— C’est évidemment lui, pensa-t-il, qui m’adresse cette dépêche, puisqu’il est rentré hier à Bayonne. Allons, Anselme Roche avait raison, ce spahi était destiné à faire connaissance avec la paille humide des cachots et maintenant je regrette qu’on ne l’ait point appréhendé ici, nous aurions peut-être de la sorte évité le crime pour lequel on l’a mis en état d’arrestation. Mais quelle peut bien être cette femme qu’il a blessée, qu’Anselme Roche ne paraît pas connaître, puisqu’il ne la nomme point dans sa dépêche et qui se trouve actuellement dit-il, à l’hôpital de Biarritz ? Parbleu, rien n’est plus facile que de le savoir en allant là-bas. Je n’ai rien à faire ici pour le moment d’ailleurs. Filons !
En réalité, Juve n’était pas autrement fâché de quitter la Maison Borel où il venait de passer de longues et maussades journées, de vivre des heures perpétuellement tourmentées par le souci de découvrir le secret du mystère qui le préoccupait tant. C’était chose faite.
Juve, après ce travail, estimait qu’il avait le droit de s’accorder quelques heures de tranquillité et de se reposer tout au moins en changeant d’occupations. Il décidait d’aller à Biarritz.
À l’aube, le policier prit un train qui, en moins de deux heures le descendit à la gare de la célèbre ville qui résume toutes les beautés pittoresques de la côte du sud-ouest et qui est considérée, à juste titre, comme la reine des plages du golfe de Gascogne. Le policier, sans toutefois s’attarder au charme de la gracieuse cité où l’on flânerait éternellement, se fit conduire en voiture jusqu’à l’hôpital civil, juché tout au haut de la ville. Il se fit annoncer au directeur, et celui-ci, fort aimablement, s’arracha un instant à ses occupations pour le mettre en rapport avec la seule personne, disait-il, qui pût lui fournir de bons renseignements. Quelques instants après, introduit dans la salle de garde, Juve faisait la connaissance de l’interne de service, le Toulousain Carnabesse.
Celui-ci, vint à lui, la main tendue :
— Eh, té, mon bon Monsieur, déclara-t-il, je suis heureux de vous écraser les doigts dans les miens. Troun de l’air ! vous êtes un homme comme je les aime. On m’a dit, n’est-ce pas, que c’était à M. Juve, le célèbre inspecteur de la Sûreté à qui j’allais avoir l’honneur de parler.
— C’est moi, en effet.
— Ah, tant mieux, cela me fait plaisir de vous voir, on a tellement parlé de vous, il vous est arrivé de telles aventures que vous êtes un véritable héros. Permettez-moi de vous serrer encore la main !
L’interne, de plus en plus enthousiaste, broya dans les siennes les phalanges de Juve :
— Je vous en prie, Monsieur, murmura celui-ci, vous êtes trop aimable, vous exagérez, au surplus, permettez. Je suis malheureusement très pressé et j’ai bien des choses à vous demander.
— Mais, répliqua Carnabesse, je vous écoute, mon cher ami, je ne fais que cela.
— Eh bien, dit Juve, gagné malgré lui par la faconde familière du jeune médecin, pourriez-vous me donner d’abord des nouvelles de la femme qui a été avant-hier victime d’un attentat, de la part d’un spahi et si ce n’est pas trop exiger, ne pourriez-vous me conduire auprès d’elle ?
— Ah, par exemple. Vous en avez de bonnes ! Non, mais ça, c’est drôle. Vous conduire auprès de la petite, vous dire son état de santé. Impossible, mon cher carabinier.
— Pardon, interrompit Juve, pourquoi m’appelez-vous carabinier ?
— Mais, parce que vous êtes comme les carabiniers d’Offenbach, vous arrivez trop tard.
— Sapristi, ce n’est pas de chance. Ne savez-vous pas où je pourrai la retrouver ? Cette femme a-t-elle laissé quelque adresse ? A-t-on à son sujet un indice quelconque qui permette… ?
Juve s’interrompit, l’interne lui avait fait signe de se taire :
— Écoutez, fit-il, je vais vous donner un tuyau, mais vous serez discret. N’en parlez à personne. Car je pourrais avoir des ennuis, tout le monde me connaît à Biarritz.
— Soyez sans crainte, Monsieur.
