Or, au moment même où la porte se refermait, fébrilement, Fantômas sortit de sa cachette. Le bandit, lui aussi, se releva. Il courut à la porte. Son passe-partout à la main, il l’ouvrit facilement, sans que la serrure eût grincé le moins du monde, puis il sortit, il se glissa dans le couloir, il se coula à la suite du caissier.
— Ah ça, songeait Fantômas, pourquoi diable ce maudit Guillaume est-il sorti d’ici ? Où peut-il aller ? Que médite-t-il ? et que signifie l’extraordinaire façon dont il s’est déchaussé, dont il a pris ses souliers à la mains ?
Fantômas avança sur les traces du caissier.
Guillaume, au sortir de sa chambre, avait tourné à droite, dans un grand corridor qui longeait toutes les chambres affectées aux employés de l’ Impérial Hôtel. Le corridor n’était pas éclairé, à peine y voyait-on, de place en place, aux endroits où des vasistas percés dans la toiture laissaient passer la faible clarté du dehors.
Guillaume, tenant toujours ses bottines à la main, avançait avec précaution en homme qui craint de faire du bruit. Il marchait vite. Il avait lancé autour de lui des regards circulaires, il s’était assuré que nul ne l’observait.
Le couloir était désert quand Guillaume était sorti de sa chambre, mais deux minutes après un personnage suivit le caissier, un personnage qui était Fantômas. Fantômas frôla les murs, traversa vif comme l’éclair les endroits illuminés et, au contraire, s’attarda dans les parties sombres du corridor.
Si Guillaume faisait peu de bruit en marchant, Fantômas, lui, n’en faisait pas. Il incarnait véritablement la Nuit, la Nuit qu’on ne voit pas, la Nuit lugubre. Quand même Guillaume se fût retourné il n’eût pas aperçu le bandit qui s’attachait, lui, à ne pas le perdre de vue.
— Où va-t-il ? se demandait Fantômas, toujours sur les talons du caissier.
Soudain, le Maître de l’Effroi songea :
— Que je suis bête ! Parbleu, Guillaume le caissier s’en va rejoindre Félicie Lapeyrade, sa maîtresse.
Dans l’hôtel, au bout du corridor que suivaient le caissier et Fantômas, habitait un couple marié d’employés de l’administration, les Lapeyrade. Félicie Lapeyrade était une accorte lingère qui avait épousé, il y avait longtemps de cela, un gros bonhomme, Narcisse Lapeyrade, employé lui-même en qualité de pisteur officiel par l’ Impérial Hôtel.
Narcisse Lapeyrade était naturellement, en raison des exigences de sa profession, continuellement en voyage. Sa femme, au contraire, demeurait fidèlement à l’hôtel et les mauvaises langues n’étaient pas sans affirmer que tout était pour le mieux de la sorte, car Félicie Lapeyrade pouvait, avec la plus grande facilité, recevoir le caissier, le beau Guillaume avec qui elle trompait le plus souvent possible et le mieux du monde, son excellent époux.
Le caissier cependant, était arrivé tout au bout du corridor de l’ Impérial Hôtel. Il écoutait, l’oreille collée à une porte, puis il frappait trois petits coups, puis encore un coup, puis encore trois autres coups.
— De mieux en mieux, songeait Fantômas, voici le mot de passe.
— C’est toi Guillaume ? tu viens bien tard ce soir.
— J’ai été retenu au bureau, ma chérie. Et puis je ne savais pas si ton mari…
— Oh, pas de danger pour ce soir, répliquait la jeune femme. Nous n’avons qu’à l’oublier complètement. Narcisse ne revient pas avant demain trois heures.
Des baisers s’échangèrent entre les deux complices, puis Félicie demandait encore :
— Dis, tu n’as rencontré personne en venant ?
— Personne.
— On ne t’a pas surveillé ?
— Mais non, mais non !
— Alors, tout est pour le mieux.
La porte, doucement s’était refermée. Félicie, par prudence, tira le verrou, puis elle alla clore soigneusement les rideaux de sa fenêtre et alors, alors seulement, elle ouvrit l’électricité.
Félicie Lapeyrade était vraiment charmante. Elle avait d’ailleurs toute la séduction qui émane de la femme réellement amoureuse : elle noua ses bras autour du cou de son amant, l’embrassa avec passion.
