Il y avait un point à élucider, sur lequel Fandor serait évidemment pour Juve de précieux conseil. Il s’agissait de savoir ce qu’était devenue Hélène depuis le moment où elle avait quitté Fleur-de-Rogue. Car le policier savait désormais, par des renseignements recueillis à la Sûreté, que la fille de Fantômas était venue de Paris à Rion-des-Landes avec la pierreuse.
Évidemment, Hélène n’avait pas cru devoir faire connaître ses faits et gestes à Juve, pour lequel elle n’éprouvait qu’une médiocre sympathie. Mais il était bien certain que Fandor devait être renseigné sur les pérégrinations de la fille de Fantômas.
Juve allait donc savoir. Il avait cru un moment que la victime du spahi n’était autre qu’Hélène. Le portrait que lui en avait fait l’interne de l’hôpital lui faisait changer d’opinion, néanmoins le policier aurait bien voulu retrouver cette femme, et en tout cas, il se promettait d’aller dès le lendemain voir Anselme Roche, pour obtenir l’autorisation de communiquer avec le spahi.
Juve en était là de ses réflexions, lorsqu’on frappa à sa porte.
— Entrez.
C’était M. Hoch. Juve, désormais, était du dernier bien avec le gérant de l’hôtel, dont il avait gagné les bonnes grâces en lui offrant un cigare après le déjeuner et en lui disant sa profession.
M. Hoch nourrissait une admiration respectueuse et sans bornes à l’égard de toutes les autorités. Plus particulièrement, il tenait en haute estime la police en général et spécialement les services de la Sûreté.
— Si je n’étais pas hôtelier, avait-il dit à Juve, je serais inspecteur de police.
M. Hoch venait se renseigner auprès de son client :
— Peut-être pourrez-vous me donner une explication ?
— De quoi s’agit-il ? fit Juve.
— Voici : il y a quarante-huit heures, lorsque ce soldat d’Afrique a tiré sur la jeune femme, deux agents se sont précipités. L’un d’eux était l’agent de l’infant d’Espagne, et l’autre appartenait à la police de Biarritz. Du moins c’est ce que je croyais. Or, il n’y a pas cinq minutes, M. le procureur général Anselme Roche m’a fait l’honneur de me téléphoner pour me demander si cette arrestation avait bien eu lieu dans mon hôtel.
« Oui, Monsieur le procureur général », lui ai-je répondu, et alors, à son tour, M. Anselme Roche m’a déclaré : « C’est très étonnant, parce que ce spahi qui a été arrêté il y a quarante-huit heures n’a pas encore été conduit au poste, et encore moins à la prison ». Monsieur Juve, qu’est-ce que vous pensez de tout cela ?
À la vérité, Juve n’en pensait rien, et se sentait assez perplexe. Que signifiait tout ça ?
M. Hoch attendait une réponse qui d’après lui ne devait pas tarder à venir. Cet Allemand respectueux croyait à l’infaillibilité et se disait que du moment que Juve était inspecteur de la Sûreté, il devait posséder la clef de l’énigme qui le préoccupait. Si Juve ne répondait pas, c’en était fait de sa réputation auprès de M. Hoch. Mais Juve n’eut pas à courir ce risque. On frappait à la porte de la chambre. Quelqu’un entrait. C’était le courrier de l’ Impérial, Narcisse Lapeyrade, l’infortuné mari. Il voulait à toute force voir le patron.
— Ah Monsieur Hoch ! s’écria-t-il, quelle chose épouvantable…
Il s’arrêtait, hésitant à continuer en présence d’un tiers. Mais M. Hoch lui dit :
— Parlez, Narcisse ! Monsieur n’est pas de trop. De quoi s’agit-il ?
— D’un accident, Monsieur, d’un terrible accident. L’express…
— L’express de Paris ?
— L’express de Paris, oui, Monsieur.
— Racontez ! Vite !
— Voilà, Messieurs, ce que j’ai entendu dire à la gare : l’express de Paris, au moment où il traversait les Landes, a été arrêté par un incendie. On a fait descendre les voyageurs qui ont marché à côté du train. On ne les avait pas laissés dans les wagons, pour le cas où la voie, minée par en dessous, se serait effondrée. Seulement, au lieu de remonter, les voyageurs sont restés là, parce que le train est reparti sans les attendre.