— J’ai confiance en vous. Voilà. Lorsque cette petite est venue, je lui ai prodigué mes soins, naturellement les plus dévoués, les plus assidus et j’aime à croire que je ne me suis pas trop mal tiré de mes pansements, puisque arrivée mourante la veille au soir elle était sur pied le lendemain matin.
— C’est merveilleux.
— Mourante, vous savez, c’est une façon de parler. En réalité elle n’avait qu’une éraflure insignifiante à l’épaule, mais enfin si la balle, au lieu de lui écorcher la peau, lui avait traversé la poitrine, elle ne serait pas en train de se balader en ce moment, – je parle de la petite femme, – et il est probable que nous ne plaisanterions pas tous les deux à son sujet.
— C’est évident.
— La petite étant guérie le matin, je suis venu prendre de ses nouvelles et comme elle était gentille, nous avons taillé une longue bavette ensemble. Elle m’a raconté toutes ses histoires. Voyez-vous, ce spahi, Martial Altarès, était évidemment un amant éconduit qui a manifesté sa jalousie en jouant du rigolo. C’est rigolo, pas vrai. Ha ! ha ! ha ! Quand j’ai vu le type que c’était, je n’y ai pas été par quatre chemins et j’ai pris rendez-vous avec elle pour dîner le soir même.
— Ah, et alors ?
— Alors, conclut l’interne, avec une moue piteuse, elle m’avait bien promis qu’elle viendrait, mais le soir, bernique ! Personne ! Croyez-vous, cher Monsieur, elle m’avait posé un lapin et un beau. Depuis, pas de nouvelles.
— Et c’est tout ce que vous savez ?
— Que voulez-vous que je sache de plus ?
— Au revoir, Monsieur.
Deux secondes plus tard, Juve, furibond, avait quitté l’hôpital. Il rageait, il serrait les poings.
— Quand je pense que je suis resté plus de vingt minutes à écouter les sottises de ce bavard sinistre pour ne rien apprendre, c’est vraiment malheureux.
Assurément, Juve ne savait rien, mais il y avait pis pour lui. Le portrait qu’avait fait de la blessée le jeune interne était tel que Juve, désormais, aurait été à cent lieues de pouvoir admettre, s’il l’avait supposé un instant, que la victime du spahi était bien la fille de Fantômas.
Juve n’avait pas à hésiter désormais, il n’avait rien trouvé d’intéressant à l’hôpital, mais il lui restait une excellente ressource, c’était d’aller voir le procureur à Bayonne.
Le policier prit le tramway qui le transportait en vingt minutes à la ville voisine. Mais il devait y éprouver une nouvelle déception. M. Anselme Roche était sorti, il n’était même pas à Bayonne, on ne le trouvait pas plus à son domicile qu’au tribunal. Juve était de plus en plus furieux, mais il ne se lassait pas. La matinée était loin d’être achevée et il pouvait parfaitement bien revenir à Biarritz pour poursuivre son enquête. Il restait, en effet, un lieu à visiter, et ce lieu n’était autre que l’ Impérial Hôtel.
Juve, en reprenant le tramway qui le ramenait à Biarritz, sentait peu à peu renaître sa bonne humeur.
— Après tout, se disait-il, c’est par un manque de logique que j’ai péché et j’en suis puni. Il ne faut pas essayer de remonter le courant des fleuves, il s’agit au contraire d’aller à leur source et de suivre leur flot. Je n’aurais pas dû commencer par l’hôpital, ni continuer par une visite au procureur, c’est par l’ Impérial Hôtelqu’il aurait fallu débuter. Faisons table rase du passé. À l’ Impérial !
***
M. Hoch, gérant de l’ Impérial Hôtel, était ce matin-là en grande discussion avec le majordome de l’Infant d’Espagne, le marquis del Riva Corte. Les deux personnages, en tête-à-tête, dans le bureau de l’hôtel, discutaient avec vivacité.
Têtu, comme tous ses compatriotes, M. Hoch depuis vingt minutes soutenait :
— Vous étiez treize, Monsieur le marquis, treize personnes.
Le majordome de l’infant, accompagnait sa protestation de grands gestes indignés.
— Pas le moins du monde, nous étions douze.
Et, à l’appui de ses dires, il recommençait le compte des personnes qui composaient la suite de Don Eugenio : mais il s’arrêtait toujours, car M. Hoch, énervé, ou alors perpétuellement dérangé par le téléphone, les tuyaux acoustiques, le personnel de l’hôtel, ne lui permettait jamais d’achever le calcul qui aurait dû avoir toute l’attention du gérant de l’ Impérial Hôtel.