— Guillaume, mon chéri, sais-tu que j’avais peur que tu ne viennes pas ?
Tandis qu’à mots entrecoupés elle interrogeait son amant, Fantômas profitant de l’ombre, merveilleux d’audace, fou de témérité, s’était introduit dans la chambre des amants.
Au moment où Félicie Lapeyrade ouvrait le commutateur de l’électricité, le sinistre Maître de l’Effroi était déjà tapi sous le grand lit garnissant le fond de la pièce. Comme il avait épié quelques minutes avant dans la chambre du caissier, il était tapi maintenant dans la chambre où s’envolaient les paroles d’amour.
***
— Non, ne parle plus, il faut être sage Guillaume, demain tu dois prendre ton service de bonne heure, je ; ne veux pas que tu sois fatigué. Allons, dors mon chéri.
Elle tourna le commutateur, l’électricité s’éteignit, la chambre s’emplit d’ombre.
C’était évidemment ce qu’attendait Fantômas. Pourtant, avec son sang-froid habituel, il ne se hâta pas d’accomplir ce qu’il avait sans doute résolu. Toujours tapi sous le lit, il patienta une grande heure pour être certain que Félicie Lapeyrade et Guillaume étaient plongés dans un profond sommeil. C’est seulement lorsqu’il entendit les deux respirations régulières des dormeurs, lorsqu’il fut assuré qu’ils étaient réellement inconscients de ce qui pouvait se passer autour d’eux que Fantômas passa à l’action.
Lentement, très lentement, Fantômas rampa sous le lit, en sortit à moitié, avançant vers la chaise sur laquelle, en se déshabillant, le caissier Guillaume avait jeté ses vêtements.
Le bandit se redressa, fouilla dans les poches du veston du caissier. C’est en toute tranquillité qu’il explora la doublure du veston, nulle exclamation de triomphe ne trahit sa voix au moment où il sentait, dissimulée près de la poche à portefeuille, une petite pochette, fermée d’un bouton et dans laquelle il découvrit une clé, une mince petite clé de forme spéciale, une clé de sûreté, la clé des coffres de l’hôtel.
Fantômas d’ailleurs ne prit rien d’autre. Il respecta les papiers du caissier, sa montre, son porte-monnaie cependant lourd et devant contenir une certaine somme.
Fantômas n’était pas et ne voulait pas s’abaisser à être un voleur vulgaire. Il avait suivi le caissier pour s’emparer de la clef des coffres de l’ Impérial Hôtel. Cette clef, il la possédait maintenant. Qu’avait-il besoin d’autre ? Fantômas, son vol accompli, s’était recouché à plat ventre sur le sol et réfléchissait. Que faire ? À coup sûr, il avait réussi dans son entreprise puisque la clef des coffres était maintenant en sa possession, mais cependant le succès n’était pas définitif, la chambre était fermée, n’avait-il pas à craindre, en faisant jouer la serrure, en tirant le verrou, de donner l’alarme ?
Du lit où reposaient Félicie Lapeyrade et son amant, la respiration régulière des dormeurs montait de façon rassurante. Mais sans doute, le moindre craquement réveillerait l’un des deux amants ?
Fantômas allait se décider à tenter l’aventure, à s’approcher de la porte, à l’ouvrir en appelant à son aide toute sa science, toute son adresse, lorsqu’un événement imprévu vint ruiner son projet.
Un poing robuste heurtait précisément la porte, en même temps qu’une voix, une grosse voix, une voix bon enfant, criait avec un fort accent marseillais :
— Té, c’est moi Félicie, ouvre donc, ma jolie, allons, réveille-toi pas moins. J’ai oublié ma clef, décidément.
Fantômas entendant cela, plus vif que l’éclair, se rejeta sous le lit.
Hélas, au même moment, Félicie Lapeyrade et Guillaume se réveillèrent en sursaut :
Qui frappait ?
Ils n’hésitèrent ni l’un ni l’autre à le deviner. C’était Narcisse Lapeyrade, c’était le mari.
Guillaume, le caissier, assis dans le lit, les yeux encore fermés par le sommeil, eut un sourd juron :
— Ah bon sang de bon sang !