Félicie Lapeyrade gémissait :
— Mon Dieu, mon Dieu.
Or, de l’autre côté de la porte, l’excellent Narcisse s’étonnait que sa femme ne se réveillât point :
— Té, tu ne m’entends donc pas, Félicie. Ouvre ma petite. C’est moi, c’est ton Narcisse, ouvre donc, ma bonne.
Félicie Lapeyrade garda tout son sang-froid.
— Nous sommes pris dit le caissier.
— Non, tais-toi, tu vas voir.
Rusée, pour gagner du temps, Félicie se hâta d’ajouter à voix haute :
— C’est toi, Narcisse ? c’est toi qui rentres ?
— Hé oui c’est moi, tu rêvais donc, ma mignonne. Alorsse, tu m’ouvres ?
— Oui, oui, je t’ouvre.
Elle sauta en bas du lit.
La jeune femme courut, pieds nus, jusqu’à un grand placard garnissant un angle de la chambre.
Fébrilement, elle en tira une pile de cartons à chapeaux qu’elle posa sur le tapis :
— Guillaume. Vite. Entre là-dedans.
Le caissier ne se fit pas répéter l’invitation. Il disparut dans le placard. Sa maîtresse referma la porte sur lui.
— Mes vêtements, murmura le caissier, tu oublies mes vêtements.
— Chut.
En deux pas, Félicie était revenue vers le lit. Il lui fallut une seconde pour rétablir le désordre des oreillers, une seconde à peine pour saisir les vêtements de son amant qu’elle jeta sous le lit.
Cela fait, Félicie courut à la porte, ouvrit à son mari :
— Si tu savais comme je dormais bien.
Narcisse Lapeyrade n’en doutait pas.
— C’est vrai, ma chérie, eh bien, recouche-toi vite, prends garde de ne point prendre froid.
Tandis que Félicie regagnait son lit, Narcisse Lapeyrade se déshabillait tranquillement :
— Et alors ? demanda-t-il, en s’étendant à nouveau sous les couvertures, et alorsse, ma petite femme, rien de nouveau ? Té, c’est une bonne surprise, hein ? Je croyais ne revenir que demain à trois heures et me voilà de retour.
— Je tombe de sommeil, dit la jeune femme, nous causerons demain, si tu veux.
— Mais oui, mais oui, répondit le bon Narcisse, fais dodo, ma petite.
— Bonsoir Narcisse.
Dix minutes plus tard, Narcisse dormait à poings fermés, cependant que sa femme, sa petite femme, songeait avec angoisse :
— Ce pauvre Guillaume, comme il doit avoir froid. Comme il doit être mal, et comment tout cela finira-t-il ?
Félicie Lapeyrade réfléchit encore longuement à la terrible situation où elle se trouvait, mais petit à petit ses idées s’embrouillèrent, le sommeil qui l’avait fui d’abord finit par alourdir ses paupières. À son tour, elle s’était endormie.
Brusquement, la jeune femme s’éveilla.
Une main s’était posée sur son épaule. Une voix lui souffla à l’oreille :
— Ouvre-moi.
Félicie Lapeyrade avait déjà compris. Avec d’extrêmes précautions, la jeune femme se leva. Dans la pièce obscure, elle glissa jusqu’à la porte et, se servant de sa clef, elle fit jouer la serrure :
— Je te rendrai tes vêtements demain, souffla-t-elle, mon Dieu, qu’il est assommant.
— Oui, oui, prends garde.
Les deux amants chuchotaient.
Félicie Lapeyrade tendit les lèvres. Un baiser rapide. Une ombre s’éloigna le long du couloir, la jeune femme referma sa porte.
— Té mais qu’est-ce que tu fais, Félicie ?
La porte en se refermant venait d’éveiller Narcisse.
— Dors, répondit la lingère, je regardais si tu avais bien mis le verrou de sûreté.
Tranquillisée, Félicie Lapeyrade se recoucha près de son tendre mari.
***
Maintenant il faisait grand jour et Félicie Lapeyrade achevait de s’habiller en hâte tandis que son mari, éveillé, lui aussi, paressait tranquillement.
— Tu ne te lèves pas, Narcisse ?
— Hé non, ma petite. Je n’ai rien à faire ce matin, je reste là, bien douillettement. Au moinsse tu n’as pas besoin de faire le lit, je suppose ?
— Non, non, reste.