— Il est reparti tout seul ?
— Oui et non, expliqua Narcisse. C’est-à-dire qu’on a fait un coup : le chauffeur et le mécanicien ont été retrouvés asphyxiés sous des tas de charbon, dans le tender. Ce n’est donc pas eux qui ont pu faire partir le train.
— Mais qui a pu faire tout cela ? et dans quel but ? demanda M. Hoch.
— Le vol, patron, poursuivit Narcisse. Tous les bagages des voyageurs ont été fouillés de fond en comble. Les bijoux, l’argent, les objets de valeur, tout a disparu.
Juve était pâle. C’était en effet par ce train que Fandor devait arriver. Il demanda :
— Pas d’accident de personnes, à part ces deux malheureux ?
— Je ne crois pas. Monsieur, on ne me l’a pas dit.
— Mais enfin, poursuivit Juve, et le train, qu’est-ce qu’il est devenu ?
— Oh, c’est bien simple. Après avoir parcouru cinq ou six kilomètres, il s’est arrêté près de Dax. On l’a trouvé immobile, freins bloqués. Il n’y avait pas d’autre accident à redouter ni de télescopage, car le block-system fonctionnait.
— Mais… fit Juve.
Le policier allait interroger encore, il s’arrêta. Une troisième personne entrait dans sa chambre, cette fois c’était un télégraphiste.
— Monsieur Juve ? demanda-t-il.
— C’est moi, donne, petit, fit le policier prenant la dépêche.
— Évidemment, pensait Juve, c’est Fandor qui me télégraphie. Non, ce n’est pas lui, c’est Anselme Roche.
Juve murmura, comme frappé de stupeur :
— Le spahi est retrouvé. Mais…
— Mais quoi ?
— Mais je n’ai plus un instant à perdre. Monsieur Hoch, faites préparer ma note, je vous prie, pendant ce temps-là, que quelqu’un aille me chercher une voiture automobile.
17 – LA COLLINE DE SABLE
Voici ce qui s’était passé quelques jours auparavant alors que le spahi avait blessé Hélène :
Au moment où Martial Altarès tombait à genoux, l’un des deux hommes qui l’entraînaient en lui passant les menottes lui avait soufflé à l’oreille :
— Inutile, n’est-ce pas, de rouspéter. Tâchez de marcher droit, on vous tient, mon gaillard !
C’était là une recommandation parfaitement inutile. Martial Altarès était bien trop profondément bouleversé pour songer le moins du monde à opposer une résistance quelconque à ceux qui l’emmenaient.
Docilement, il avait suivi les deux hommes qui l’entraînaient en hâte dans les couloirs de l’ Impérial Hôtel, où les domestiques et les voyageurs se bousculaient, attirés par la détonation.
— Allons. Dépêchez-vous.
L’un des deux agents, car ce ne pouvait être évidemment que des agents qui lui avaient passé les menottes, semblait surtout désireux que le prisonnier se dépêchât. L’autre ne soufflait mot, mais Martial Altarès sentait ses doigts s’incruster dans la chair de son bras. L’homme le tenait solidement.
Sorti de l’hôtel, le jeune spahi avait été poussé plutôt que conduit vers une automobile fermée qui stationnait à quelque distance, le long du trottoir :
— Montez.
Martial Altarès avait obéi ;
— Quelle terrible affaire, songeait le malheureux soldat. Ma sœur n’était donc pas coupable ? et cette malheureuse jeune fille que j’ai blessé, l’ai-je atteinte grièvement ?
La voiture, cependant, filait sur les routes poudreuses qui avoisinent Biarritz et qui, très vite, les faubourgs de la ville passés, serpentent entre des forêts de pins.
Et brusquement, dans l’esprit du jeune homme, une inquiétude nouvelle prenait naissance : de quelle aventure fantastique allait-il être encore le héros ? Il avait trouvé tout naturel, à la minute même du drame, qu’on l’arrêtât, qu’on l’entraînât au poste, qu’on le jetât en prison, mais comment se faisait-il que les agents pussent le conduire hors de Biarritz. Et c’était incontestable, la voiture venait bien de quitter la station balnéaire.
— Où me menez-vous ? demanda le prisonnier à ceux qui l’emmenaient.