pourquoi ?

— As-tu une scie ?

— Il y a une scie à mon couteau. Pourquoi ?

— Passe-moi ta scie.

— Non, faut pas l’abîmer, qu’est-ce que vous voulez en faire ?

— Il faut que je sorte d’ici.

Bouzille, déjà s’était levé.

— Hé, hé, je ne dis pas, mais ça va-t-il me causer des ennuis si je vous aide ?

— Je te donnerai cent francs, mille francs, ce que tu voudras.

Bouzille, n’était point si exigeant :

— Ça, c’est des paroles. Donnez-moi cent sous tout de suite, j’aime mieux ça.

Pour toute réponse, Martial jeta son porte-monnaie à Bouzille qui l’explora consciencieusement :

— Eh bien, j’ai fait ma journée, moi. Attendez voir un peu, donnant donnant, ça ne vas pas être long que je vous tire de là. Il y a moyen d’en sortir.

Bouzille ne mentait pas. Alors que le barreau de fer était impossible à arracher de l’intérieur du cachot, il était en réalité facile à desceller de l’extérieur. Bouzille qui était beaucoup plus robuste qu’on ne l’eût cru à le voir, l’arracha en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

— Maintenant, déclara-t-il, enlevant le barreau après une dernière secousse, maintenant, tendez-moi la main. Vous n’êtes pas gros, hein ? Vous pourrez vous glisser par là ?

Martial Altarès, pour toute réponse, empoigna la main de Bouzille, se hissa à force de bras. Moins d’une seconde plus tard, il était hors de la cave.

— Dites donc, commença le chemineau, vous deviez joliment vous embêter.

Mais il n’acheva pas. À peine était-il sorti de sa prison que Martial Altarès, après avoir aspiré une large bouffée d’air partit au galop.

Il ne s’occupait plus de Bouzille. Il oubliait tout, pris d’un désir affolé de courir au château, de voir si Timoléon Fargeaux y était, de tirer au clair l’aventure dont il venait d’être le héros.

Bouzille avait couru derrière lui :

— Eh bien, en voilà un particulier, se disait-il, pas possible, il a le feu dans sa culotte.

Martial Altarès, à ce moment, traversait en courant une sorte de petite colline de sable mou qu’il devait franchir pour atteindre la grande allée du parc qui allait le conduire à l’habitation.

Bouzille, comprenant qu’il ne rejoindrait pas le jeune homme, s’arrêta. Il l’aperçut dans la demi clarté du soir, car il était tout près de sept heures, se hâtant autant qu’il le pouvait.

Et puis, soudain, des lèvres du chemineau, un cri de stupéfaction monta :

— Ah, mon Dieu !

Et Bouzille s’élança en courant. Que venait-il de se passer ?

Bouzille avait vu tout d’un coup Martial Altarès tomber violemment sur le sol. Le sable de la colline s’éleva en nuages lourds, opaques. Un bruit sourd retentit.

C’était incompréhensible.

C’était horrible.

Quand Bouzille arriva à la colline de sable, les nuages de poussière venaient de se dissiper.

Et Bouzille, atterré, aperçu, gisant sur le sol, le corps de Martial Altarès, de Martial Altarès qui était mort, qui avait la poitrine défoncée, écrasée comme s’il eût reçu un poids formidable jeté de très haut.

Autour du cadavre, le sable ne portait aucune trace de pas. On n’y voyait que du sang tiède encore et qui se figeait rapidement.

Haletant, livide, trébuchant à chaque pas, Bouzille s’enfuit, terrifié.

18 – LES MORCEAUX DE LA LETTRE

— Mais enfin, mon cher Juve, je vous connais trop pour douter qu’à propos de cette étrange affaire, vous ne formiez déjà une hypothèse. Que devinez-vous ? Que croyez-vous deviner ?

Anselme Roche se pencha vers Juve, qui, au contraire, avec une tranquillité peut-être feinte, se renversa sur la banquette de son wagon, le bras confortablement passé dans l’une des boucles de cuir mises là pour aider au repos des voyageurs.