Prête, la jeune femme mit un peu d’ordre dans la pièce, jetant de furtifs coups d’œil dans la direction du lit pour s’assurer que les vêtements qu’y avait laissés son amant ne se voyaient pas.
D’ailleurs, après l’angoisse qu’elle avait éprouvée lors du retour de son époux, Félicie, maintenant, était toute disposée à rire de l’aventure qu’elle trouvait drôle. Son mari ridicule dormant avec béatitude, bien douillettement, comme il le disait, dans un lit qui recouvrait la preuve de son infortune : les vêtements de Guillaume. Était-ce assez farce.
Il n’y avait guère de risque à courir désormais. Elle allait descendre à la lingerie et quant à Narcisse, comme chaque jour, il resterait très tard au lit, s’habillerait vite vers les onze heures et irait, alors seulement, reprendre son service.
— Il ne saura jamais, pensa Félicie, jamais il ne se doutera de rien. Il est trop bête.
Avisant pourtant les cartons à chapeau qu’elle avait sortis du placard au moment où elle avait caché son amant, Félicie Lapeyrade, avant de descendre, songea à les remettre en place. La jeune femme, causant toujours avec son mari, marcha donc vers le placard, s’apprêta à l’ouvrir. Elle ne fit que l’entrebâiller. C’est avec une hâte folle, avec une précipitation extrême qu’elle le referma, soudain livide et tremblante. Dans le placard, Félicie Lapeyrade avait aperçu Guillaume. Le caissier, son amant, était toujours là.
— Comment Guillaume est-il encore là ? réfléchissait la jeune femme, comment est-il là, puisque cette nuit je l’ai moi-même fait sortir ?
L’heure avançait, force était bien à Félicie de descendre prendre son service et Guillaume, lui aussi, aurait dû rejoindre sa caisse. Qu’allait-on dire si jamais il était absent, si on ne le trouvait pas dans sa chambre ? Que se passerait-il surtout si Narcisse avait la malencontreuse idée de chercher quelque objet dans le placard ?
Félicie Lapeyrade, d’une voix qu’elle s’efforçait vainement de faire tranquille et assurée, interrogea :
— Alors, tu ne te lèves pas, Narcisse ? Tu n’es pas honteux de paresser ainsi.
Le gros homme éclata de rire :
— Mais non, mais non, je ne suis pas honteux, té, autrement, sais-tu que c’est dans le lit que l’on est encore le mieux.
Il ajouta :
— Tu devrais descendre, Félicie, sais-tu, décidément, c’est l’heure pour toi.
La jeune femme ne répliqua pas. Sans un mot, elle quitta la pièce, elle s’éloigna.
Félicie Lapeyrade était à bout d’énergie. Elle expiait durement la faute qu’elle commettait en trompant son brave homme d’époux. Elle se demandait :
— Qui donc ai-je fait sortir cette nuit de ma chambre ? et que va-t-il arriver ?
12 – TRIBULATIONS DE JUVE
Alors que tous ces événements se déroulaient avec une extrême rapidité et une variété inconcevable, passant des scènes de drames aux incidents burlesques, Juve qui n’en n’avait pas connaissance, restait abasourdi, stupéfait, après avoir achevé son enquête et découvert d’une façon certaine que la mystérieuse victime du non moins mystérieux assassin n’était autre que Fleur-de-Rogue, la pierreuse bien connue, la farouche maîtresse du Bedeau.
Certes, Juve avait immédiatement songé que seul l’insaisissable Fantômas pouvait être l’auteur de ce crime, car, seul, il pouvait avoir eu intérêt à attirer dans ce lieu désert et lointain la malheureuse fille dont la vie ou la mort pouvait avoir à ses yeux une importance que, d’ailleurs, le policier voyait mal.
Juve sentait qu’en étayant son raisonnement sur des bases solides, il n’allait pas tarder à conclure que Fantômas était très certainement l’auteur de l’assassinat qu’il venait de découvrir. Mais à ce moment le policier avait eu l’attention détournée par un fait nouveau :
On lui avait apporté cette dépêche et il avait lu :
Le spahi arrêté pour tentative assassinat sur jeune femme actuellement hôpital Biarritz.
— Quelle est encore cette nouvelle affaire ? s’était demandé Juve qui commençait à être intrigué par la tournure que prenaient les événements. Le policier lut et relut le télégramme, remarqua qu’il ne portait pas de signature. Il ne lui vint pas un instant à l’idée que ce télégramme pût avoir été envoyé par quelqu’un d’autre que par Anselme Roche.